Jusqu’au 5 mai 2019, Marie Rémond met en scène pour la Comédie française Le Voyage de G. Mastorna, au Théâtre du Vieux Colombier, adapté du scénario d’un film jamais réalisé de Federico Fellini.
Cette histoire le poursuivait du début des années 1960, depuis Huit et demi et jusqu’à la fin de sa vie, durant laquelle il ne cessa jamais de revenir sur l’épisode de ce projet qui ne connut pas de fin heureuse. Giuseppe Mastorna est un violoncelliste de renom, il voyage à travers le monde pour faire entendre sa musique et éprouver les applaudissements d’un public anonyme. Alors qu’il est en route vers l’Italie, son avion est ébranlé et, comble de la perturbation, il se retrouve au cœur d’une ville étrange, dans un hôtel mystérieusement banal, dans une réalité qui se méfie de la vie et, plus précisément, de la sienne.
La metteuse en scène choisit de raconter les essais, alors que la production du film était entamée, que les décors prenaient de la hauteur dans les studios, entre Fellini, son équipe de tournage habituelle et quelques acteurs tels que Marcello Mastroianni (interprété par Laurent Lafitte). Sur le plateau, se côtoient en pagaille costumes, accessoires, magnétophone et paquets de clopes. Les acteurs incarnent les postures du début des années 70, celles d’une gouaille amaigrie et d’un style plus sûr, à l’image de Jérémy Lopez qui, en acteur et machino virtuoses, gère l’entièreté du dispositif.
Cet espace enclavé entre les relations interpersonnelles et la fiction permet à la pièce de caractériser le cinéaste tout en déconstruisant son art. L’on découvre un « Fefe » animé par une fidélité sans faille pour les personnages de sa vie, tiraillé, par exemple, entre sa foi pour le talent de Marcello et le doute qui le ronge sur ce à quoi le visage de Mastorna doit ressembler. Le spectateur est embarqué non seulement dans l’histoire d’une création qui ne prend pas, mais dans cette création elle-même. Giuseppe Mastorna nous apparaît furtivement, assiégé par ses souvenirs et ses désillusions, et l’on se plaît à voir affleurer des motifs felliniens bien connus. Sur un plateau dépouillé comme devaient l’être les studios de Cinecittà, sont évoquées les figures de son cinéma, et le spectateur, familier ou non de cet univers, peut alors le construire de toute pièce, croire à la fumée et cadrer son imaginaire.
Federico Fellini voulait un film « qui aide à ensevelir toute la mort que nous avons en nous », Le Voyage de G.Mastorna, en racontant un film jamais fait, toujours repoussé, de la mort par l’oubli se réveille comme d’un mauvais rêve.
Le Voyage de G. Mastorna
d’après Federico Fellini
Mise en scène de Marie Rémond
Au théâtre du Vieux Colombier jusqu’au 5 mai 2019
Photo : © Vincent Pontet