Dans ce nouveau livre de la très appréciée collection Capricci Stories, l’auteur Lucas Aubry explore l’icône d’une génération immortalisée par la caméra furieuse de Nicholas Ray, une légende hollywoodienne dont la filmographie traverse presque 40 ans de cinéma américain, Natalie Wood. Même si elle a disparu précocement dans de mystérieuses conditions à 43 ans, celle qui avait débuté à l’âge de 5 ans est une figure emblématique du cinéma américain, incarnation d’une jeunesse américaine rebelle et amoureuse. L’iconique Natalie Wood sera cette année à l’honneur d’une rétrospective au Festival international du film de La Rochelle, du 28 juin au 7 juillet 2024.

De son enfance à Santa Rosa à sa disparition près de l’île de Santa Catalina sur la côte californienne, de sa première apparition devant la caméra d’Irving Pichel dans Happy Land (1943) à son dernier film Brainstorm (1983) aux côtés de Christopher Walken, présent à bord du tristement célèbre « Splendour », Lucas Aubry livre une analyse brillante et fouillée de l’actrice aux grands yeux marron. Née en 1938, Natasha Zacharenko est fille d’immigrés russes ayant fui la guerre civile. Dès 1946, elle perd son patronyme pour le film Tomorrow is Forever où Orson Welles la prend sous son aile au profit de Natalie Wood, décision chaudement recommandée par les producteurs d’International Pictures. L’actrice appellera d’ailleurs sa première fille Natasha, comme une manière de combler le vide laissé par l’abandon de son nom. Très vite, la jeune Natalie se fait remarquer, jouant dans deux succès de 1947, Miracle sur la 34ème rue et L’Aventure de Mme Muir. Elle est tellement douée qu’on la surnomme “One take Wood”, les réalisateurs n’ayant jamais à lui demander de refaire une prise. Entre 1955 et 1966, Natalie Wood joue les ados rebelles chez Nicholas Ray [nous avions consacré un dossier à l’actrice dans notre N°11 Hollywood Breakdown consacré cette folle décennie hollywoodienne, ndlr], les indiennes kidnappées chez John Ford, les lycéennes déprimées chez Elia Kazan, les Juliette amoureuses chez Robert Wise et les séductrices qui rêvent d’ailleurs chez Sydney Pollack. Après les femmes fatales, Hollywood fait place à de nouveaux standards physiques, dont Audrey Hepburn est l’une des figures de proue. À l’image de son aînée de 9 ans, Natalie Wood est une petite brune frêle aux yeux marrons. Celle qui a grandi devant les caméras réussit à imposer à Hollywood son allure sexy et décontractée et son regard de biche.

Natalie Wood: What remains behind ? (2020) © HBO Documentary Films

Comme toute légende, la vie de Natalie Wood s’accompagne de son lot de rumeurs et histoires, plus ou moins véridiques [également étudiées dans le documentaire de Laurent Bouzereau, Natalie Wood: What remains behind] : une mère démiurge, une blessure au poignet lors d’un tournage non soignée à temps, un appétit sexuel dément, un penchant pour les cocktails de bon matin… L’auteur de cette biographie prend le temps de les analyser, les démonter ou les étayer, afin de mieux dresser le portrait d’une actrice qui n’a, pendant longtemps, pas eu voix au chapitre. Au-delà des anecdotes plus ou moins connues, Lucas Aubry raconte l’actrice à travers ses films mythiques : sa relation avec Nicholas Ray avant La Fureur de vivre, sa rencontre avec l’arrogant Warren Beatty pour La Fièvre dans le sang, sa déception sur West Side Story lorsqu’elle découvre qu’elle sera doublée sur toutes les scènes de chant… Le plus passionnant réside dans le démontage, tout en finesse, de l’envers du décor de l’usine à rêves. Le Hollywood de Natalie Wood était impitoyable avec ses comédiennes, faisant peu de cas des enfants-stars, sachant être manipulateur quand il s’agissait d’écarter un prétendant. Et comme toute légende, la comédienne eut une fin tragique, morte noyée alors qu’elle avait une peur bleue de l’eau, comme une manière de boucler la boucle d’une enfant devenue star beaucoup trop tôt. 

Entretien avec Lucas Aubry

Pourquoi avoir voulu écrire ce livre sur Natalie Wood ? Comment l’idée vous est-elle venue ?

J’avais une connaissance très relative de Natalie Wood, je la connaissais principalement par La Fureur de vivre, West Side Story, La Fureur dans le sang. Mais j’aime justement me jeter dans un sujet et partir pratiquement de zéro, avec un œil neuf. Le livre est en partenariat avec le Festival de La Rochelle, avec qui on a discuté de trois comédiennes possibles pour ce livre : Elizabeth Taylor, Lauren Bacall et Natalie Wood. Très vite, en creusant mon sujet, je me suis rendu compte qu’il y avait de la matière dans l’histoire de Wood, il y avait toutes ces rumeurs et ces légendes autour d’elle, ce qui me permettait de démêler le vrai du faux, de comprendre ce que le faux raconte d’elle. Quand tu tapes Natalie Wood sur Google en France, il n’y a que le fait divers de sa disparition qui ressort, accentué par le fait qu’ils rouvrent l’enquête régulièrement aux Etats-Unis. C’est ça aussi qui m’a donné envie d’écrire sur Natalie Wood, la question des actrices invisibilisées.

Natalie Wood était une enfant-star, elle a débuté à l’âge de 5 ans dans Happy Land, d’Irving Pichel. Suit-elle le parcours traditionnel d’autres enfants-stars d’Hollywood, comme Shirley Temple ou Elizabeth Taylor ?

On peut faire un parallèle entre Natalie Wood et Shirley Temple, concernant la période à laquelle elles arrivent, car Shirley Temple arrive juste après la Grande Dépression et Natalie Wood arrive juste après la Seconde Guerre mondiale, donc elles jouent toutes les deux un rôle d’antidépresseur. C’est un peu différent pour Elizabeth Taylor parce qu’elle commence à 11-12 ans et elle est très vite considérée comme une femme. C’est l’inverse pour Natalie Wood, elle était tellement connotée enfant-star qu’on a voulu la faire rentrer dans des costumes de petite fille jusqu’à ses 16 ans et le tournage de La Fureur de vivre (1955). Ce film représente sa rébellion, en tant qu’actrice mais aussi en tant que jeune fille qui veut sortir de ce statut et devenir adolescente.

La Fièvre dans le sang (1961) © Warner Bros

1961, c’est son année, elle joue dans La Fièvre dans le sang et West Side Story. Est-ce qu’elle est l’actrice la plus en vogue du cinéma américain à ce moment-là ?

Oui sans aucun doute, parce que quand elle arrive sur le plateau de West Side Story, c’est déjà une immense star, elle est à son pic de popularité. Comme elle est décédée relativement jeune, à 43 ans, on a tendance à la ranger aux côtés de James Dean alors qu’elle a quand même plus de 30 ans de carrière. Même quand elle fait une pause de Hollywood entre 1969 et 1979, elle reste dans le paysage hollywoodien, dont elle fait totalement partie avec son mari Robert Wagner. Quand elle n’est pas à Hollywood, elle est présente à la télé, elle fait des adaptations de pièces de Tennessee Williams. Pendant cette pause, elle ne disparaît pas vraiment, elle est toujours invitée à faire des talk-shows pour parler de son couple, de maternité…

Il y a une anecdote géniale dans votre livre, c’est quand Natalie Wood va chercher le prix de la pire actrice, remis par le journal d’Harvard, en 1966. Qu’est-ce que ça nous dit d’elle ? 

Il y a même une vidéo de plusieurs minutes de cet événement, qui est très drôle. Cela prouve qu’elle avait beaucoup d’autodérision, alors même qu’elle sortait d’une tentative de suicide peu de temps avant. Cette actrice, considérée comme étant sur le déclin, qui débarque à Harvard pour couper la chique des étudiants qui voulaient lui rire au nez, ça m’a tout de suite fait rire. J’avais à cœur de mettre un peu d’humour dans le livre malgré l’histoire très tragique de Natalie Wood, le défi était de ne pas écrire un livre qui soit trop dans le pathos, et d’y amener un peu de vie. Ça a été facile parce que sa personnalité était comme ça. C’est quelqu’un qui a eu une vie personnelle tragique, qui a connu de vrais hauts et bas, plus que dans sa carrière, mais qui pouvait être joyeuse, d’ailleurs il existe beaucoup de photos d’elle qui rit.

Daisy Clover (1965) © Columbia Pictures

Est-ce qu’il n’y a pas dans l’histoire de Natalie Wood tous les ingrédients de la légende : les rumeurs, la mort tragique, les nombreuses aventures… ?

En effet, mais je crois que bizarrement, ce qui lui manque, c’est plus de constance dans ses choix de films. Quand on regarde sa filmographie de plus près, on se rend compte que de La Fureur de vivre, les gens ont retenu James Dean, alors que le film est sur elle ; dans La Prisonnière du désert c’est elle la prisonnière, mais on ne la voit qu’à la fin du film ; et dans West Side Story, on a plutôt retenu la musique de Leonard Bernstein et les danseurs, alors qu’elle est le personnage principal du film. Il y a juste La Fièvre dans le sang qui fait l’exception, à l’époque c’est vraiment elle la star, et non Warren Beatty, donc ça c’est son film à elle. Sinon, à chaque fois, elle partage l’affiche soit avec une star, soit avec autre chose. Pour être une vraie légende, il lui manque un grand film à elle, comme d’autres actrices ont eu. Cela a été renforcé par le fait que dans les années 50, il était plus difficile d’exister en tant qu’actrice.

Le dernier film dans lequel on l’aperçoit c’est Brainstorm (1983) de Douglas Trumbull. Comment peut-on caractériser la fin de sa carrière, c’est-à-dire entre la fin des années 70 et le début des années 80 ?

À la fin de sa carrière, elle n’est plus du tout au sommet. Elle a joué dans une adaptation télé de La Chatte sur un toit brûlant mais sa fin de carrière est un moment de sa vie où elle est beaucoup plus concentrée sur le glamour. C’est Paul Mazursky, le réalisateur de Bob et Carole et Ted et Alice qui disait : « À force d’en faire une icône glamour, on a oublié à quel point Natalie Wood était une grande actrice », ça résume bien sa carrière je trouve. Pourquoi Natalie Wood n’est pas une légende ? C’est une actrice qui a été triplement invisibilisée. D’abord par sa mère, ensuite par la machine hollywoodienne, les studios, puis en troisième lieu, par le fait divers de sa mort. Pour citer Bourdieu, dans l’histoire de Natalie Wood, « le fait divers a fait diversion ».

Entretien réalisé par Esther Brejon

NATALIE WOOD, UN JEU D’ENFANT

Lucas Aubry

Capricci Livres
96 pages – 31 mai 2024 – 11,50 €

Revus & Corrigés N°11 – Hollywood Breakdown

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