Considéré comme un film mineur de Robert Altman, Nous sommes tous des voleurs contient pourtant en lui ce que Bonnie & Clyde ne montrait pas : une approche anti-glamour des bandits, un regard ironique du New-Deal et une absence de sensationnalisme.
« Quand j’ai proposé Nous sommes tous des voleurs aux producteurs, ils m’ont dit que cela risquait de ressembler à Bonnie and Clyde. C’est comme si Monet était allé chez le marchand de couleurs en mentionnant “Je vais peindre une femme” et qu’on lui réplique “C’est inutile, Renoir en a peint une il y a deux semaines !”. » Toute la méthode Altman se trouve ainsi résumée dans cette anecdote de Robert Altman [1], et qu’illustre à la perfection Nous sommes tous des voleurs. En 1974, Robert Altman est au faîte de sa réputation. Cinéaste poil à gratter auréolé d’une Palme d’or surprise pour MASH en 1970, le réalisateur, bien que relativement âgé (il a près de 50 ans), appartient à la génération des cinéastes contestataires et rebelles du Nouvel Hollywood – Scorsese et consorts. Sa spécificité ? Déconstruire les mythes et les genres de la culture américaine : la guerre de Corée avec en filigrane le Vietnam avec MASH ; les pionniers de la ruée vers l’or avec John Mc Cabe ; le film noir des années 1940 avec Le Privé. Nous sommes tous des voleurs ne déroge pas à la règle. En adaptant le roman de Edward Anderson – déjà porté à l’écran par Nicholas Ray en 1947 sous le titre Les Amants de la nuit – Robert Altman vise le romantisme qui entoure souvent la figure du gangster période Grande Dépression, telle que l’a fixée Fritz Lang avec J’ai le droit de vivre (1937), et réactivée par Arthur Penn avec Bonnie and Clyde (1967).

Quasi contemporain de Bertha Boxcar de Martin Scorsese, le film, d’apparence picaresque, narre tribulations, braquages et planques de trois gangsters échappés du bagne pendant la crise économique des années 1930. Exploration d’un lieu (le Mississippi), absence totale de tout sentimentalisme et d’effets tape-à-l’œil (hormis un poignant ralenti final), combinaison de zooms et de prises au téléobjectif, la patte d’Altman s’y déploie en majesté. Accompagné à la lumière par le Français Jean Boffety, Altman dépeint l’Amérique du New Deal sans aucune volonté de l’enjoliver, à l’instar des clichés de Walker Evans. Multipliant les scènes où les personnages se reflètent dans des miroirs, Altman opte pour une distanciation ironique. Pour preuve : les membres du couple central Bowie-Keechie, incarnés avec beaucoup de justesse par Keith Carradine et Shelley Duvall, ont des physiques à mille lieues du glamour de Bonnie/Faye Dunaway et Clyde/Warren Beatty. S’ajoute à l’ensemble le contre-point joué par la radio, omniprésente tout au long du film, et dont les extraits agissent comme des commentaires décalés de l’action.
[1] Robert Altman et la clé des champs, par Robert Benayoun, in Positif, n°155, janvier 1974.
