L’Autrichienne Hedy Lamarr (1914-2000) fut sacrée dans les années trente « la plus belle femme du monde ». Walt Disney s’inspire alors de son visage parfait pour les traits de sa Blanche-Neige. Pourtant, l’actrice trainait dans son sillage une aura sulfureuse depuis son film Extase (1933) dans lequel elle mimait pour la première fois à l’écran l’orgasme ! Depuis quelques années, la star est enfin reconnue pour une dimension demeurée bien longtemps sous le boisseau : son génie scientifique. Le 6 juin est sorti en salles un remarquable documentaire d’Alexandra Dean retraçant la vie extraordinaire d’Hedy Lamarr : From Extase to wifi.
Hedy Lamarr, un génie méconnu à Hollywood
En avril dernier, les éditions Séguier publiaient la première traduction française de l’autobiographie d’Hedy Lamarr : Extasy and me. Un drôle de récit paru aux États-Unis en 1966, dans lequel la star se révèle particulièrement fantasque. Autobiographie qu’en vérité elle récusa, comme en témoigne le documentaire d’Alexandra Dean. Sur un plateau de télévision, Hedy Lamarr déclare en effet que ces pages ne sont pas de son fait. Extasy and me serait le résultat de plusieurs heures d’entretiens livrés par l’actrice, remaniés par deux journalistes qui choisissent de faire débuter le livre par cette accroche: « Autant le dire dès maintenant, dans ma vie, comme dans la vie de la plupart des femmes, le sexe a joué un rôle prépondérant. » La suite du récit ne déçoit pas le lecteur curieux des frasques de la star. Pas un mot en revanche dans cette pseudo-autobiographie sur la passion pour les sciences d’Hedy Lamarr, ni sur son invention considérée aujourd’hui comme précurseur du wifi : un système de codage des transmissions destiné au radioguidage des torpilles, élaboré avec son ami musicien Georges Antheil durant la Seconde guerre mondiale.

Extase (1933)
Le film d’Alexandra Dean répare cette lacune. La documentariste brosse un portrait exhaustif de cette femme singulière, qui conjugua beauté exceptionnelle et intelligence hors du commun. From Extase to wifi montre bien comment au XXe siècle, et a fortiori à Hollywood, une sublime actrice glamour ne pouvait être prise au sérieux lorsqu’elle déposait un brevet scientifique génial et décisif pour gagner la guerre. A tel point que les militaires préférèrent enterrer un temps l’invention, pour finalement accepter de l’exploiter sans en accorder le crédit à Hedy Lamarr. Le documentaire montre comment ce fut le fils de l’actrice qui vînt recueillir la distinction que les scientifiques acceptèrent de décerner sur le tard à ce génie scientifique spontané. C’est aussi tardivement qu’Hedy Lamarr offrit à un journaliste un entretien audio au long cours que From Extase to wifi utilise largement : on entend ainsi la voix de l’actrice se raconter avec distance, lucidité et ironie.
Sa vie fut un roman. Une enfance bourgeoise à Vienne dans une famille juive assimilée, comme tant d’autres à l’époque. Parce qu’elle est d’une beauté renversante, des débuts comme actrice (aujourd’hui, elle ferait vraisemblablement de hautes études en sciences !) Un mariage avec le richissime Fritz Mandl, sinistre fabricant de munitions, acoquiné malgré ses origines juives avec les fascistes, et qui séquestre quasiment sa jeune épouse à demeure. Il faut dire que Mandl ne supporte pas qu’Hedy ait tourné le sulfureux Extase. Il essaie donc de faire supprimer toutes les copies du film, en vain. On comprend donc que la jeune femme finisse par fuguer. Et là, c’est toujours un roman, cette fois-ci d’espionnage, pour s’extirper des griffes de son époux et gagner Londres, puis les Etats-Unis via un paquebot qui transporte Louis B. Mayer. Ensorcelé par la belle, le mogul lui signe un contrat… Commence alors la carrière hollywoodienne, agrémentée d’innombrables maris, amants, et quelques amantes aussi. L’actrice a deux enfants, plus un adopté, mais pas pour longtemps… Viennent les tentatives peu concluantes comme productrice de film, et enfin la descente aux enfers quand Hollywood ne veut plus d’elle parce qu’elle a dépassé l’âge de péremption — Hedy avait commencé tôt les liftings et on apprend que son esprit inventif se mettait aussi au service de la médecine quand elle suggérait à ses chirurgiens des procédés qu’ils adoptèrent !

Le Démon de la chair (1946)
A l’issue du film d’Alexandra Dean, habilement construit et très documenté, Hedy Lamarr demeure largement un mystère. Hedwig Kiesler, puisque tel était son véritable nom, reste impénétrable. Les extraits des films hollywoodiens, que ce soit Casbah (1948), remake de Pépé le Moko (1938), ou bien Tondelayo (1942) dans lequel elle est grimée en métisse, témoignent de dons limités pour le jeu d’actrice. Hedy semble ailleurs. Peut-être pense-t-elle à ses prochaines inventions scientifiques qui l’intéressent davantage ? Le film de Gustav Machaty, Extase, reste peut-être le plus beau d’Hedy Lamarr. Elle n’y est pas encore figée dans un glamour hollywoodien stéréotypé. Elle y semble libre. Extase est actuellement encore indisponible en vidéo. On espère qu’un distributeur aura la bonne idée de le ressortir sur grand écran et qu’un éditeur aura le nez de proposer une nouvelle édition vidéo, puisqu’Hedy Lamarr est à la mode. Un regain d’intérêt pour une femme qui apparaît depuis quelques temps représenter un symbole, comme si les mouvements #metoo ou « Times up » permettaient de redécouvrir celle dont l’intelligence supérieure fut oblitérée par la beauté iconique.