À l’heure de l’édition 2020 du Paris Images Digital Summit, réunion au sommet des amateurs et professionnels des effets spéciaux, nous avions pu nous entretenir avec l’invité de la précédente, John Knoll, sur la participation de la société Industrial, Light & Magic à la reconstruction du film d’Orson Welles The Other Side of the Wind.

Comment a débuté votre implication et celle d’ILM dans le projet ?

Je n’aurais jamais imaginé, même dans mes rêves les plus fous de pouvoir travailler sur un nouveau film d’Orson Welles. Cela a commencé par une conversation entre Lynwen Brennan, vice-présidente exécutif et directrice général chez Lucasflm Ltd., et Frank Marshall, producteur et qui avait participé au tournage. Au départ, Frank expliqua qu’ils n’avaient besoin de créer un seul plan. Il s’agissait du tout dernier plan du film, celui de l’écran d’un drive in au lever du jour et qui n’avait jamais été tourné par Orson Welles à l’époque. Quand Lynwen m’a demandé de les aider, j’ai évidemment accepté.

Le montage était-il avancé lorsqu’il vous ont approché ?

Pas du tout et c’est sans doute à cause de cela que le nombre de plans à travailler a rapidement augmenté et beaucoup fluctué. J’échangeais surtout avec le monteur, Bob Murawski, et quelques fois avec le producteur, Filip Jan Rymsza. Nous sommes passé de ce seul plan à une liste qui en comptait 60 à 90. Je ne sais plus exactement, car on nous appelait chaque semaine par rapport à des nouveaux plans dont ils avaient besoin et d’autres qui n’étaient plus nécessaires. Notre travail évoluait de façon hebdomadaire. Et c’était des choses diverses. 

Desquels vous souvenez-vous en particulier ?

Il y avait des passages où il manquait quelques images ou bien cette séquence au début avec la projection du film dans le film. Welles avait filmé les deux acteurs [Geoffrey Land et Norman Foster, ndlr] en train de regarder l’écran et de se parler, mais il ne les a jamais filmés dans le même plan. Le monteur Bob Murawski les voulait dans la même image, l’un par-dessus l’épaule de l’autre. Nous avons donc empiler les deux pour créer l’illusion (ci-contre, en haut). Nous avons même tourné des plans dans notre salle de projection à Industrial Light & Magic pour celle de la villa, un peu plus tard dans le film (ci-contre, au centre). Pendant la fête, vous avez aussi tous ces plans où John Huston tire sur les mannequins. Aucun de ces plans n’existaient et nous avons dû les filmer. Tout a été fait à partir de plans qui ont été filmés. Il n’y a pas d’effets visuels numérique de synthèse. Nous avons tourné plusieurs éléments aux studios 32TEN à San Rafael et certains éléments provenaient de nos banques d’images, comme les explosions de feux d’artifice dans le ciel. Nous avons tourné une à ou deux journées à 32TEN, surtout pour les explosions des mannequins, et puis quelques moments à ILM pour la salle de projection. Il y a un plan également un plan de matador posé sur une table et que l’on a filmé au sixième étage chez Lucasfilm (ci-contre, en bas).

Quel fut pour vous le plus compliqué à fabriquer ?

L’une des choses les plus difficiles était cette scène au début où John Huston et Peter Bogdanovich sont à l’avant d’une voiture décapotable pendant qu’ils sont interviewés. Cette scène est un mélange des deux tournages. Rich Little jouait au départ le rôle que Peter Bogdanovich tient dans la version finale. Ils voulaient utiliser au montage des plans dans lesquels Rich Little était. Donc nous avons dû le remplacer dans ces plans. Ils ont trouvé des images de Peter assez proche et avec le bon angle pour l’intégrer. Il y avait également besoin de beaucoup de tracking, de rotoscopie et d’étalonnage. Cela devait faire 6 à 8 plans vraiment très compliqués à obtenir. On remarque parfois dans cette séquence que la silhouette de Peter Bogdanovich présente un léger lisserai qui résulte de l’association des deux plans (ci-dessous, à gauche). Il y a aussi, vers la fin du film, quand l’acteur se rend à l’arrière de la maison quand la fête est terminée, vous avez un homme qui est endormi sur le canapé. C’était le rôle que tenait Peter Bogdanovich à l’origine, avant qu’il ne change entre les deux tournages. Nous avons dû aussi changer le visage sur ces plans pour que ce ne soit plus Peter à l’écran (ci-dessous, à droite).

Other Side Peter

Vous êtes-vous référencé en amont aux précédents films d’Orson Welles pour concevoir ces nouveaux plans ?

Non, nous avons juste étudié ce qu’il nous fallait faire et commencé à travailler dessus. Il y avait aussi des montages partiels qui existaient déjà à partir desquels on pouvait travailler, comprendre le style de montage. Mais je n’étais pas directement impliqué dedans. Je n’ai vu le film terminé que bien longtemps après que nous ayons achevés ces plans.

Que pensez-vous de ce qu’aurait fait Orson Welles avec vos possibilités techniques ? Le film aurait-il été le même ?

On ne saura jamais vraiment. Tout le monde était très impliqué, à mettre tous les efforts pour essayer de comprendre quelle était l’intention du cinéaste et essayer d’y être le plus fidèle possible. Ce n’était pas un projet super difficile. Il y avait quelques plans qui étaient vraiment compliqués, qui demandaient pas mal de travail. Mais la raison de le faire était surtout pour sa valeur historique. Essayer d’aider de finir ce film qui était resté en l’état pendant des décennies. C’était le travail d’Orson Welles et c’était important pour l’histoire du cinéma.

Entretien réalisé le 1er février 2019, à Enghien-les-Bains.
Remerciements à Ophélie Surelle et aux équipes du PIDS et du CDA d’Enghien-les-bains.


En prolongement de :
• “Orson se serait emparé du montage numérique” – Entretien avec Filip Jan Rymsza, dans Revus & Corrigés n°5 – hiver 2019, p44
• “Le dernier film d’Orson Welles”, dans Revus & Corrigés n°1 – été 2018, p40


THE OTHER SIDE OF THE WIND

UN FILM DE ORSON WELLES
AVEC JOHN HUSTON, PETER BOGDANOVICH, OJA KODAR
2018 – ÉTATS-UNIS

Disponible sur Netflix