Du 18 au 25 novembre 2019 à Pessac se déroulera la 30ème édition du Festival international du film d’Histoire. Rendez-vous annuel – couplant projections et débats – qui a fait la réputation du cinéma Jean Eustache et de ses équipes, ce festival étudie l’Histoire et ses résonances contemporaines à travers la création et le patrimoine cinématographique. En cette année tourmentée pour de nombreux pays d’Amérique latine, l’édition 2019 se consacrera à ces Terres de feu et accueille Patricio Guzmán et Kleber Mendonça Filho. Pour cette 30ème édition, nous avons rencontré François Aymé, directeur du cinéma Jean Eustache et commissaire général du festival.

Cette année est la trentième édition du festival. Quel regard portez-vous sur ces trois décennies ? Une année vous a-t-elle marquée en particulier ?

Vaste question. L’édition autour de l’entre-deux guerres était très riche d’un point de vue historique et culturel. Sur les années 70 également, mais c’est aussi car ça m’est sûrement personnel. Plus généralement, les programmes de ces six ou sept dernières années ont été très copieux. Il y a dix ans, c’était sur le communisme, un programme exceptionnel, comme celui sur la fin des colonies, en 2010.

Le festival a été en constante évolution depuis, et aujourd’hui il semble avoir développé un public assez conséquent.

Oui, et d’ailleurs on peut dire qu’il y a deux grandes tendances. D’une part les publics sont plus friands de débats, ce qui rejoint ce que nous faisons avec UNIPOP : on est passé de 15 à 50 rendez-vous. Il y a dix ans, il faut avouer que certains rendez-vous ne marchaient pas. Maintenant, tous attirent du public. Quand il pouvait y avoir il y a dix ans 50 personnes, il peut y en avoir 150 désormais. Par jour, pendant le festival, il y a 1 000 entrées sur les débats ! L’entrée aux débats est gratuite, mais on en est dans tous les cas très fiers. L’autre tendance, c’est le développement de la fréquentation des films en avant-première. Il y a des avant-premières de films de fiction qui sont de grands succès. En conséquence, on a de bons retours des distributeurs, ce qui crée des relations stables avec eux. Dans le même temps, il y a un attrait pour les documentaires, qui ont jusque-là souvent été considérés comme des programmes télévisés par la majorité des spectateurs. Certes, il y a quelques exceptions célèbres, mais ces films ont été fréquemment « traités » de reportages. On a désormais des salles complètes durant les projections de documentaires : c’est le fruit de la construction d’un public. En moyenne, on compte une centaine de personnes par projection de documentaire. Et par rapport à d’autres festivals, il faut avoir à l’esprit que s’il y a certains publics professionnels, les spectateurs restent en grande majorité un public amateur. 

Bacurau, de Kleber Mendonça Filho (2019)

L’ADN du festival est l’Histoire, mais le thème de cette année est on-ne-peut-plus contemporain. L’Amérique latine s’interroge par le passé, l’Histoire, par le présent, cela fait écho à tout ce qu’on a connu récemment au Brésil avec l’incendie du musée de Rio, Bolsonaro, les feux en Amazonie, la sortie de Bacurau… et l’escalade actuelle au Chili. Vous avez d’ailleurs invité Kleber Mendonça Filho et Patricio Guzmán.

On veille à cet aspect-là chaque année, à ce que le thème de l’Histoire résonne avec l’actualité. Le Centenaire de la fin de la Grande Guerre, ou encore l’année précédente avec le Royaume-Uni et le Brexit. Certes, nous n’avons évidemment pas pu anticiper les incendies au Brésil, mais Bolsonaro était déjà en poste, et en parallèle on savait également que le Venezuela était au plus mal. La thématique est choisie un an à l’avance. Des tendances se dessinent évidemment, comme l’écologie par exemple. Cette année entre l’Argentine, le Brésil, le Venezuela et désormais le Chili, il y a une conjonction malheureuse, et ce n’est pas très enthousiasmant. On a la chance d’accueillir Kleber Mendonça Filho ainsi que Patricio Guzmán, qui sort son film La Cordillère des songes.

Ainsi, le Festival propose soixante long-métrages consacrés à l’histoire politique, sociale et culturelle de l’Amérique latine. Un vaste panorama assez exceptionnel également de ce cinéma très ancré dans la réalité. On retrouvera les grands auteurs classiques brésiliens (Glauber Rocha, Carlos Diegues), argentins (Hugo Santiago, Fernando Solanas, Luis Puenzo), cubains (Tomas Gutierrez Alea), boliviens (Jorge Sanjinés) à côté de grands auteurs contemporains (Pablo Larrain, Walter Salles, Iciar Bollain, Fernando Mereilles, Ciro Guerra).

Il y aura également quelques points de vue classiques occidentaux : Aguirre ou la colère de Dieu (Werner Herzog), Vera Cruz (Robert Aldrich), Que Viva Mexico (Sergueï Mikhailovich Eisenstein et Grigori Aleksandrov) et entre les deux Los Olvidados (Luis Buñuel). Par ailleurs, le Festival propose quatre compétitions (une pour fiction, trois pour les documentaires) de films d’histoire indépendants de l’Amérique latine avec de très nombreuses avant-premières et la présence de la plupart des auteurs.

Que Viva Mexico, de Sergueï Eisenstein et Grigori Aleksandrov (1979)

Le festival est résolument tourné vers les jeunes, les étudiants, aussi avec une envie de décentralisation, de hors-les-murs…

La décentralisation est surtout sur les scolaires. C’est un travail énorme réalisé par Julia Perreira qui travaille avec moi, d’offre scolaire avec des dossiers, des intervenants et un choix de films que nous avons loués. Cela prend place dans toute la Nouvelle Aquitaine, pour un résultat de 5 000 entrées, ce qui est énorme. Et ce, d’autant plus pour des films sur l’Amérique du Sud qui sont assez peu diffusés à cette classe d’âges, voire pas du tout. Par ailleurs, il y a 10 000 entrées de scolaires qui se font au cinéma. 

Quelle politique avez-vous développé pour capter un pareil public ?

Pour les étudiants, on a recruté quelqu’un au poste de médiateur culturel qui est co-financé par le CNC et la Région, Victor Courgeon, dont tout le travail porte sur le public lycéen et étudiant en faculté. C’est un énorme travail de partenariat avec Science-Po, la fac d’Histoire, la fac de cinéma, sur des séances spéciales, des concerts, des débats ou même des reportages réalisés par les étudiants. Il y a des cours ou des rencontres délocalisés durant le festival, comme c’est le cas avec Science-Po Sud-Ouest. Un point très important, c’est que le festival édite depuis deux ans un ciné-dossier, un recueil de dossiers pédagogiques destiné aux enseignants sur 18 films que nous avons choisis. Avant cela, il existait, mais de manière confidentielle et plutôt artisanale. On a désormais normalisé et calibré ces dossiers, qui sont donc plus attrayants en termes de mise en page et de contenus. Tout ceci pour dire qu’en matière de défense du patrimoine, c’est vital d’être en lien avec l’éducation. 

Le Festival rentre aussi en écho avec UNIPOP, une initiative fascinante qui a été développée au cinéma Jean Eustache, autour d’universités populaires de cinéma. À quand remonte-t-elle et à quels besoins ou envies répond-elle ?

À 2010, bientôt 10 ans ! Au départ c’était une université populaire uniquement consacrée au cinéma, se déroulant tous les jeudis. Il y a avant tout trois motivations. La première est la difficulté de faire découvrir le patrimoine dans notre cinéma. C’est finalement par les rencontres avec des personnalités, prélude de la soirée, que l’on peut amener le public voir des films qu’il n’irait pas voir s’ils étaient présentés seuls. Le deuxième point est spécifique au cinéma Jean Eustache, qui a été un pôle régional d’éducation au cinéma, pour une mission de sept ans. La région Aquitaine a décidé en 2010 de se réapproprier cette mission. La salle avait à la fois une activité locale et une activité sur l’éducation qui était régionale. Nous avions donc du personnel, une expertise et une passion pour la transmission, que nous n’avons pas voulu abandonner et que nous avons du coup développée d’une autre manière avec la création de l’université populaire. Enfin, le troisième point est le vieillissement du public : il y avait l’idée d’un format d’éducation continue accessible à tous pour la nouvelle génération. Ceci dit, jamais nous n’avions envisagé que cela marcherait aussi bien ! Sans même faire de publicité – ça c’est important parce que quand ça doit marcher, on n’a pas besoin de publicité – en quinze jours, avec le programme, on a eu 500 inscrits. Cela fait trente ans que je travaille au cinéma Jean Eustache, et c’était la première fois que je recevais autant de courriers de félicitations, par la poste, par mail, disant « ça faisait longtemps que j’attendais qu’on me propose ce genre d’événement. »  Sans qu’on en ait réellement conscience, cette proposition correspondait à une attente. L’attente n’est pas seulement sur les films, elle est aussi sur la possibilité d’en parler, de partager un savoir, de rencontre les gens.


Festival international du Film d’Histoire de Pessac

du 18 au 25 novembre 2019 au cinéma Jean Eustache et à l’Auditorium de la Médiathèque de Pessac

Toutes les infos sur leur site : cinema-histoire-pessac.com

En partenariat avec Revus & Corrigés