Qui mieux que Rimini Editions pour remettre sur le devant de la scène Federico Fellini, et un de ses films-phares, Fellini Roma ? Voici donc ressurgir des limbes un fleuron du cinéma d’auteur des années 70, une de ces cathédrales visuelles, l’un des films-sommes de son auteur, dans une édition gorgée de bonus. Pourquoi (re)voir Fellini Roma et (éventuellement) mourir ?
Le réalisateur italien Federico Fellini retrace avec ce film l’histoire de la Ville éternelle, non de manière chronologique et didactique, mais comme un rêve éveillé, dans lequel se mêlent ses propres souvenirs, ses fantasmes et ses interrogations sur son avenir. Mais 25 ans après sa disparition, force est de reconnaître que le cinéma de Fellini peine à innerver le cinéma contemporain. Ogre artistique unique en son genre, le maestro italien ne connaît pas d’héritage direct. Certes, on pourra reconnaître ça et là des hommages ou des traits empruntés à son œuvre – Woody Allen, avec Stardust Memories ; Bob Fosse, avec Que le spectacle commence ; Paolo Sorrentino, avec La Grande Bellezza ou tout récemment le cinéaste russe Alexei Guerman Jr qui dans son dernier film Dovlatov, présenté à la Berlinale 2018, rend explicitement hommage à une des scènes cultes de Fellini Roma. Sans descendance, le purgatoire de Fellini n’en paraît que plus long et injuste.

A l’instar de ses contemporains Michelangelo Antonioni, Akira Kurosawa, Ingmar Bergman ou Jean-Luc Godard, Federico Fellini incarnait une part énorme du cinéma dit d’auteur. Chacun de ses films était attendu comme un événement, depuis le triomphe cannois de La Dolce Vita (1959) et la bombe Huit et demi (1963).
On pouvait mesurer ce qu’un génie visuel et artistique pouvait faire de ce médium, pour se raconter, en atteignant l’universel, à partir de son bric-à-brac visuel : ses cirques, ses monstres, ses paysages dans la brume, sa musique entêtante, son goût pour le baroque et l’imaginaire, son sens de la démesure, son insatiable appétit pour les femmes plantureuses, son italianité. Face à la raréfaction des moyens financiers nécessaires à ses entreprises, au faible soutien de producteurs autrefois bienveillants comme Franco Cristaldi ou Daniel Toscan du Plantier, à la concurrence de la télévision et à un épuisement créatif, Fellini ne parvient plus au fil du temps à retenir l’attention du public et de la critique – en témoignent certains de ses derniers films, Ginger et Fred et La Vocce de la luna en particulier. D’où la relative désaffection dont il fait injustement l’objet actuellement.

Réalisé entre Satyricon (1969) et Amarcord (1973), Fellini Roma, le 12ème film de Federico Fellini est une œuvre charnière dans la filmographie du maestro. Présenté au Festival de Cannes, il reçu le Grand Prix Technique au Festival de Cannes 1972. En abordant plus frontalement ses souvenirs et sa jeunesse, Fellini s’ouvre au grand public plus qu’il ne l’avait fait jusque-là. Et il n’hésite plus à se mettre en scène directement. Cette veine baroque et mémorielle trouvera son apothéose dans son film suivant, Amarcord. En l’état, Fellini Roma est une œuvre monumentale, consacrée à la ville qui l’a accueilli en 1938, jeune provincial issu de Rimini : Rome. Certes, la Ville éternelle constituait déjà le cadre de La Dolce Vita, mais non le cœur de son sujet. Composée d’une série de tableaux et de saynètes truculentes, Fellini Roma est une véritable déclaration d’amour du cinéaste à sa ville d’adoption.
Oui, Fellini Roma échappe à toute dramaturgie classique. Oui, Fellini Roma nous ballade du passé au présent, du songe à la réalité, et réciproquement, sans aucune logique apparente. Oui, Fellini Roma passe d’un personnage à un autre, comme une série de croquis bien trempés. Oui, la reconstitution monumentale constitue le moteur principal de l’intrigue (tout Roma a été reconstruit dans les studios de Cinecitta). Oui, Rome apparaît comme un rêve mais aussi comme un cauchemar. C’est là l’essence du cinéma fellinien , qui sous des dehors de bric-à-brac s’avère extrêmement élaboré. Structurée en trois mouvements – Rome vue de Rimini, ville natale du cinéaste située sur la côte adriatique ; puis l’arrivée à Rome à 18 ans, sous le fascisme ; enfin Rome aujourd’hui, sous les yeux de Fellini en personne – la dynamique de Fellini Roma repose sur la découverte progressive de la ville, ses classes populaires, ses habitants, ses quartiers, ses trattorias, ses bas fonds, son aristocratie, leur exubérance, leur truculence. A mille lieues de la jet set romaine dépeinte dans La Dolce Vita ou de l’allégorie, parfois absconse, de Prova d’orchestra ou de E la nave va. Avec Amarcord, c’est incontestablement l’un des films les plus généreux de son auteur, et les plus accessibles.



Fellini avait horreur des décors naturels. Paradoxe, quand on sait qu’il fut l’un des co-scénaristes de la pièce maîtresse du néo-réalisme, Rome ville ouverte, de Roberto Rossellini. Rome reconstituée en studio, cela donne une plongée dans le dédale du chantier du métro romain, où s’effacent les fresques antiques au contact de l’air : une chevauchée nocturne dans Rome abandonnée aux motards ; la reconstitution apocalyptique du périphérique romain, d’où surnage un cheval blanc apeuré ; ou un défilé de mode, non de mannequins internationaux filiformes, mais d’archevêques en soutanes clignotantes, tels des sapins de Noël ambulants ! Autant de visions inoubliables issues de l’imaginaire débordant d’un cinéaste protéiforme et généreux, qui s’impriment durablement dans la rétine du spectateur. En brossant le portrait d’une Rome fantasmée, c’est l’occasion pour Fellini de rendre hommage au cinéma. Et d’émerveiller le spectateur par ses artefacts. Les reconstitutions en studio, comme on l’a vu, mais aussi les apparitions clins d’œil de l’actrice romaine par excellence, Anna Magnani – « Va dormir, Federico ! » l’interpelle-t-elle – ou de l’écrivain américain romain d’adoption Gore Vidal. Sans oublier les affiches de films qui parsèment son film, Grandi Magazzini à la station Termini de Rome. Ou bien ses multiples mises en abyme au cours desquelles Fellini se montre avec son équipe en train de tourner… Fellini Roma !


Fellini Roma, Federico Fellini (1972)
Coffret collector 3 DVD + 1 Blu-ray
Sortie le 23 janvier 2018 chez Rimini Editions
Outre la qualité de leur restauration, Rimini Editions ajoutent plus de quatre heures de bonus. 17 minutes de scènes coupées, avec, excusez du peu, Marcello Mastroianni et Alberto Sordi. Ensuite, quatre heures de programmes, Zoom sur Fellini. Deux heures consacrées aux acteurs du maestro, de Giulietta Masina à Marcello Mastroianni et Alberto Sordi, en passant par les témoignages plus rares de Terence Stamp, Freddie Jones, Donald Sutherland, Anita Ekberg ou François Périer, qui évoquent la méthode Fellini. Tourné en 1984, ce documentaire italien reproduit, parfois maladroitement, le style du cinéaste, mais comporte de nombreuses pépites. Autre bonus, vestige d’un temps où les…bonus n’existaient pas : Fellini au panier, un documentaire dans lequel Fellini explique pourquoi il a retiré telle ou telle scène du montage de ses films, notamment du Casanova ou d’Amarcord. Passionnant. Enfin, un ultime documentaire, plus convenu, nous entraîne dans les couloirs de Cinecitta, dans les ruines des décors de ses principaux films, jusqu’à E la nave va. Une édition indispensable.
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