Nella città l’inferno
Réalisé par Renato Castellani
Avec Anna Magnani, Giulietta Masina, Alberto Sordi, Myriam Bru
Italie/France – 1958

Camélia Films poursuit son exploration du cinéma italien. Après nous avoir permis de (re)découvrir Antonio Pietrangeli en septembre avec Le Célibataire, au tour de L’Enfer dans la ville d’être exhumé, dans une copie restaurée, et dans sa version d’origine, telle que souhaitée par son réalisateur, Renato Castellani. Bénéficiant du duo flamboyant Anna Magnani-Giulietta Masina, le film est parfaitement représentatif de l’univers de son réalisateur, souvent oublié, Renato Castellani, palmé à Cannes en 1951 pour Deux sous d’espoir. 


Féminisme sous barreaux

Les Films du Camélia poursuivent leur exploration du cinéma italien. Après nous avoir permis de (re)découvrir Antonio Pietrangeli en septembre avec Le Célibataire, au tour de L’Enfer dans la ville d’être exhumé, dans une copie restaurée, et dans sa version d’origine, telle que souhaitée par son réalisateur, Renato Castellani. Bénéficiant du duo flamboyant Anna Magnani-Giulietta Masina, le film est parfaitement représentatif de l’univers de son réalisateur, souvent oublié, Renato Castellani, palmé à Cannes en 1951 pour Deux sous d’espoir. 5 raisons de plonger dans L’Enfer dans la ville.

La confrontation Anna-Magnani-Giulietta Masina, c’est la promesse d’un affrontement digne du tandem Jeanne Moreau-Brigitte Bardot de Viva Maria de Louis Malle ou Joan Crawford-Bette Devis de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich : la blonde contre la brune, l’ingénue contre la volcanique, l’eau contre le feu. Promesse tenue haut la main par ces deux stars du cinéma italien – Anna Magnani incarnant la veine populaire et néo-réaliste de Rome, ville ouverte et Bellissima, tandis que sa partenaire approfondit celle entamée avec son compagnon Federico Fellini dans La Strada et Les Nuits de Cabiria. Plongée dans l’enfer carcéral féminin, dans lequel s’entassent huit à dix détenues par cellule, dans lequel rires et pleurs jouxtent constamment disputes et joutes verbales, L’Enfer dans la ville offre un écrin magnifique à ce duo d’actrices.

l'enfer dans les villes 2

Force est de reconnaître que cet affrontement tourne à l’avantage d’Anna Magnani , tant elle polarise le regard, dans un rôle débridé et magnétique. Elle y hurle, chante, pleure, avec des accents parfois déchirants. C’est par ses yeux que s’effectue la prise de conscience du caractère infernal de la prison, et qui rend son interprétation tragique bouleversante. Que vous ayez vu ou non ses mémorables interprétations de Rome ville ouverte, Mamma Roma ou L’Homme à la peau de serpent, courez la voir dans le rôle d’Egle, cette passionaria des univers carcéraux, qui prend sous sa protection Lina, et lui fait découvrir la prison et ses codes. Selon les mots de Renato Castellani, avec « la voracité d’un lion », elle dévora toute crue la Masina pendant le tournage. Cette dernière le reconnaîtra : « Ce n’est pas un film de Castellani, c’est un film de Magnani. »

Autour de ce duo infernal, d’autres figures féminines parviennent à émerger le temps de quelques scènes – Moby Dick, braillarde et fort en gueule ; Mariete, une jeune femme idéaliste qui croit pouvoir rencontrer l’amour et briser le cercle de la fatalité carcérale ; une bouleversante femme infanticide – tandis que la gent masculine n’apparaît qu’à deux reprises, sous les traits d’Alberto Sordi, irrésistible dans le rôle d’Adonis, un bellâtre lâche et menteur, et de Renato Salvatori, incarnant une forme d’espoir sous les traits d’un prince charmant de circonstance.

Renato… qui ? Quand on évoque le cinéma italien, on pense à Fellini, Antonioni, Rosselini, Scola, Risi, Monicelli, Comencini, Olmi, Visconti, Bolognini, et bien d’autres. Il est très rare que le nom de Renato Castellani vienne à l’esprit. Pourtant lauréat d’une Palme d’or en 1951 pour Deux sous d’espoir, le cinéaste, décédé en 1985, ne jouit pas de l’aura de ses contemporains Rossellini ou de Sica. Scénariste et assistant réalisateur, notamment pour Alessandro Blasetti, il s’insère dans le courant néo-réaliste de l’après-guerre. Son approche naturaliste plutôt que sociale et politique explique en partie son relatif effacement de la mémoire cinéphile. En témoigne son 10e film, qui, à partir d’un scénario signé Sussi Cecci d’Amico, future collaboratrice de Luchino Visconti, dresse le tableau naturaliste d’un groupe de femmes minées par leur situation, sans misérabilisme aucun. Le film le plus représentatif de son réalisateur.

Il serait vraiment dommage de passer à côté de cet enfer carcéral, tant Castellani fait preuve de prouesse technique dans sa réalisation. En multipliant de longs plans séquences d’une fluidité exemplaire, il casse l’ambiance étouffante du huis clos carcéral pour laisser respirer l’humanité de ses personnages. Autre signe du soin apporté à sa réalisation : le film s’ouvre et se clôt exactement sur le même plan, celui d’un fourgon carcéral faisant escale devant la maison d’arrêt. Une image emblématique de l’enfer et de la fatalité.


Camélia Films
Cinéma
9 janvier 2019

 

 


Sylvain Lefort

Co-fondateur Revus & Corrigés (trimestriel consacré à l'actualité du cinéma de patrimoine), journaliste cinéma (Cineblogywood, VanityFair, LCI, Noto Revue), cinéphile et fan des films d'hier et d'aujourd'hui, en quête de pépites et de (re)découvertes