L’intrigue :


Dans Prague occupée par les Nazis, l’auteur de l’attentat contre Heydrich se réfugie chez un vieux professeur, interdit d’enseignement, qui vit avec sa fille. La Gestapo enquête, tandis que la Résistance tente de compromettre un collaborateur…

NOT The End


Les grands artistes ont toujours répondu présent pour traduire l’actualité à travers leurs œuvres. Aussi talentueux qu’ils soient, certains se laissent des fois porter par d’autres engagements que le simple fait artistique. Le cas des Bourreaux meurent aussi est en cela particulier. S’il partage le fait d’aborder – ou presque – l’assassinat en 1942 du boucher de Prague Reinhard Heydrich, il serait précipité de comparer ce long-métrage de Fritz Lang au HHhH de Cédric Jimenez sorti plus tôt cette année. Bien que les deux manquent parfois de subtilité dans leur traitement, leurs approches du fait historique sont fermement antagoniques. Le film de 2017 ne résidait que dans une adaptation froide de l’ouvrage de fiction historique de Laurent Binet. À l’inverse, celui du cinéaste responsable des atemporels Metropolis et M le maudit est à replacer dans son contexte plus passionné.

535967.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxxLes Bourreaux meurent aussi fut tourné ainsi à peine un an après la mort d’Heydrich, répondant à cette spécificité du cinéma américain à se réapproprier dans l’immédiat l’actualité. La mission que se fixa Fritz Lang n’était donc pas dans la reconstruction des faits. Ne pouvant connaître les tenants et aboutissants de l’opération secrète ayant conduit à la mort de l’officier nazi, le seul fait dans le film reste l’assassinat. Et encore, ce dernier est même sciemment laissé au hors-champ, pour ne garder que cette fiction composée par le cinéaste, avec le concours des scénaristes John Wexley et Bertolt Brecht et la superbe photographie de James Wong Howe. Une fiction qui s’articule donc sur la traque de cet assassin inventé, le docteur Franticek Svoboda – svoboda signifiant “liberté” en Tchèque – incarné par Brian Donlevy, qui fera basculer la vie de la belle Mascha Novotny, alias Anna Lee, et celle de ses proches.

En effet, le combat contre l’oppression était loin d’être terminé.

Deux ans après Chasse à l’homme, l’engagement politique du cinéaste allemand en exil n’est plus à prouver à Hollywood. Le nazi est l’ennemi. Un ennemi visuel et idéologique parfait pour le manichéisme simple du grand écran qui plait tant aux spectateurs, à qui Lang permettra même de donner une bonne correction à l’un des membres du IIIe Reich lors d’une scène dans un cinéma. Jusqu’ici, encouragée par les armées et leurs gouvernements, l’industrie cinématographique suivait par habitude et sécurité le sentiment guerrier national. Toute histoire pour vaincre ou ridiculiser Hitler et ses sbires était bonne à prendre, afin de renforcer l’idée d’une victoire assurée auprès de la population américaine. Il n’est pas surprenant alors de découvrir que les officiers colériques de la Gestapo des Bourreaux meurent aussi nous paraissent si burlesques. Toutefois, Fritz Lang parvient habilement à souffler le chaud et le froid dans son long-métrage, lorsqu’il les affuble de drôles de moustaches, de gimmicks grotesques et même de protubérances acnéiques, pour ensuite les faire torturer des civils innocents ou fusiller des prisonniers politiques. Le cinéaste travaille son suspense sur cette ambiguïté permanente, où un rire gras à une blague potache cède la place à la supplication pathétique d’un traître démasqué.

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Dans ce monde de duplicité transformé par l’occupation nazie, Lang se plaît à nous perdre autant dans les rues que parmi son casting. On ne saurait dire si le personnage principal des Bourreaux meurent aussi est plus tenu par Brian Donlevy ou Anna Lee, tant le cinéaste accorde de temps à l’image pour l’un et l’autre, s’attardant même longuement du point de vue d’autres personnages secondaires selon les séquences. Mais ce n’est pas fini, enfin la guerre ne l’était pas encore. Le carton “NOT The End” concluant le long-métrage synthétise complètement la logique – de propagande ? – ayant initié ce film présenté en 1943 en avant-première à Prague, mais dans l’état d’Oklahoma, où une effigie d’Adolf Hitler pendu figurait à l’entrée du cinéma. Cependant, son message n’aura duré qu’un temps et se retourna contre lui dans les années 1950 du Maccarthysme. Cette unique présence dans un générique américain du marxiste Bertolt Brecht reparti en Europe, fit interdire le long-métrage considéré comme subversif pendant une vingtaine d’années. En effet, le combat contre l’oppression était loin d’être terminé.

Sortie en version restaurée le 29 novembre 2017

2 commentaires

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Le Ministère de la Peur, de Fritz Lang (1944), reflets dans le miroir · 8 septembre 2021 à 16 h 31 min

[…] de l’ingérence de Darryl F. Zanuck, producteur chez la Twentieth Century Fox. La production des Bourreaux meurent aussi (1943), coécrit par Bertold Brecht, se passe mieux puisque le cinéaste jouit d’une liberté totale. […]

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