Adaptation du célèbre roman de Shūsaku Endō, Silence a été redécouvert à l’occasion de l’adaptation faite par Martin Scorsese en 2016, permettant ainsi de remettre en lumière celle de Masahiro Shinoda, cinéaste de la Nouvelle Vague japonaise, signant ici un film âpre sur la croyance, dont le contrepoint américain enrichit aujourd’hui d’autant plus la lecture.

À lire, l’article « Japon, aube nouvelle » sur la Nouvelle Vague japonaise de la fin des années 1960 dans le n°4 de Revus & Corrigés.

Quand les prêtres jésuites Rodrigues et Garrpe surgissent des vagues sur les plages japonaises en 1639, la religion chrétienne est interdite. Craignant cette influence de l’Occident apportée par la foi et les armes, les autorités nippones torturent et tuent quiconque ne renoncerait pas au Christ. « C’est une simple formalité » pourtant, où il suffit de marcher sur une image gravée de la Vierge Marie ou de Jésus sur la Croix. Tel est le défi qu’impose l’auteur du roman Shūsaku Endō à ces deux hommes d’Église, venus retrouver leur mentor Ferreira, porté disparu dans l’archipel. Période déjà adaptée au cinéma avec Les Vingt-six martyrs du Japon (1931), l’ouvrage publié en 1966 a connu cette première transposition sur le grand écran avant celle, plus récente, de Martin Scorsese avec Adam Driver et Andrew Garfield. Autrement qu’un simple remake lambda, celui-ci offrait un vrai contrepoint à ce film de Masahiro Shinoda. Quand l’Américain cherche la solitude, isolant autant que possible ses acteurs dans de vastes et verdoyants panoramas filmés en Cinemascope, le cinéaste de la Nouvelle Vague japonaise préfère mettre la pression sur ses personnages. Il les séquestre par son cadre qui devient toujours plus étouffant. Ciel et horizon disparaissent lentement. Le film, tel un entonnoir, nous aspire avec eux dans les abimes et tréfonds de l’âme, nous laissant seuls avec nous-même face à un choix impossible, et ce jusqu’à ce que l’espoir s’évanouisse à son tour.

Un petit pas pour un homme

Le Silence de Masahiro Shinoda est une chute interminable, inexorable, pour le padre Rodrigues, incarné par un David Lampton à la carrière éclair (entamée en 1968 et achevée en 1975). C’est une véritable guerre de religion, dans les chairs et les esprits, qui confronte la bonne foi de chacun quand au Salut de l’âme. Aux jésuites, justifiant le bénéfice de leur présence par un apport à la population locale de connaissances en astronomie, en médecine et d’une possible immortalité après la mort, on oppose une violence implacable. Le christianisme est considéré comme une dangereuse maladie à éradiquer, quels que soient les moyens. Passion ou orgueil, Rodrigues croit encore pouvoir sauver le Salut de ses ouailles opprimées. Car les populations converties sont les principales victimes de ce chantage contre les prêcheurs venus de la lointaine Europe avec leur dieu. Aucun ne semble prêt à céder une once de terrain à l’autre dans cette lutte dont une seule et unique religion doit l’emporter. Le cinéaste assume de ne pas forcément donner le beau rôle aux japonais. Mais il met aussi en perspective cette lutte acharnée, dès l’ouverture de son film co-écrit avec l’auteur du livre : son héros prêt au martyr vient de ce mouvement jésuite qui osa contredire à l’époque le dogme imposé par l’Église de Rome.

Tout comme le long-métrage de Scorsese, le sujet central de Silence n’est pas d’ordre religieux. Les deux cinéastes ont su parfaitement prendre la distance avec cette question, travaillant leur œuvre sur ce rapport de force entre les chrétiens européens et les autorités féodales japonaises. Il s’agit essentiellement d’un combat politique : de la crainte (fondée) de l’archipel nippon de cette présence qui s’insinue parmi ses habitants et de la prise de pouvoir progressive des européens en Extrême Orient derrière les promesses et bonnes volontés honnêtes de certains agents européens. Malgré tous ces cris d’horreur, le silence règne. Le silence de Dieu face à cette folie. Un Dieu pourtant omniscient, mais laisse faire et attend avec une patience criminelle de le padre Rodrigues cède à l’apostasie. Peut-on renoncer à sa foi aussi simplement ? Peut-on même faire semblant ? Dieu le comprendra-t-il ? Mais avec Son absence remarquée, Silence nous interroge surtout jusqu’où chacun d’entre nous sommes prêt à endurer pour renoncer à ce en quoi nous croyons profondément. Et avec Kichijiro (Mako Iwamatsu), ce pathétique compagnon d’infortune de Rodrigues pour qui le pardon de l’apostasie n’est qu’une formalité, le spectateur ne sait plus au final qui croire, comment croire, et en quoi.

Alexis Hyaumet

SILENCE
Chinmoku 

Un film de Masahiro Shinoda
Avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tamba
1971 – Japon

Carlotta Films
En DVD et Blu-ray

24 mars 2021

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Le film, disponible uniquement en version originale sous-titrée, est accompagné d’une préface de Pascal-Alex Vincent, enseignant et cinéaste spécialiste du cinéma japonais et co-auteur du Dictionnaire des acteurs et actrices japonais, et nous donnant de nombreuses informations clés sur ce film qui était, jusque-là encore, inédit en France.

Crédits image : Silence © 1971 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés. / Affiche © 2019 Carlotta Films

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