En mai dernier, Lubna Playoust présentait son premier long-métrage Chambre 999 (2023) à Cannes Classics, un documentaire qui interroge des réalisateurs et réalisatrices du monde entier concernant l’avenir du cinéma. Le film est une réponse à Chambre 666, réalisé en 1982 par Wim Wenders, où des cinéastes répondaient déjà à cette question pendant le Festival de Cannes, seuls face à eux-mêmes dans une chambre de l’hôtel Martinez. 

Qu’est-ce qui a motivé ce projet de documentaire 40 ans après Chambre 666 ?

Je voulais réfléchir autour des nouvelles réalités du monde du cinéma et notamment l’acte de faire des films. Par rapport à 1982, je trouvais qu’il y avait énormément d’aspects qui se sont décuplés et certaines questions soulevées étaient très prémonitoires. J’ai donc voulu faire le point et arriver à organiser tous ces questionnements et pensées pour éviter de tomber dans la panique, ce qui est le risque de notre époque. Je pense qu’une fois organisées, ces réflexions deviennent une force. 

Arnaud Desplechin dans Chambre 999 © MK Productions

Concernant le dispositif du documentaire, laisser seuls les cinéastes dans cette chambre d’hôtel devant une caméra, pourquoi l’avoir conservé ?

Dès que Wim Wenders a donné son accord pour que je reprenne son film, j’ai tout de suite voulu conserver ce dispositif pour pouvoir juxtaposer les deux films. J’ai donc repris ces éléments qui pour moi étaient importants dans cet espace : la chambre, la caméra, la télévision, le cadrage… Je trouve ça intéressant que tout le monde soit au même niveau. En le découpant, j’ai vraiment saisi la force de ce dispositif qui libère la parole et fait rentrer les réalisateurs et réalisatrices dans une sorte de vortex. Ils ne sont influencés par aucun rapport social et s’appuient seulement sur eux-mêmes. Quand on met leurs paroles bout à bout, on se rend compte que c’est une photographie de notre époque.

Quels retours avez-vous reçus de ceux qui ont participé au film ?

C’était surtout sur le moment, en sortant de la chambre, que certains étaient interpellés par ce qui s’était passé. Le fait de prendre le temps de penser à l’état du cinéma et son avenir fait naître des réflexions. Joachim Trier m’avait dit en sortant : « Je sais que je vais continuer d’y penser ». Chacun a pu prendre position, ce qu’ils et elles n’avaient peut-être pas fait jusque-là. On a aussi organisé des projections du film suivies de discussions notamment avec Albert Serra ou Nadav Lapid, et ils m’ont souvent fait part de l’importance que cet objet existe. Je pense que chacun peut s’approprier les réflexions du documentaire et pas seulement dans le cinéma. Le film éveille le dialogue sur certains sujets de société, c’est le retour général que je reçois.

Alice Rohrwacher dans Chambre 999 © MK Productions

Par rapport à 1982, la part des réalisatrices reconnues dans le monde du cinéma est plus importante en 2022. Est-ce que c’est une réalité que vous avez souhaité représenter dans le documentaire ?

Ce qui est sûr c’est que je voulais représenter la réalité de notre temps et montrer que les choses ont changé. Concernant la place des femmes, je ne cherchais pas à forcer cette réalité et ça passe aussi par le fait d’évoquer les inégalités qui persistent. Je me suis par exemple rendue compte que certaines femmes cinéastes avaient plus de difficulté à théoriser autour du cinéma et ont moins d’aisance à se retrouver en festival pour défendre leur travail. J’ai dû parfois aider les réalisatrices à libérer leur parole devant la caméra parce que pour moi c’était essentiel de les entendre.

Dans Chambre 999, les cinéastes mentionnent les plateformes, l’arrivée de l’intelligence artificielle et d’autres problématiques qui ont bouleversé l’industrie. Pensez-vous personnellement que le cinéma est menacé aujourd’hui ?

Oui je pense que le cinéma est en permanence confronté à des évolutions qui l’obligent à s’adapter. L’IA par exemple a seulement été évoquée par Cristian Mungiu dans le film, je pense que si j’avais interrogé tout le monde en 2023 et non pas en 2022, ce débat serait plus souvent revenu. On dit que le cinéma se transforme tous les 10 ans et je pense que ces nouveaux outils vont accélérer ce phénomène. Il faut arriver à s’engager et à s’organiser face à ça. Mais on voit très bien chez les personnes que j’ai interviewées que ces questions renvoient à nos propres peurs et nos propres fragilités, même si personne n’avait la même manière d’appréhender ces questions. Certains incluent très vite ces nouvelles technologies dans leur processus. 

Jean-Luc Godard dans CHAMBRE 666 (1982) de Wim Wenders © Les Films du losange

Dans Revus & Corrigés, nous avons plusieurs fois abordé la place de la cinéphilie dans la survie du cinéma. Considérez-vous qu’elle a un rôle à jouer aujourd’hui ?

Disons que la culture française est privilégiée sur ce point. On a une multitude de possibilités pour découvrir des films. C’est à la télévision que j’ai découvert Paris,Texas (1984) de Wim Wenders pour la première fois et ça a été une vraie claque. Il faut faire attention à ce que le cinéma ne devienne pas un art élitiste accessible seulement par une poignée de la population. Je n’aime pas tellement l’emploi qu’on fait du terme « cinéphilie ». Pour moi, il s’agit surtout d’affiner son regard en découvrant des chef-d’œuvres et de s’ouvrir à de nouvelles choses, comme c’est le cas avec la culture en général. Un chef-d’œuvre est universel et n’est pas destiné qu’à certains érudits. Pour que le cinéma puisse vivre, il faut qu’il continue d’être diffusé largement et de toucher le grand public. Et cette richesse de programmation est aussi permise par les plateformes aujourd’hui. Depuis le confinement, je travaille sur le projet MK2 Curiosity et on a à cœur de proposer des films très différents et de confronter des univers opposés. 

CHAMBRE 999
Lubna Playoust, 2023, France

MK2
Au cinéma le 25 octobre 2023

Carlotta Films
En coffret vidéo accompagné de Chambre 666 de Wim Wenders (1982)

Catégories :

En savoir plus sur Revus & Corrigés

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

Quitter la version mobile