En 2018, Le Palais du cinéma de la place Barbès fête ses cinq ans. Nous sommes donc allés à la rencontre d’Emmanuel Papillon, son directeur pour qu’il nous raconte la renaissance du Louxor et la vie de ce cinéma de quartier aux allures de temple égyptien.

Inauguré le 6 octobre 1921, le cinéma Le Louxor fait partie des plus vieilles salles de Paris. Le Palais du cinéma se démarque surtout par son style Art déco inspiré de l’Egypte antique entre influence historique et fantasmes occidentaux : peintures à pochoirs, bas-reliefs, travail de céramique pour les fresques de la façade… Racheté par Pathé en 1930, le Louxor-Pathé diffuse jusqu’au début des années 1980, des films français, américains, soviétiques, mais aussi (et déjà) des films « du sud », égyptiens et hindi. En 1981, les façades et la toiture du Louxor sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.

Le Programme journal du Louxor
La salle du Louxor en 1922

Après soixante glorieuses années, le Louxor fermait donc ses portes et les belles façades inscrites à l’Inventaire s’apprêtaient à garder les stocks de Tati, nouveau propriétaire des lieux. Mais l’interdiction de toucher à ces façades empêchait tout projet de restructuration d’aboutir, malgré la transformation en discothèque de 1986 à 1991. En 2001, face aux visibles détériorations du Palais du cinéma, les associations du quartier se sont mobilisées, Histoires et Vies du 10e, Les Amis du Louxor, ainsi qu’Action Barbès, et présentèrent à la mairie de Paris un comité de soutien au Louxor et un appel signé par de nombreuses personnalités du monde de la culture.

Parmi les palaces parisiens du début du XXe siècle, le Louxor faisait pâle figure avec ses quelques 1195 fauteuils, contre les 1900 places du Gaumont Opéra, les 3 200 du Grand Rex, boulevard des Poissonnières, ou les 6000 places du Gaumont Palace, installé place de Clichy. Aujourd’hui, avec les deux salles supplémentaires, le Louxor ne peut accueillir que 556 spectateurs. Cependant, il fait partie des seuls cinémas à balcons restant à Paris, avec le Chaplin – Denfer, le Studio des Ursulines, le Max Linder Panorama et le Grand Rex. La ville de Paris entra donc en négociation la direction du groupe Tati, soutenue corps et âme par les associations et habitants du quartier, armés de pétitions et manifestations. Enfin propriété de la Ville en 2003, le Louxor et les habitants ont patienté jusqu’en 2008 pour qu’un projet de réhabilitation soit retenu.

Photo : F. Musitelli - Les amis du Louxor

 La gestion déléguée au groupe CinéLouxor, composé de Carole Scotta, Martin Bidou de Haut et Court et d’Emmanuel Papillon, l’exploitant, Le Louxor – Palais du Cinéma ouvrait à nouveau ses portes le 17 avril 2013, inauguré avec Jour de fête de Jacques Tati !

Quel sentiment tirez-vous de ces cinq années ?

Ça passe vite cinq ans. On a une fréquentation qui est stable, à peu près 5 000 spectateurs par semaine, ce qui est un très bon taux de remplissage pour un cinéma de trois écrans. On a beaucoup de fidèles, ce qui est une autre satisfaction ! Et il y a les aléas d’un cinéma qui est techniquement compliqué à faire fonctionner, c’est lié à son histoire.

Le Louxor est une des dernières salles qui s’est ouverte à Paris, et une des dernières parmi les anciennes, n’est-ce pas ?

Rouvert, oui ça c’est sûr ! On va espérer que la Pagode rouvre ! C’est dans les tuyaux ! Le nouveau propriétaire de la Pagode, monsieur Charles Cohen, était au Louxor il y a quelques semaines. J’espère que ça lui a donné encore plus envie de rouvrir ce cinéma. Cela va prendre du temps, parce qu’il faut tout restaurer. Mais il y a d’autres salles qui vont rouvrir, des salles de complexes, de multiplexes, et tant mieux !

Mais au centre de Paris c’est devenu plus une rareté… Le Louxor c’est un peu le dernier des mohicans…

Mais espérons qu’il y a en ait d’autres qui ouvrent ! Peut-être que vous, vous en reprendrez ! [Le rêve de la rédaction de Revus & Corrigés est révélé au grand jour !]

Le Louxor a une bonne fréquentation de quartier, n’est-ce pas ?

Le public n’est pas un groupe homogène, c’est donc dur de dissocier. Il y a beaucoup de jeunes et d’écoles qui viennent au Louxor, cela représente à peu près 35 000 entrées par an pour les séances scolaires, qui sont donc essentiellement des gens du quartier. Ceux qui viennent dans l’après-midi sont aussi des gens du quartier ; le soir c’est un peu différent… 16 % de nos entrées sont des gens qui viennent avec la carte Louxor et donc qui ne viennent que chez nous. Je dirais que c’est une grand majorité de gens du quartier.

Disque ailé en mosaïque

Vous m’avez dit, la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, que le cinéma était un marché de l’offre. Pensez-vous que ces ressorties et restaurations de plus en plus nombreuses incitent à la redécouverte et un nouvel intérêt pour le patrimoine ?

Bien sûr, cela vaut aussi pour le cinéma de patrimoine. Prenons l’exemple de la rétrospective Clouzot qu’on a faite il n’y a pas longtemps en même temps que la Cinémathèque française et d’autres cinémas parisiens. On était la première salle en France en termes d’entrées pour cette rétrospective. Cela a été une grande satisfaction, car ce n’était pas gagné. Ça a permis au public de découvrir ce cinéaste ! Beaucoup de jeunes ne connaissaient pas Clouzot, ou voulaient revoir les films de Clouzot, qui étaient mal vus ou peu vus. A partir du moment où on offre des films de répertoire, les gens viennent.

Le Louxor est un cinéma ouvert au jeune public, et les ciné-concerts que vous organisez le dimanche matin marchent particulièrement bien ! On se souvient que même pour le film muet soviétique, La Jeune fille au carton à chapeau de Boris Barnet (1927), la salle était bien remplie !

Quand on est sur du cinéma burlesque, oui c’est certain ! Et pour la séance du film soviétique c’est vrai aussi. Il s’avère que la salle est très bien adaptée au ciné-concert. On a beaucoup de défaut dans d’autres domaines, mais c’est sûrement la plus belle salle de Paris – et je n’ose pas dire de France – pour le ciné-concert ! On projette les films sur l’écran historique, au bon format. Cette salle est très belle en ciné-concert.

En plus des ciné-concert, vous faites vivre le cinéma de patrimoine avec de nombreux événements, comme les ciné-quizz, qui font venir beaucoup de monde aussi !

La cinéphilie est quelque chose qui se partage, et les cinéphiles aiment les films de répertoire. D’ailleurs, forts du succès de la rétrospective Clouzot, on reprend aussi les quatorze films de Fassbinder qui sortent en salles. Pour nous, c’est un choix important : sur trois écrans, prendre quatorze films de Fassbinder pendant le festival de Cannes, ça peut paraître pas si évident que ça, mais on va le faire. Donc pendant quatre semaines, on aura des Fassbinder au Louxor. Il faut compléter aussi, que tout ça c’est grâce à des distributeurs – en l’occurrence c’est Carlotta, qui fête ses vingt ans cette année ! Si les distributeurs ne faisaient pas ce travail de restauration, de mise en avant des films de répertoire, nous ne pourrions rien faire.

© Luc Boegly

Y a-t-il une séance de patrimoine au Louxor qui vous a particulièrement marqué ?

Je vais dire quelque chose qui est un peu banal : la première ! On a ouvert le Louxor avec Jour de fête de Jacques Tati, un cinéaste qui, pour des raisons personnelles, m’est très proche. Et aussi, il y a peu, Le Plaisir de Max Ophuls, une séance animée par Fabienne Duszynski, parce que c’est un film que j’aime beaucoup ! Celles avec Fassbinder vont être formidables aussi ! Un des beaux souvenirs de séances de répertoire, c’est la séance avec Gérard Depardieu, Le Dernier métro de François Truffaut ! Ça a été compliqué à caler parce que Depardieu avait des volontés qui étaient totalement entendables : il voulait des films italiens de sa carrière, il voulait Rêve de singe (de Marco Ferreri, 1978 ndlr.), et finalement il n’y a plus de copie… Il a fallu du temps pour l’amener au Dernier métro, mais finalement il a accepté. On m’avait dit « Depardieu, tu vas voir, il est casse-couille, il est chiant ! » Et ça a été une super séance ! À la fois parce qu’il était très généreux, très attentif, il a dit des choses qui étaient très pertinentes ! Et Le Dernier métro, on a l’impression de le voir souvent, et pourtant la salle était bourrée à craquer, parce qu’il y avait Depardieu bien sûr, mais il y avait vraiment une rencontre d’un film avec une salle ! C’était une séance vraiment magique ! Et Depardieu l’a senti, c’était une très belle matinée, c’était un dimanche matin. C’était impressionnant parce qu’on marchait sur des œufs, le bonhomme n’est pas simple, mais je re-signe quand il veut, Depardieu !

Retrouvez toute la programmation du Louxor – Palais du cinéma, notamment la rétrospective Fassbinder, sur leur site internet. Pour plus d’informations sur l’histoire et la vie du Palais du cinéma, visitez le site de l’association des Amis du Louxor !
Crédits images : Photo de couverture : © Mairie de Paris, Jean-Baptiste Gurliat / © F. MUSITELLI DR / © Les Amis du Louxor DR / © Luc Boegly DR