Bouleversant les codes du film noir, Bette Gordon aborde le milieu de la pornographie dans le New York des années 80, lugubre et étincelant de néons. Entre voyeurisme et exhibitionnisme, Variety porte un regard féminin affranchi sur cet univers toujours au cœur des débats.

Article initialement publié dans Revus & Corrigés N°13 – Hiver 2021.

Dans sa chambre, seule, Christine (Sandy McLeod) reçoit un appel. Un inconnu au bout du fil la réduit à une fente dans un monologue des plus vulgaires. Le message est clair : elle n’existe que pour satisfaire un plaisir exclusivement masculin. Rien d’anodin alors quand, pour son premier long-métrage éponyme, Bette Gordon situe son action au cœur d’un cinéma porno, le Variety. La réalisatrice cartographie les rues d’un New-York révolu, à demi éclairées par les marquises tapageuses de ses lieux de débauches.

Dans cette géographie du plaisir, l’espace est sous emprise masculine, les corps féminins y sont fragmentés et dépossédés de leur désir. Cachée derrière la vitrine de la caisse du cinéma porno, Christine devient à son tour voyeuse. Dans ce lieu d’interdits, elle part en quête de son propre désir, et franchit le rideau de velours qui sépare le réel et le fantasme. Variety prend alors des allures de film noir, et s’accroche au regard de son héroïne au visage poupon, en pleine poursuite de ses envies. Christine arpente les rues, toujours dissimulée par le mobilier urbain, obsédée par cet homme dont elle ne connaît rien. En renversant les codes, Bette Gordon offre les pleins pouvoirs à son personnage féminin qui devient pleinement actif. Variety embrasse alors un regard féminin qui s’affranchit du masculin et reconstitue l’imagerie pornographique pour la faire sienne. La pulsion scopique  s’accompagne d’une découverte du plaisir pour Christine, qu’elle affirme pour elle-même et rien que pour elle, au grand dam de son petit ami dont elle s’émancipe. Bien consciente du voyeurisme inhérent à l’objet filmique, Bette Gordon laisse une part importante à l’imaginaire, particulièrement stimulant pour ses spectateurs.

Avec sa construction en miroir, Variety rejoue ses actions en déplaçant le regard. À l’image de cette scène de flipper, dans laquelle Christine détaille à son petit ami, dans un long monologue à son tour, un rapport sexuel. Toute la charge érotique repose dans ce plaisir non dissimulé de raconter, et surtout d’initier. Le film se pare alors de cette atmosphère cotonneuse, propre au fantasme et propice à tous les possibles. Bette Gordon capture aussi l’innocence d’une époque qu’elle ne condamne jamais, pas encore ravagée par l’épidémie de sida. En soi, Variety a tout d’une lettre d’amour au milieu underground.

VARIETY

Bette Gordon (1983)
Les Films du Camédia
Au cinéma le 1 juin 2022

Une exposition de la photographe Nan Goldin, qui était sur le tournage de Variety, est à découvrir à partir du 3 juin 2022 à la boutique-galerie du Paris Cinéma Club.

Catégories : Critiques