Réalisé par Gilles Grangier
Avec Jean Gabin, Darryl Cowl, Bernard Blier
France/Italie – 1959

Disponible dans la collection “la séance” de Coin de Mire cinéma, Archimède le clochard explore un autre temps du vagabondage, avec Jean Gabin en sans abri anarchiste, entre autres sous la plume de Michel Audiard.


France d’en bas

Voilà un film de patrimoine dans tous les sens du terme, pas tant pour son ancienneté, mais pour son sujet et son traitement, l’inscription dans son époque. C’est l’histoire d’une pauvreté d’un autre temps, du paria volontaire et anar’, du clodo bon enfant – une mythologie longtemps cultivée. Quoi qu’il en soit, Archimède le clochard – tout est dans le titre – a ceci de fascinant qu’il est d’un désuet rare mais bougrement sympathique. « Depuis que l’on sait que l’homme heureux n’a pas de chemise, le clochard est généralement considéré comme le parfait représentant du bonheur sur Terre » disait le dossier de la sortie du film. Dans un Paris en pleine mutation, où les petites bourgades de la ville laissent la place (un peu forcées, il faut l’avouer) aux si belles barres de béton comme on a su si les faire avec tant de passion à l’époque, ce bon vieux Archimède, savant et volontairement à la rue, bat le pavé entre deux verres de muscadet. Tout le monde est un peu en roue libre, Jean Gabin le premier, qui ici étale une variation grotesque (mais sympathique) de son héros prolétaire qui jadis fit son succès chez Jean Renoir ou Julien Duvivier. Il se feint même de plusieurs petites gigues, un charleston de derrière les fagots, contrastant, à certains égards, avec son vieillissement prématuré – Gabin se vantait que ses cheveux soient devenus blancs l’espace d’une nuit, lorsque, pendant la guerre, le navire sur lequel il servait a été torpillé.

archimède photo

Sans que la réalisation de Gilles Grangier ne soit mémorable, Archimède le clochard compte à autre pilier à son comptoir : les dialogues de Michel Audiard – qui d’ailleurs écrivait l’année auparavant Les Grandes familles pour Gabin, rôle à l’autre extrémité sociale. Mais Audiard, forcément, n’est jamais meilleur que lorsqu’il faut écrire des marginaux, des anarchistes, des anti-système qui gueulent avec bon sens, houspillant en alternant tirades philosophiques et rasades de jaja. « La liberté, c’est de faire tout c’qu’on veut, y compris aller en taule quand on en a envie » , scande fièrement Archimède, préférant passer néanmoins l’hiver à l’ombre plutôt que dehors. Ou alors sur la côte d’Azur, tant qu’à faire. L’histoire elle-même était signée Jean Gabin – ou plutôt signée Jean Moncorgé, son véritable nom. Évidemment, c’est sans compter, devant la caméra, la complicité d’acolytes hauts en couleur : Bernard Blier, évidemment, en patron de troquet (forcément) ou Darry Cowl en Arsène, compagnon d’infortune (si le mot est bien choisi ?) d’Archimède, pour ce portrait au vitriol – mais tout de même assez inoffensif, soyons honnêtes – du monde dit moderne. Audiard se lâche le temps d’une séquence sur la bourgeoisie, alors qu’Archimède fait mine de s’acoquiner avec le beau monde en faisant des crêpes pendant la chandeleur. On y entend alors qu’aujourd’hui « il est impossible de trouver un nègre pour la maison, ils sont tous à l’université de lettres ou dans la rue ».

Néanmoins, Archimède le clochard, un peu vain et pourtant si plaisant, a tout de même pour lui de permettre à Gabin de préfigurer son rôle pas moins alcoolisé dans Un Singe en hiver, toujours dialogué par Audiard, mais peut-être un peu moins jouasse en dépit des apparences. La vérité est-elle dans la piquette ? Quoi qu’il en soit, c’est surtout révéler, si cela était encore nécessaire, le Gabin que l’on aime tant comme trésor national, dont la redécouverte de la filmographie bat toujours son plein après l’exhumation récente (à voir dans Revus & Corrigés n°2) de La Belle marinière, son film perdu de 1932. Un monument dont on a toujours pas fini de faire le tour, même avec ses moins grands films. Comme un document précieux sur la construction d’un certain cinéma populaire : quatre millions d’entrées pour Archimède le clochard. Ou quand la France se rêvait, l’espace de quatre-vingt quatre minutes, dans la rue. Un autre monde…


 

DIGIBOOK DVD/BLU-RAY
COIN DE MIRE CINEMA
22 OCTOBRE 2018

Archimède le clochard est édité par Coin de Mire cinéma dans la collection « la séance ». Celle-ci comprend, en plus du film, les bandes d’actualités, bandes-annonces et publicités d’époque – assez drôle et surtout ludique pour replacer le film dans un contexte populaire. Au sein du beau coffret, une reproduction du dossier d’exploitation du film, dix tirages photographiques et une affichette.

À découvrir également dans la même collection : Porte des Lilas, des Gens sans importance, Les Grandes familles, Si tous les gars du monde et Les Amants du Tage.

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