La véritable aventure derrière ce film de genre se trouve être la première expérience en tant que réalisateur pour l’acteur mythique Toshiro Mifune. Mais elle est également la dernière. Toute sa bonne volonté ne suffit pas à hisser L’Héritage des 500 000 à la hauteur des espérances. Projeté pour la première fois en France, il est pourtant une occasion inespérée d’en apprendre plus sur la personnalité de cette figure devenue légendaire à travers les films d’Akira Kurosawa.

Gojumannin No Isan
Réalisé par Toshiro Mifune
Avec Toshiro Mifune, Tatsuya Mihashi, Tsutomu Yamazaki
Japon – 1963


Sans égal et sans ego

Toshiro Mifune. L’homme de confiance du grand Akira Kurosawa qui lui a façonné en retour la carrure d’une star incontestée du cinéma. L’Ange ivre, Chien enragé, Vivre dans la peur, Les Bas-fonds, Le Château de l’araignée, La Forteresse cachée, Les Salauds dorment en paix, Yojimbo, Sanjuro… De film en film, l’acteur se module au besoin du maître, se métamorphosant aussi bien en jeune yakuza désorienté, qu’en un vieillard diminué ou en un impitoyable seigneur de guerre médiéval. Mais tout ne pouvait lui réussir, car le seul rôle auquel Toshiro Mifune ne s’était pas préparé fut celui de réalisateur.

« Je ne peux imaginer que l’idée soit venue de lui, un homme d’un naturel si discret. Je pense qu’il a dû céder, malgré lui, aux flatteries du producteur Senazumi Fujimoto ou même de la Tohô. » Dans le Dictionnaire du Cinéma japonais en 101 cinéastes, édité par Carlotta Films qui distribue le film, le recueil des souvenirs sur L’Héritage des 500 000 de Teruyo Nogami, scripte d’Akira Kurosawa, apporte un regard essentiel sur le film. Car à bien y regarder, ce seul long-métrage réalisé, produit et interprété par Toshiro Mifune n’est pas des plus mémorables. Malgré cela, celui-ci est tout aussi passionnant, nous révélant beaucoup de la personnalité de l’acteur devenu légendaire.

Il serait d’ailleurs injuste de comparer simplement ce long-métrage à la filmographie d’Akira Kurosawa. Cette chasse au trésor aux Philippines pour d’anciens soldats japonais est d’assez bonne facture. Ses coulisses rassemblent les directeur de la photographie, décorateur, compositeur, scripte et ingénieur du son de Kurosawa que Mifune a côtoyé régulièrement sur ses tournages. Devant la caméra, il incarne Takeichi Matsuo, rattrapé par un passé qui le pousse à troquer son costume cintré d’actif urbain sans histoire pour une panoplie plus adéquate à explorer la jungle. L’Héritage des 500 000 se base sur l’une des innombrables rumeurs de trésors cachés pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ancien comptable de l’armée japonaise s’avère alors un précieux allié pour la bande d’aventuriers moins scrupuleux avec qui il s’embarque.

Les aficionados d’Akira Kurosawa risquent d’être désarçonnés en découvrant ce film où Toshiro Mifune se révèle particulièrement inconsistant. Lui qui nous a habitué à des incarnations grandioses à l’écran, l’acteur paraît ici presque mal à l’aise devant la caméra. Et pour cause… « Il n’arrivait pas à prendre sur lui pour demander des gros plans de son propre visage. » Ainsi que le précise Nogami, si Mifune se lâche chez son ami Akira et parvient à y déployer toute l’envergure de son talent, se mettre lui-même en scène dans L’Héritage des 500 000 le paralyse complètement. Cela s’en ressent à l’image par sa cruelle absence de charisme. Le couperet tombe même lors du montage supervisé par Kurosawa qui le forcera à tourner ses gros plans nécessaires pour le film !

Victime de son succès, Toshiro Mifune n’a pu donc le faire perdurer cette fois en tant que réalisateur. Sa naturelle humilité efface sa volonté aussi bien derrière que devant la caméra. Comme se l’imaginaient ceux qui l’avaient poussé à la mise en scène, la seule notoriété de l’acteur permet à L’Héritage des 500 000 d’être une réussite dans les salles du Japon. Cependant, cette expérience traumatisante ne fera jamais revenir l’acteur à la réalisation, nous laissant seulement avec cet objet plutôt raté, mais curieusement le meilleur moyen de comprendre qui est véritablement Toshiro Mifune : un acteur sans égal, un homme sans égo.


Carlotta Films
Cinéma
3 avril 2019

Crédits images : L’HÉRITAGE DES 500 000 © 1963 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés.
Catégories : Critiques