Star Wars, Robocop, Willow, Starship Troopers… La carrière de ce technicien hors pair des effets spéciaux à l’air faussement bourru, a suivi évolutions et révolutions de son domaine d’expertise sur les quarante dernières années. « Il y a peu de légendes réelles dans le cinéma fantastique et des effets spéciaux. Lui c’en est une, au même titre que Ray Harryausen ou Dennis Murren » vantait le journaliste de Mad Movies Alexandre Poncet, avant qu’une standing ovation n’accueille dignement monsieur Tippett sur la scène.
Artisan d’une industrie
Après Le Complexe de Frankenstein [tout juste récompensé du Prix curiosité par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma], Alexandre Poncet travaille actuellement avec son comparse Gilles Penso sur un nouveau documentaire consacré – vous l’aurez deviné – à Phil Tippett. « Derrière la légende, il y a un artiste » rappelait Alexandre Poncet dans son introduction, en partageant avec nous les fruits d’une véritable chasse au trésor dans les archives de Tippett et quelques séquences exclusives tournées dans son atelier. À l’opposé des gigantesques open spaces contemporains déshumanisés, simplement remplis de serveurs en surchauffe et d’ordinateurs dernière génération, Tippett élabore encore son art au milieu d’un bric-à-brac d’outils, d’engins et de maquettes en tout genre, suivant la grande tradition des faiseurs d’images fantastiques.

C’était en 1977 qu’il se fit connaître et que son savoir-faire avait été mis à profit d’un certain Star Wars : « Nous travaillions sur les plans supplémentaires pour la cantina à créer beaucoup de masques en six semaines. Lorsque George [Lucas] est passé pour voir les masques, il a vu les figurines que j’avais fabriqué adolescent ». Plutôt que d’utiliser des acteurs déguisés, le cinéaste choisit d’utiliser les talents d’animateurs de Tippett pour son film. Il lui laissa en deux semaines afin de confectionner une douzaine de monstres et tourner la séquence en trois jours « à la toute fin du tournage ». On le retrouve ainsi durant la bataille de Hoth, à la tête des AT-AT de L’Empire contre-attaque. Une nouvelle occasion d’appliquer son approche très pragmatique des effets spéciaux. « Il voulait avoir son plan et ce qui est bien avec George c’est qu’il dépense son propre argent, pas comme les studios ».
Technicien instinctif
« On a filmé un éléphant avec des marques blanches peintes à la craie, à la façon d’Eadweard Muybridge pour utiliser comme modèle de déplacement ». Mais lui et son équipe se sont vite rendus compte que cela ne les aiderait pas, car les marcheurs impériaux du film pesaient beaucoup plus lourd qu’un éléphant. « La première chose que vous devez faire c’est d’estimer le poids ». Bien que sur l’écran s’affichait des tableaux définissant chaque mouvement à effectuer d’une image à l’autre, Tippett n’en avait besoin qu’aux répétitions et premiers tests. C’est d’instinct qu’il anime son univers, quitte à refaire plusieurs prises par la suite. Il décrira ensuite la fastidieuse mise en marche des AT-AT image par images, malgré la construction ingénieuse des vastes micro-décors, dotés de trappes sous les plaines glacées de Hoth afin de manipuler les véhicules.

Qu’il s’agisse plus vivantes comme les tauntauns ou le gigantesque rancor du Retour du Jedi, Phil Tippett a su développer de nouvelles techniques pour obtenir le meilleur résultat. Pourtant, George Lucas préférait un homme en costume pour faire se mouvoir le rancor. « Il disait : “Ce que je veux, c’est construire le meilleur costume de Godzilla”. Nous avons passé plusieurs mois à fabriquer cette… chose et une fois sur le plateau, lorsqu’on l’a filmé pour des tests… le résultat était affreux ». Finalement, ainsi que l’avait supposé Tippett, le rancor fut fabriqué image par image, filmé par une caméra à haute vitesse. Mais Jurassic Park fut un coup dur pour l’animateur : les effets visuels numériques avaient fait leur entrée fracassante sur le grand écran et les séquences qu’il avait pu tourner en stop motion (la scène de la cuisine avec les raptors et le grand final dans le hall) furent remplacées.
Mentor et passeur
Bien entendu, le studio de Phil Tippett possède depuis un département d’effets visuels numériques qui a notamment fait ses preuves sur le Starship Troopers de Paul Verhoeven. Avec un curieux (mais pertinent) sens de timing, Alexandre Poncet avait d’ailleurs choisi de commencer par la fin ; ou plutôt un recommencement avec Star Wars : Le Réveil de la Force. Peu savent que la courte séquence où John Boyega allume par mégarde l’échiquier holographique du Faucon Millienium a nécessité le retour du maître et, pour seulement, trois plans. « C’est court, n’est-ce pas ? Et ce n’est même pas une scène ! » lança Tippett à la salle. Effectivement, il y a de quoi être circonspect de demander à cet expert d’intervenir. Malgré la débauche d’effets visuels numériques de son film, le réalisateur J.J. Abrams et la productrice Kathleen Kennedy ont demandé à ce que la même technique d’animation en stop-motion soit réemployée.

Mieux (ou pis) encore, la partie qui s’était jouée en 1977 entre Chewbacca et C-3PO devait reprendre sans discontinuer à l’écran en 2015. Il aura fallu quatre mois, après une replongée dans les Archives Lucasfilm, pour reconstruire les figurines modelées à partir d’un scan 3D des modèles originaux. « Je travaille depuis dans les effets visuels numériques, mais ils étaient inspirés par ce qu’on avait fait sur le Star Wars original » . Phil Tippett laissa à ses animateurs Chuck Duke et Tom Gibbons s’en charger, « heureux comme des enfants jouant avec leurs jouets ! » Gibbons s’occupait d’animer les deux créatures qui se battent, tandis que Duke donnait vie aux autres.
Artiste indépendant
En dehors de ses travaux pour les grands studios, l’ayant amené sur des chefs d’œuvre du cinéma de genre et de moins mémorables, Phil Tippett développe également des projets de son cru, de son côté, avec les mêmes ferveur et enthousiasme. Le technicien sous contrat est autant conscient des enjeux artistiques de ses créations. Il influa, par exemple, sur le final de Jurassic Park, sur la résolution du film. Steven Spielberg et la productrice Kathleen Kennedy prirent en compte ses critiques pour la conclusion que l’on connaît depuis.
Avant de s’engager sur ce long-métrage, Phil Tippett avait déjà un lien fort avec les dinosaures. Il avait récupéré les décors de la forêt d’Endor du Retour du Jedi pour recréer l’ère du Crétacé pour sa première production indépendante : Prehistoric Beasts était un court-métrage éducatif sur les dinosaures, dont un plan fut jugé trop violent dans les hautes sphères d’Hollywood. Un autre projet de dinosaures fut avorté avec Paul Verhoeven après Robocop, le réalisateur néerlandais y espérait mettre en scène « des tonnes de sang » en utilisant l’animation en stop motion. Un scénario fut écrit, puis le producteur Jeffrey Katzenberg voulut que les dinosaures parlent… puis le film devint finalement le Dinosaure en CGI sorti en 2000.

Loin du tumulte hollywoodien, Phil Tippett s’amuse avec son projet Mad God, imaginé il y a 30 ans déjà, après le tournage de Robocop 2. Mad God est une suite de court-métrages “expérimentaux” au visuel surprenant, dont un extrait du chapitre 4 nous fut présenté en exclusivité. « On m’a dit que Mad God était du “art damage” […] que ça ne ferait pas d’argent », à l’opposé des « 99,9999% des productions d’aujourd’hui qui sont produits avec des intentions. […] et si vous n’avez pas ces chaînes, vous pouvez prendre le temps que vous avez besoin pour penser les choses que vous avez envie de faire… et ça prend du temps ».
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