Réalisé par Richard Fleischer
Avec James Mason, Perry King, Susan George, Ken Norton
États-Unis – 1975
Enfin ! Enfin Mandingo de Richard Fleischer sort en combo Blu-ray et DVD ! On doit ce miracle à Jean-Baptiste Thoret, inlassable défricheur du 7ème Art, qui qualifie cette sortie – dans sa collection Make My Day !, éditée par Studio Canal – de Graal pour de nombreux cinéphiles, amateurs de cinéma enragé.
Histoire de la violence
Dino De Laurentiis, producteur nabab à Cinecittà et Hollywood (La Strada et Conan le Barbare, c’est lui), acquiert en 1974 les droits d’adaptation d’une série de bouquins à la limite des romans de gare : Mandingo de Kyle Onstott. Les ouvrages, de véritables best-sellers, se déroulent dans une plantation du Sud des États-Unis et abordent l’esclavagisme. De Laurentiis, vieux briscard, voit l’occasion de surfer sur la vague de la Blaxploitation, et d’agrémenter son film de scènes érotiques, comme nous l’apprennent les suppléments passionnants qui accompagnent l’édition Blu-ray. Norman Wexler, scénariste du Serpico de Lumet (autre production De Laurentiis) signe le script. Fleischer est approché pour mettre en scène le film, mais refuse par trois fois le projet qu’il juge problématique. Trop violent, érotique, et subversif sans doute. Mandingo est une « promesse » de nombreux scandales. On y verra des esclavagistes couchant avec leurs esclaves noires. Nous sommes en 1975, le tristement célèbre Code Hayes n’a plus court depuis 1966 – il aura néanmoins sévit trente-deux ans. Mais l’Amérique, raciste, voit d’un mauvais œil les couples mixtes.
Flash-Back. Richard Fleischer, fils du pionnier du dessin animé Max Fleischer (le papa de Betty Boop et Popeye), est à l’image d’autres grands artisans du cinéma, tel Robert Wise. Un technicien brillant, grand directeur d’acteurs, qui aime aborder tous les genres : l’adaptation (20.000 lieues sous les mers), le film noir (Les Inconnus dans la ville), d’aventures (Les Vikings), la science-fiction (Le Voyage fantastique), l’épopée biblique (Barabbas), le film de serial killer (L’Étrangleur de Boston, L’Étrangleur de Rillington Place), d’anticipation (Soleil vert), policier (Les Flics ne dorment pas la nuit, matrice de toutes les séries américaines des années 80)… Ne cherchons pas plus loin le manque de reconnaissance dont est victime Richard Fleischer auprès de la critique (le combat n’est pas fini !) : on lui reproche son éclectisme et une supposée absence de signature.
Fleischer finira par accepter Mandingo, et organise par la même occasion son propre enterrement artistique (il sombrera avec d’improbables nanars au milieu des années 80 : Amityville 3D et Kalidor, auxquels De Laurentiis est attaché). Pourquoi Mandingo précipite-t-il la chute de Fleischer, au point d’en faire un quasi paria ? Parce que le film ne ment pas. Parce que le film ne juge pas. Il décrit par le menu détail ce que fut l’esclavagisme : terrifiant, et page honteuse de l’histoire des États-Unis. Le film est un énorme succès mais ne tarde pas à être retiré de l’affiche. Mandingo est renvoyé sur les étagères de ses producteurs, disparaît. Le travail de sape est payant : Mandingo est « néantisé », détesté par des spectateurs qui ne l’ont même pas vu, traîne derrière lui la réputation d’une œuvre quasi-pornographique.
Pourtant, Mandingo n’est rien de tout ça. Si Fleischer finit par accepter la commande, c’est qu’il veut montrer de manière frontale, crue, réaliste, ce que fut l’esclavage. Il filme James Mason (monumental dans le rôle de Maxwell, vieux propriétaire de la plantation Falconhurst, totalement fictive) tel un vieux sorcier pensant chasser ses rhumatismes en appuyant ses pieds sur le ventre d’un gamin noir, Perry King (qui incarne son fils Hammond) paraît humain alors qu’il est, in fine, le plus vil de tous. Fleischer n’hésite pas à montrer des mariages entre riches cousins, dénués de tout amour, promesses d’enfants consanguins. Tout semble déglingué dans le film, à l’image de ces blancs dégénérés. Le métrage est filmé avec un grain épais, poisseux, documentaire, qui évoque Massacre à la Tronçonneuse (1974). Les intérieurs sont terrifiants, expressionnistes. Cette famille d’esclavagistes, c’est la famille tronçonneuse de Tobe Hooper. A la différence qu’ils se repaissent, au sens à peine figuré, de chair et de viande noires. Mandingo pue la sueur, le vomi, le foutre, le sang et la mort. On imagine l’impact qu’a le film sur le public du Sud des États-Unis, qui en est resté au sublime mais historiquement mensonger Autant en emporte le vent. Une contradiction violente qui se retrouve jusque dans l’affiche de Mandingo, véritable anamorphose de celle du film de Victor Fleming et consorts. Le choc d’une Amérique qui se rêve encore en héros, en ces temps de guerre du Vietnam – le film sort trois mois après l’arrêt officiel du conflit.
Mandingo n’est pas qu’un film sur l’esclavage des noirs. Il est aussi un film sur l’esclavage des femmes. Les blanches ne sont pas épargnées. L’époustouflante Susan George (dans le rôle de Blanche, fiancée de Hammond) est la première victime des hommes blancs. Elle subit durant tout le film un véritable chemin de croix. La colère, la jalousie, la méchanceté, la haine, la folie, naitront du mépris et de la violence dont elle est la victime.
Mandingo est d’une violence inouïe. Fleischer filme des combats de mandingos (ces esclaves qu’on fait reproduire, élève, dresse comme des pitbulls). Il va même jusqu’à filmer l’exploitation sexuelle des esclaves par les propriétaires blancs. Le cinéaste ne recule pas non plus devant l’idée de filmer certains noirs qui se résignent, acceptent leur condition, sont dévoués à leurs maîtres. Quant à Ganymède (surnommé Mede), interprété par le boxeur noir Ken Norton, il cristallise tous les fantasmes des petits blancs. Comment Fleischer aurait-il pu survivre artistiquement à un tel film en 1975 ? Comment le pourrait-il aujourd’hui, dans une société gangrenée par le politiquement correct ?
L’heure est à la redécouverte de Mandingo, œuvre sidérante, l’une des plus personnelles et politiquement engagées de son auteur, qui laisse loin derrière elle tout ce qui a été fait sur le sujet au cinéma comme à la télévision. Quand un réalisateur signe un tel brûlot, qui résiste au temps, ne perd rien de sa puissance, de sa violence, de sa radicalité, de sa probité, il mérite bien une place parmi les plus grands.
L’édition Studiocanal de Mandingo, préfacée par Jean-Baptiste Thoret, est complétée par trois bonus : Mandingo revu par Samuel Blumenfeld, Jean-Loup Bourget et Olivier Père, « Autant en emporte le sang » : analyse de Jean-Baptiste Thoret, et une interview de James Mason pour l’émission « Cinescope » (1977).
Studiocanal
Combo DVD/Blu-ray
5 décembre 2018