House by the River
Réalisé par Fritz Lang
Avec Louis Hayward, Jane Wyatt, et Dorothy Patrick
USA – 1950
Un film méconnu de Fritz Lang, absent de sa filmographie dans de nombreux ouvrages, est ressorti en novembre dernier en DVD/Blu-ray restauré par Lobster Films – un bijou de film noir où l’on retrouve tous les thèmes chers au cinéaste.
Ecrit sur du sang
Certains réalisateurs ont le don de créer des personnages de méchants inoubliables. Outre Hitchcock et Kubrick, il s’agirait de ne pas oublier Fritz Lang, pour Peter Lorre bien sûr, qui a trouvé avec M Le Maudit son rôle le plus emblématique, mais aussi pour Louis Hayward, l’écrivain meurtrier de House by the River.
Tout commençait bien pourtant : une maison victorienne au bord d’un fleuve, une vieille dame qui jardine, un homme écrivant dans son jardin. Cet homme n’est autre que Stephen Byrne, romancier raté recevant ses manuscrits refusés avec humour et plaisantant avec la gouvernante. Derrière ce début de film heureux, qui ressemble presque à une comédie – Jean Douchet le considère comme « la mise en place ironique d’un cinéma commercial et ordinaire »[I], le décor du film s’installe rapidement : le fleuve et les saletés qui s’y amassent. A sa gouvernante qui se plaint de voir des animaux morts dériver dans le fleuve, l’écrivain précise : « La saleté vient des gens, pas du fleuve ». Annonce funeste les hommes sont bien les seuls coupables.
N’a-t-on jamais vu un personnage basculer aussi facilement et avec autant de complaisance dans le mal ? Au début du film, Byrne (interprété par l’acteur britannique Louis Hayward, qui réussit à mettre vraiment mal à l’aise) est charmant et suscite presque de l’empathie lorsqu’il tue la bonne. Mais plus le film avance, plus le personnage prend un aspect sombre et pervers, et sa manière d’appréhender sa culpabilité va changer. Comme un mouvement meurtrier inéluctable, comme le mouvement du fleuve, toujours présent, entre marée et courants. Le sourire en coin, Byrne a quelque chose d’effrayant quand il observe la bonne qu’il désire violer ou son épouse dont il souhaite se débarrasser. On pense par moments à Jack Torrance dans Shining. « Vous êtes un vrai petit diable » lui lance une de ses convives lors d’une soirée dansante.
Pourtant, ce n’est pas un démon, mais bien un homme comme nous, nous qui sommes tous de potentiels meurtriers, comme Lang aimait à le répéter. On retrouve dans House by the River le thème fondamental cher à Fritz Lang : la relation culpabilité-innocence. C’est un thème (une obsession ?) que l’on retrouve dans presque tous les films de la période américaine de Fritz Lang, de Furie (1936) à L’invraisemblable vérité (1956). Patrick McGilligan, auteur d’une biographie sur le cinéaste intitulée The Nature of the Beast, parue en 1997, affirme que Fritz Lang aurait tué sa première femme Lisa Rosenthal – théorie qui expliquerait beaucoup de la vie et de l’œuvre du réalisateur allemand. Impossible de savoir si cette théorie tient la route ou non ; que ce soit un suicide ou un meurtre, Fritz Lang n’a jamais cessé d’aborder ce sentiment qui l’a toujours tourmenté.
House by the River est un film noir, dans lequel le personnage principal incarne le summum de l’anti-héros : romancier raté, alcoolique, volage, meurtrier et lâche. Même si Lang ne se reconnaissait pas dans la pensée de cette école, le film est à forte dominante expressionniste : les contrastes entre ombres et lumières y sont présents tout du long. C’est de ce point de vue un film totalement langien : le décor pèse sur les personnages évoluant dans cette maison à l’ambiance bien particulière. Escalier, couloirs (offrant d’incroyables perspectives), plantes, papiers peints, rideaux ; tout concourt à créer une atmosphère sombre et étouffante. Comme le dit Jean Douchet, « on est prisonnier des couloirs chez Lang ». Enfin, c’est au travers des miroirs, très présents dans le film, qu’apparaîtra la vérité. Stephen Byrne s’y regarde et voit le même poisson qu’il aperçoit au moment où il se débarrasse du corps d’Emily, la gouvernante, dans le fleuve ; une image obsédante qui lui rappelle qu’il est avant tout un meurtrier, et non le romancier à succès qu’il croit être.
House by the River est aussi un film sur la domination entre les hommes. Lang pose sans cesse la caméra en plongée ou contre-plongée. Chaque confrontation entre deux personnages est d’emblée déséquilibrée : un personnage se situe toujours au-dessus de l’autre. Cela commence avec Emily qui descend l’escalier, pendant que Stephen Byrne l’attend en bas. Sa sensualité le domine, ses jambes dépassant de sa robe de chambre. En situation de dominé au début de la scène, Stephen reprend le contrôle pour finalement prendre le dessus. L’égalité est éphémère, les rapports de force entre les hommes sont la norme. Fritz Lang a d’ailleurs affirmé avoir voulu confier le rôle de la bonne à une actrice noire, souhait rejeté par la société de production Republic Pictures. Comme le rappelle Bernard Eisenschitz[II], la représentation des Noirs au cinéma commence à changer à la fin des années 40, avec des films comme Home of the Brave (Mark Robson) et L’Héritage de la chair (Elia Kazan). C’est la dimension érotique entre les deux protagonistes qui semble les avoir gênés, la relation entre deux personnes de « race » différente étant considérée comme un tabou insurpassable.
Ce film clôture la décennie 1940 où Fritz Lang a excellé dans le genre du film noir : La femme au portrait, La rue rouge, Le secret derrière la porte et enfin House by the River, à revoir sans modération.
House by the River, réédité en version restaurée en DVD/Blu-ray le 12 novembre 2018 par Lobster Films.
En salle le 24 avril 2019 par Théâtre du Temple.
[I] Ciné-club Jean Douchet « House by the River » : https://www.youtube.com/watch?v=UGA9rlYM4X4
[II] Bernard Eisenschitz, Fritz Lang au travail, éditions Cahiers du cinéma