Du 28 juin au 7 juillet, le Festival La Rochelle Cinéma poursuit la valse des événements cinématographiques qui se déroulent pendant l’été. Comme tous les ans, et pour la 47e édition, la ville portuaire propose une programmation de films avec pour grande ambition la découverte. Pas de compétition, pas de jury, mais des invités passionnés pour présenter la sélection du festival.
Dans le Vieux Port de La Rochelle, chaque été, les cinéphiles vibrent en chœur. Cette nouvelle édition est à l’image de la carrière de sa marraine Alexandra Stewart – comédienne chez Louis Malle, Arthur Penn, Ettore Scola ou Jean-Luc Godard – internationale, exigeante et accessible. Pendant une dizaine de jours, le Vieux Port de La Rochelle sera animé par les allées et venues des spectateurs entre plus d’une dizaine d’écrans, dont La Coursive, les cinémas CGR, la salle de concert La Sirène, ainsi que d’autres lieux de vie et d’expositions.
Ce sont peu ou prou les meilleurs films d’Argento que le Festival montrera cet été, faisant suite aux ressorties de l’an dernier par Camélia Films (voir Revus & Corrigés n°1). Seront ainsi projetés en avant-première dans leur version nouvellement restaurée, entre autres, Quatre Mouches de Velours Gris et Ténèbres. Le premier clôt la « trilogie animalière » du cinéaste et brille par la sublime musique d’Ennio Morricone, qui fait jaillir l’horreur d’un lyrisme doucereux et par la truculence de ses personnages dont le regretté Jean-Pierre Marielle en détective privé homosexuel. Quant à Ténèbres, c’est un giallo tardif mais peut-être le plus abouti de son auteur, réunissant des collaborateurs réguliers à la musique électro survoltée des Goblins, comme à la caméra avec Luciano Tovoli et ses mouvements d’appareil hallucinants. Le maestro présentera également d’un recueil de six nouvelles jusque-là inédites en France, publié par les éditions Rouge profond. Il dispensera enfin une leçon de cinéma en compagnie de Jean-Baptiste Thoret qui dévoilera quant à lui en avant-première son long-métrage Soupirs dans un corridor lointain, continuité d’un premier documentaire, invisible depuis ses passages à la télévision au début des années 2000.

Ténèbres, de Dario Argento
Talents
à la française
Hommage sera aussi rendu, en sa présence, à Caroline Champetier, probablement l’une des chefs opérateurs les plus importantes en France depuis plus de 30 ans. Technicienne hors-pair, elle a accompagné aussi bien Claude Lanzmann, Arnaud Desplechin, Jean-Luc Godard, Philippe Garrel que Xavier Beauvois. Elle se démarque par sa recherche inlassable du bon outil. Sa démarche technique et esthétique la pousse aussi bien à passer de l’argentique au numérique. Elle utilise notamment les caméras Aaton de Jean-Pierre Beauviala, génial inventeur et ami intime récemment décédé, comme la caméra Pénélope qu’elle appelle affectueusement “le chat sur l’épaule” par son poids et son ergonomie. Le numérique, notamment pour Leos Carax, qui lui permet de faire des merveilles en basses lumières sur Holy Motors. Fidèle compagne de route pour les cinéastes avec qui elle travaille, elle noue aussi une relation particulière avec ses pairs dont William Lubtchansky, qu’elle a assisté au début de sa carrière, et Bruno Nuytten, à qui elle a consacré un documentaire qui sera projeté.
L’animation à la française est aussi de la partie avec la rétrospective des films de Jean-François Laguionie. Écrivain, scénariste et réalisateur d’animation, il fit ses armes sous l’aile bienveillante de Paul Grimault. Son premier court-métrage, La Demoiselle et le violoncelliste remporta le Grand Prix du Festival d’Annecy en 1965 puis, en 1978, La Traversée de l’Atlantique à la rame obtient la Palme d’or à Cannes et le César du film d’animation. Laguionie fonde La Fabrique, studio qui lui permet de produire des long-métrages avec Gwen et le livre de sable (1984). Après Le Château des singes (1999), il enchaîne ensuite par l’adaptation de son propre roman L’Île de Black Mor en 2003, puis Le Tableau (2011) et Louise en hiver (2016). Sa poésie sera sublimée également par une exposition à la Médiathèque Michel Crépeau de La Rochelle.
D’autres rétrospectives exploreront le temps et les géographies. Le voyage proposé débute en Islande à la découverte de la création contemporaine, imprégnée de poésie et d’humour noir. Puis c’est au tour du cinéma muet suédois, à travers la figure de Victor Sjöström qui débute sa carrière en 1912 pour le compte de la Svenska Biograph. Ses premiers films (Ingeborg Holm, Les Proscrits, La Fille de la tourbière) sont obsédés par les mêmes thèmes, le bas-peuple tiraillé entre misère rurale et amours impossibles, et consacrent Sjöström comme un auteur incontournable en Europe et aux États-Unis. Chef-d’œuvre de sa période suédoise, La Charrette fantôme est non seulement marqué par son mélange entre fantastique, théologie et existentialisme, mais aussi par son déploiement d’effets techniques. Ainsi, les surimpressions font communiquer les morts et les vivants, fondus-enchainés ou contrastes éclatants se mettent au service d’une narration en flashbacks. Parti aux États-Unis à la demande de Louis B. Mayer, Sjöström réalise pour la MGM des films les plus ambitieux dont Le Vent, avec Lilian Gish (1928), et La Lettre écarlate (1926) qui figurent parmi les plus beaux mélodrames du muet avec ceux de Murnau ou Borzage. Si bon nombre de ses films suédois sont aujourd’hui perdus à cause d’un incendie qui ravagea les studios en 1941, Sjöström demeure une figure incontournable du cinéma muet, à l’image de Larmes de clown (1924), dont l’interprétation bouleversante de Lon Chaney inspira Charlie Chaplin. Sjöström arrête sa carrière de réalisateur à l’avènement du parlant et revient en Suède où il mourut en 1960, trois ans après avoir été immortalisé par Ingmar Bergman dans un autre chef-d’œuvre sur les regrets et le temps qui passe : Les Fraises sauvages (1957).
Embarquement pour les États-Unis, en vol direct en compagnie de Charles Boyer, la figure du French lover. Boyer entame sa carrière d’acteur avec le cinéma parlant et trouve un de ses plus beaux rôles dans Le Bonheur (1934) de Marcel L’Herbier. Il commence ensuite une brillante carrière américaine, multipliant les collaborations avec les plus grands réalisateurs de son époque avec en point d’orgue Elle et lui, première version, sous la direction de Leo McCarey. Après avoir obtenu sa naturalisation américaine en 1942, sa carrière prend alors une tournure plus sombre, notamment dans le très hitchcockien Hantise (1944) de George Cukor avec Ingrid Bergman. Après-guerre, il poursuit une brillante carrière des deux côtés de l’Atlantique, alternant théâtre, cinéma et télévision. Citons entre autres, côté France, le chef-d’œuvre de Max Ophüls, Madame de… (1955), et outre-Atlantique Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse (1961) de Vincente Minnelli.

Alexandra Stewart, marraine du Festival, avec Warren Beatty dans Mickey One, d’Arthur Penn.
Une fois aux États-Unis, c’est dans le Nouvel Hollywood que le festival plongera ses spectateurs avec une rétrospective des œuvres d’Arthur Penn. Issu de la télévision (200 dramatiques entre 1953 et 1958), le réalisateur de Bonnie and Clyde a également à son actif plusieurs dizaines de mises en scène à Broadway. Il passe allègrement d’un genre à l’autre, portant une attention particulière sur le jeu des comédiens. Cinéaste du chaos intérieur, peintre des âmes tourmentées par l’image qu’ils cherchent avant tout à produire dans des univers en proie à l’instabilité, Arthur Penn a construit une œuvre éminemment personnelle, tout en cherchant à s’inscrire dans son époque. Avec le recul, on s’aperçoit combien les utopies de la fin des années 1960 n’ont jamais été aussi bien perçues que dans Little Big Man (1970), La Fugue (1975) et surtout Georgia (1982), l’un de ses plus grands films. Car c’est en tant que démystificateur d’une Amérique construite sur des mensonges qu’Arthur Penn s’avère un cinéaste majeur.
Programmation multiple
Du Nouvel Hollywood, à la Nouvelle Vague ukrainienne, la programmation de La Rochelle Cinéma rend hommage à Kira Mouratova, réalisatrice qui tournait déjà depuis les années 1960, quand le monde occidental l’a découverte lors de la perestroïka. Proche de la Nouvelle Vague par sa liberté de ton et de forme, brisant le carcan du réalisme social agréé, Kira Mouratova développe une filmographie où la quête de vérité, individuelle et idéale, l’a souvent poussée à jouer elle-même ses personnages principaux comme pour Brèves rencontres (1967), récompensé au Festival de Locarno en 1987. Elle connut de nombreuses difficultés de censure au Studio Odessa où elle resta cependant toute sa carrière. Elle remporta l’Ours d’argent de la Berlinale de 1990 avec Le Syndrome asthénique, chroniques d’un monde soviétique agressif et en perte de sens. Décédée en juin dernier, La Rochelle offre donc une belle rétrospective à Kira Mouratova, pépite du cinéma soviétique.
De l’Ukraine, le festival propose un saut en Allemagne, avec des portraits de cinéastes contemporains et le voyage sera complété par une programmation « Ici et ailleurs » proposant 40 films du monde entier, inédits ou en avant-première. Mais pour nous, le voyage continue dans le temps. Sous le signe de la comédie, le festival permet des allers-retours temporels entre deux figures générationnelles de la mimique et de la grimace : Louis de Funès et Jim Carrey. Le premier incarne le cinéma populaire des années 1960 et tournait avec les plus grands, Bourvil, Jean Marais ou encore Yves Montand ou Coluche. Souvent dirigé par Gérard Oury, réalisateur dont nous fêtons cette année le centenaire de la naissance, de Funès déployait son art en comédies burlesques. Le deuxième est le grand comique des années 1990, faisant lui aussi des grimaces sa marque de fabrique, tout en leur apportant une étrange dimension mélancolique.
Un voyage qui s’achève dans le temps avec un classique de ces rencontres du Vieux Port qui offre l’opportunité de découvrir les dernières restaurations et rééditions de vingt films d’hier à aujourd’hui, de Frank Borzage à Kenji Mizoguchi, de Denys de La Patellière à Béla Tarr. Enfin, pour conclure cette programmation tout en mouvements et en découvertes, le Festival La Rochelle Cinéma nous invite à savourer le cinéma en musique avec un hommage au compositeur François de Roubaix. Prématurément disparu, on ne répètera jamais assez à quel point il était notre Ennio Morricone français. Il avait ce goût de l’expérimentation, du bricolage musical, et des géniales symphonies de bruits – en témoigne sa partition singulière de La Scoumoune (1972) et évidemment ses fantastiques bizarreries pop de L’Homme orchestre (1970). Ses duos formés avec Robert Enrico et José Giovanni, deux auteurs d’un cinéma populaire qui n’existe plus manquent cruellement au paysage français. Dans l’une de ses plus belles musiques, pour l’enthousiasmant Les Aventuriers (1967) d’Enrico, de Roubaix avait composé une mélodie sifflotée pour des funérailles sous-marines. Son propre requiem, à certains égards, lui qui disparut dans un accident de plongée en 1975, recevant à titre posthume l’année suivante son César pour Le Vieux fusil. Lui rendre hommage, c’est célébrer un moment unique de création musicale française et une modernité toujours pas tarie.