De nouveau sous les feux des projecteurs grâce au film de Rupert Goold et aux trait de Renée Zellweger, Judy Garland était à la fois une enfant, une star, une victime et la reine d’Hollywood et du showbiz. Ce que le film ne montre pas est raconté dans la biographie écrite l’année dernière par Bertrand Tessier.

Judy Garland, Splendeurs et chute d’une légende de Bertrand Tessier n’est pas une biographie factuelle et factice de la vie de la star hollywoodienne, mais le roman de la vie de la petite fiancée de l’Amérique. Cette fiancée qui se maria très jeune à 19 ans, un premier mariage comme un pied de nez à la MGM qui n’avait pas béni cette union – MGM qui elle-même libérait la jeune adolescente de 13 ans de l’emprise de sa mère, pour quelques temps du moins. La vie de Judy Garland ne fut qu’une fuite en avant, à mille à l’heure, plus rapide que tous les trains et les avions qu’elle a pu prendre pour aller des salles de concert internationales aux plus petits music-halls. Une fuite qui dura 47 ans – seulement. Le roman de Bertrand Tessier, dans sa sobriété et son rythme reflète bien cette course insensée vers la chute.

Judy Garland – Frances Ether Gumm – et ses soeurs Janey et Jimmie.

Depuis le fin fond du Minnesota, jusqu’au Carnegie Hall, en passant par les studios de la MGM, vers les plus sombres mansardes, on pourrait tirer de très nombreux films de la vie de Judy Garland. Le premier film pourrait être l’histoire d’une enfant objectifiée, la source de revenue de sa mère, tiraillée entre son amour de la scène et de son père – elle monta sur les planches du music-hall de son père à l’âge de trois ans aux côtés de ses deux sœurs, formant les Gumm Sisters – et la maltraitance de cette mère tyrannique. Cette enfant serait en route vers la gloire, les spectateurs et les critiques sont unanimes nous raconte Bertrand Tessier. Elle a « ce petit plus », le don, mais pour le cinéma, elle ressemble est la « Girl Next Door ». C’est la bataille et le rêve d’une mère pour perfectionner une fille sage et déjà épuisée. Puis le portail de la MGM s’ouvre enfin… pour mieux se refermer.

Le deuxième film pourrait être celui des premières minutes du Judy de Rupert Goold mais dont le film s’éloigne très rapidement : l’histoire d’une adolescente pour qui le monde enchanté de la MGM où il y a « plus d’étoiles que le ciel », n’est rien à côté de l’idée qu’elle se fait du monde extérieur. Ce monde extérieur où elle pourrait manger autre chose que du bouillon clair, où la forme de son visage ne poserait pas de problème, où les « petits disques en caoutchouc pour ses narines » ou « les caches pour dissimuler l’irrégularité de sa dentition » n’existeraient pas. Ou comment le plus grand studio d’Hollywood anéantissait la personnalité des poulains de son écurie. Heureusement qu’il y avait la chanson et la danse, comme tout au long de sa vie. Mais comment se souvenir des paroles et des chorégraphies quand pour maigrir on prend des énergisants puis que le sommeil ne vient plus ? 

Le film de la vie de Judy Garland devrait s’appeler She did it their way. De sa mère à Louis B. Mayer ; de Busby Berkeley, le grand cinéaste des comédies musicales à Vincente Minelli qui l’a fit découvrir aux spectateurs sous un autre jour (artificiel) ; des transformations de son visage aux drogues médicamenteuses en passant par l’avortement ; de sa rencontre bénéfique avec Joseph L. Mankiewicz qui lui conseille la psychanalyse à sa mère horrifiée qui lui demande d’arrêter en jouant sur l’influence de Mayer ; d’un mariage à un autre avec des hommes, des voleurs ou non, qui lui promettaient de la remettre sur le devant de la scène. Une vie où tout fut adaptation, effort, révolte, chute et rebond, toujours dans l’espoir d’une existence meilleure, somewhere over the rainbow… Cet espoir fut sa force, une force qui la transforma en icône LGBT et plus encore, mais qui fut aussi autodestructrice. Après plusieurs tentatives de suicide – des appels à l’aide par le moyen qu’elle connaissait le mieux, les médicaments – chacun savait qu’il ne fallait pas les laisser à sa portée. Bertrand Tessier raconte que le comportement de son dernier mari, Mickey Deans tenait « de la non-assistance à personne en danger ». Même sa mort, elle ne l’aurait pas choisie. Et de conclure : « Toute l’Amérique aimait cette femme faible et forte, discrète et exubérante, drôle et désespérée, autodétruite et longtemps indestructible ». 

Judy Garland dans sa loge au Greek Theatre de Los Angeles.

Même Hollywood ne pourrait pas inventer une histoire comme celle-ci (et pour l’instant ils n’ont couronné d’un Oscar qu’un simulacre de ce désespoir) c’est pourtant bien Hollywood qui en a tracé le sillon.


Judy Garland, Splendeurs et chute d’une légende, Bertrand Tessier, éditions L’Archipel, mai 2019, 19€.
Image de couverture : Judy Garland (1922-1969), vers 1955. (Photo by Silver Screen CollectionGetty)

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