Le Français Laurent Bouzereau a une imposante carrière de réalisateur de documentaires et d’auteur de livres sur l’histoire du cinéma, ainsi de making ofs exhaustifs sur de grandes productions hollywoodiennes. Au Festival Lumière, il présentait son dernier-né, Natalie Wood :  What Remains Behind, revenant sur le destin tragique de l’actrice, disparue en 1981 à l’âge de 43 ans dans des circonstances incertaines. En retraçant sa carrière et sa vie privée, avec l’aide de sa famille, ses collègues et amis, le documentaire plonge dans une histoire de cinéma hors-norme. Et rajoute un grand nom à la filmographie de son auteur, passé par Steven Spielberg, George Lucas, James Cameron, William Friedkin…

Natalie Wood : What Remains Behind est coproduit notamment par la fille de Wood, Natasha Gregson Wagner, très impliquée devant la caméra. Est-ce elle qui est à l’origine du projet ? Cela a-t-il facilité l’accès aux archives personnelles et à celles des studios ?

Il a été produit par Amblin, HBO et moi. Nous avons un ami en commun avec Natacha Gregson Wagner, Manoah Bowman, qui est archiviste, historien et producteur du film, qui m’a appelé il y a à peu près deux ans en me disant qu’il venait d’écrire un livre sur Natalie Wood en rencontrant sa famille et notamment sa fille, et qu’il aimerait trouver un réalisateur pour faire un film. J’ai répondu « Moi, peut-être ! Si on n’aime pas Natalie Wood, ou si on ne connait pas Natalie Wood, on n’aime pas le cinéma ! » C’était mon argument. Il m’a donc présenté à la fille de Natalie Wood, Natacha Webson Wagner, et nous avons tout de suite bien accroché. Je voulais présenter le projet à Amblin avec qui je travaille depuis longtemps, puis avec leur soutien essayer de le vendre à un studio. Immédiatement, Steven [Spielberg, ndlr] a aimé le film donc on est parti en vadrouille ensemble pour essayer de le vendre, ce qui n’a pas été facile, notamment parce que Natalie Wood est oubliée comme beaucoup des grandes stars. C’est assez triste. Mais quand j’ai trouvé l’angle qui était de raconter l’histoire du famille plutôt qu’une histoire pleine de poussière hollywoodienne, ça a tout de suite accroché avec HBO. La fille de Natalie Wood faisait partie de la production mais je lui ai dit qu’il fallait que j’ai mon intégrité en tant que réalisateur. Elle est productrice surtout parce que c’est elle qui avait accès à toutes les archives et toutes ces choses dont j’avais besoin pour raconter l’histoire ; c’est elle qui m’a permis de rencontrer toutes les personnes qui sont dans le film. Mais jamais elle n’a été à la salle de montage ou ne m’a imposé des restrictions. Et c’était pareil avec Robert Wagner ou le reste de la famille. Quand je leur ai montré le film, c’était surtout pour leur demander s’il y avait des erreurs mais aucun ne m’a dit que j’allais trop loin ou qu’il fallait changer l’histoire.

Le projet a-t-il été activé lorsque l’affaire autour de la mort de Natalie Wood a été ré-ouverte il y a quelques années, et son mari Robert Wagner jugé « personne d’intérêt » dans l’enquête ?

Non mais il y avait vraiment un objectif de réparer l’image ternie par une fin tragique.

Son image à elle ?

Oui bien entendu. Et d’essayer de changer ce dialogue qui est fixé sur sa mort et non pas sur sa vie.

Qu’est-ce qui fait un bon sujet selon vous ? Comment choisissez-vous un sujet ?

C’est quelque chose qui me lance un défi. C’est un sujet où je vais apprendre quelque chose. Et surtout les émotions. Il faut que ça raconte une histoire et que cela soit émotionnel. Je dois dire que ce film sur Natalie Wood doit être le film le plus émotionnel que j’ai jamais fait. A chaque fois que j’ai interviewé quelqu’un on allait parler de la mort de cette femme et des circonstances qui l’ont entourées, et de cette explosion médiatique, je crois que j’ai pleuré dans toutes les interviews que j’ai faites. Deux des intervenants sont décédés depuis le tournage du film. Mais je sais que ça a été important pour toutes les personnes qui sont intervenue. Par exemple, Richard Gregson, qui est le deuxième mari de Natalie Wood, était malade de Parkinson. L’après-midi avant le tournage je suis allé le voir pour parler un peu de l’interview et savoir comment il se portait. Je savais après cette première rencontre qu’il allait me donner une très belle interview. Et le lendemain matin, quelque chose avait changé, je ne savais pas trop quoi. J’ai appris plus tard qu’il était tombé dans la nuit, s’était cassé le poignet mais qu’il a refusé d’aller à l’hôpital pour ne pas rater cet entretien. Il a eu peur de mourir à l’hôpital sans faire cette interview. Il y avait un vrai esprit de famille, c’était un saga familiale. Courtney Wagner, la sœur de Natacha, n’était pas bien du tout avant le tournage. Même son père m’avait prévenu qu’elle ne serait probablement pas en mesure physique de le faire. Quand elle a été capable de parler, on était défiguré tant on pleurait de joie de l’avoir. Elle a été tellement marquée par le tournage du film qu’elle le regarde et écoute sans arrêt la bande sonore du film. C’était comme une réconciliation pour elle. C’est une fierté quand on s’aperçoit qu’on a fait du bien aux gens.

Comment s’est fait le documentaire Netflix Five Came Back ? Il est tiré d’un livre je crois. Connaissiez-vous déjà les films Why We Fight de Ford, Huston, Wyler…?

Non, je ne connaissais pas les films. À la sortie du livre, les producteurs Scott Rudin et Barry Diller ont acquis les droits et ont proposé à Steven Spielberg d’adapter cela en film narratif. Il a refusé, mais a proposé d’en faire un documentaire, il s’est tourné vers moi, et j’ai accepté. Cela a été très rapide, Netflix avait déjà validé le projet. Cela m’a beaucoup intéressé parce que je suis fasciné par la Seconde Guerre mondiale et par le cinéma, et pouvoir marier ces deux choses au travers de ces cinq réalisateurs, c’était formidable. Il fallait trouver un moyen de raconter cette histoire, soit avec les ayant-droits, la famille de ces réalisateurs et des historiens, soit avec quelque chose de plus neuf. J’ai trouvé l’idée d’avoir cinq réalisateurs contemporains pour parler des cinq réalisateurs du passé. Et je pense que ça a attiré un public plus jeune. J’ai beaucoup appris avec ce projet, et j’aime ça, sinon on est sur une trajectoire moins excitante, et surtout cela oblige à trouver un langage et ce cheminement de découverte est formidable.

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser des documentaires de film ? Comment s’est faite la rencontre avec Steven Spielberg et la Universal pour le making of sur LaserDisc de 1941, puis celui des Dents de la mer qui ont lancé votre carrière de documentariste ?

Je souris sous mon masque parce que c’était il y a à peu près 28 ans sans vouloir me vieillir de trop. Celui qui était à la tête de la postproduction chez Amblin, Marty Cohen – qui est malheureusement décédé il y a quelques mois – avait entendu parler de moi. À cette époque-là j’avais écrit des livres mais je n’avais pas vraiment réalisé. Je faisais du feature development, je travaillais chez Disney et j’étais en charge de trouver des films pour Bette Midler, l’actrice. J’avais participé à quelques LaserDiscs comme le commentaire de Carrie. Cette industrie commençait à naître et Universal voulait faire une nouvelle version avec Steven de 1941, remonter le film, rajouter des scènes et faire un documentaire. J’ai donc été le voir et on a immédiatement accroché. Universal m’a fait un contrat en me disant de ne pas en parler car ils n’avaient jamais fait ce genre de film : « On n’a pas de contrat pour des gens comme toi, ça n’existe pas. » Effectivement c’était un contrat pour un autre film. J’ai eu un bureau à Amblin et j’ai commencé mon travail de recherche. Universal m’a parlé de containers, qui sont plein de documents à jeter ou de choses comme ça et il m’ont donné des gants en me disant qu’il y aurait peut-être des serpents à sonnette dedans. J’ai trouvé tellement de choses, des peintures faites pour Duel, des posters… J’avais toujours étudié le cinéma de Spielberg de façon très intime et je crois qu’il a été impressionné et touché par mon approche de réalisateur également. J’avais remarqué dans Les Dents de la mer, que quand le requin explose et coule, on entend une espèce de cri sourd. Et dans Duel, quand le camion tombe, on entend le même bruitage. Et ça l’a lui-même surpris, il me l’a confirmé et m’a expliqué que c’était le bruitage d’un dinosaure d’un film de série B Universal qu’il adorait. On s’est beaucoup rapprochés. Quand j’ai fait son entretien pour Les Dents de la mer, on n’avait qu’une heure d’entretien. À la fin de cette heure, il m’a dit : « ne bouge pas, je reviens », et il est revenu deux heures après, et on a continué à discuter des heures. Et le rencontrer pour parler de 1941, un film qui avait été un échec, et qui avait potentiellement diminué sa carrière à l’époque, c’était formidable. Pour moi c’était un film qui avait changé accentué mon goût pour le cinéma. 1941 avait une signification importante pour nous deux.

Steven Spielberg et John Williams entourent Laurent Bouzereau.

Une de vos rencontres déterminantes fut je crois celle inattendue avec François Truffaut dans un magasin au moment du Dernier métro, vous avouant être inquiet de la sortie du film et se révélant très ouvert pour en parler. Cela a-t-il orienté d’une certaine manière ensuite vers le making of ?

J’allais tous les samedis matin dans une boutique qui s’appelait Les Feux de la rampe, rue du Bac. Ça ouvrait à 11h et je harcelais le pauvre vendeur qui était là, on papotait beaucoup, on échangeait des photos, des affiches. J’achetais et je revendais beaucoup de choses. Et c’était le samedi avant la sortie du Dernier métro le mercredi. Et je disais « Truffaut ci, Truffaut ça, Le Dernier métro ! » et tout d’un coup il rentre dans la boutique. La chose qui m’a le plus choqué, c’est qu’il était petit et il portait un costume qui le vieillissait, alors que j’avais l’image de lui dans Rencontre du troisième type ! Je me rappelle qu’il a acheté deux livres, dont un livre par André Bazin, bien entendu ! Quand il est venu payer, on a commencé à discuter de Steven, d’Hitchcock, et je lui ai dit que j’étais super excité à l’idée de la sortie du Dernier métro. Et il m’a dit « Ben pas moi, parce que tous mes films se plantent, c’est super dur… » Enfin il s’est livré, je ne croyais pas qu’il était en train de me parler, à moi ! Il était si honnête, et si vulnérable, ça m’a immédiatement informé sur le fait que malgré le succès et la renommée qu’ils pouvaient avoir, les artistes ne se regardaient pas du tout comme ça. Ce qui était importants pour eux, ce n’était pas le succès d’un film, mais la longévité d’une carrière, ou le fait d’arriver à se réinventer. Ce sont des questions que je me pose moi-même en tant que cinéaste mais que je pose aussi aux cinéastes avec qui je travaille. Concernant Natalie Wood, c’est une star qui a changé l’histoire du cinéma, et est aujourd’hui plus ou moins oubliée. Et je me demande aussi quelle est la renommée de Truffaut aujourd’hui en France, quand on pense à l’impact qu’il a eu pendant sa courte vie. Aux États-Unis ce n’est pas un nom qui fait encore beaucoup d’effet. Il y a peut-être un an j’ai trouvé dans une librairie deux bouquins signés par lui, et je les ai payés rien du tout ! Je n’en croyais pas mes yeux !

Cette authenticité dont vous parliez à l’instant et je crois assez conductrice dans vos documentaires, notamment sur les plateaux. On observe une tendance générale de making ofs assez lisses pour les gros films hollywoodiens. Parmi vos meilleurs travaux sur la genèse d’un film, on trouve celui de l’épisode 1 de Star Wars, La Menace fantôme, dans lequel vous n’épargnez aucun des défis à surmonter pour réussir le film. Quinze ans plus tard vous avez réalisé le making of de l’épisode 7 mais, par exemple, sans parler de l’accident d’Harrison Ford sur le tournage. Cet accident n’apparaît dans aucun autre supplément, comme s’il n’était jamais arrivé, hormis le commentaire audio du réalisateur qui explique que cela a permis de retravailler le scénario. Cette omission était-elle imposée ou volontaire de votre part ? La volonté des studios peut-elle être frustrante pour vous qui cherchez l’authenticité du plateau ?

Alors, pour préciser, le making of de La Menace fantôme s’est fait sous la forme d’un livre. Quand j’ai commencé à faire ce genre de travail, personne ne le faisait, je pouvais tout raconter, il n’y avait aucune règle à respecter avec les différents syndicats des acteurs et des studios. Tout ça, avec l’évolution du Laserdics, des K7, des DVD, des Blu-ray et maintenant du streaming,  a complètement changé. Il y a certaines histoires que vous ne pouvez absolument pas raconter si le film [making of, ndlr] est fait par le studio. Cela a à voir avec les assurances, avec des règles syndicales, etc. Il y a une certaine contrainte pour raconter ces histoires. La façon dont je rationalise ça pour mes réalisations, c’est que quand vous pensez à toutes les règles qu’Hollywood imposait aux réalisateurs pendant la période de censure du Code de production, cela n’en faisait pas de moins bons films. Psychose par exemple ! Pour moi, parler des accidents et autres n’est pas un objectif en soi. Et quand on me dit de ne pas parler de certaines choses, j’en trouve d’autres à raconter ! Mais je crois que dans le film que j’ai fait sur Les Aventuriers de l’arche perdue, je montre quand même les roues de l’avion passer sur la jambe d’Harrison Ford !

Vous travaillez aussi sur des documentaires rétrospectifs sur des classiques, ce qui est très différent d’un making of sur les tournages. Avez-vous une préférence entre ces deux approches ? La méthode de travail est-elle différente ?

Oui c’est complètement différent. Quand vous allez sur un tournage, vous ne connaissez que l’histoire du film, mais pas ce qu’il va se passer sur le plateau. Il y a une certaine surprise. Quand je fais le documentaire Natalie Wood, je suis beaucoup plus maître de la matière. Mais les deux sont très excitants.

Vous est-il arrivé de manquer de matériau, de documents ou d’intervenants vous obligeant à abandonner un projet de documentaire, ce qui peut arriver sur les films plus anciens ?

Ce sont des choses qui m’excitent personnellement. Si quelqu’un me dit qu’il ne va pas participer ou si je ne peux pas faire certaines choses, je me demande tout de suite comment résoudre le problème. Il n’y a que des solutions ! Tous les films, un documentaire, un film de fiction, par un grand ou un petit réalisateur, ce ne sont de toute façon que des compromis. C’est pour cela qu’il faut être très bien préparé, c’est la seule façon de prendre la bonne décision. Il faut connaître son sujet, de façon tellement personnelle et émotionnelle, et tous les obstacles pourront être franchis. Je suis un optimiste. Et certaines personnes vont me reprocher par exemple sur Natalie Wood qu’il n’y a pas la troisième sœur – elle a refusé ; il n’y a pas Christopher Walken – il a dit non ; il n’y a pas Warren Beatty – il y a dit non puis il a dit oui, puis il a refusé à nouveau, je pense qu’il est encore en train de se décider. Mais je ne pense pas que ça soit une carence par rapport à l’histoire que je voulais raconter.

Les making ofs ayant commencé avec La Roue d’Abel Gance, il y aurait pour vous une longue histoire passionnante à raconter sur les making of, non ?

Oui, effectivement, mais je n’y ai pas pensé ! Il y a toute une technique. Sur la plupart des films sur lesquels je travaille, je suis engagé trois mois avant le début de la production. Je peux lire le scénario, visiter le plateau, me présenter aux techniciens. Tout le monde a sa propre approche. Je deviens très intime avec le sujet, mais il faut aussi que je pense au marketing, et aussi à l’historique : « c’est la première fois, ou la dernière fois que… ». Je travaille beaucoup en amont. Étudier la manière dont on peut voir les films et faire les making ofs, ce n’est pas à moi de décider si c’est intéressant, mais si on me demande de le faire, je dirai oui !

Avec la collaboration d’Alexis Hyaumet

Entretien réalisé le 16 octobre 2020 au Festival Lumière, à Lyon.

Natalie Wood : what remains behind, sera diffusé sur OCS le

  • Dimanche 18 octobre à 22h55
  • Mardi 20 octobre à 6h25
  • Dimanche 25 octobre à 10h25

Puis disponible sur OCS à la demande.