Le 20 février 2020, Kirk Douglas tirait sa révérence à 103 ans, un âge tout aussi légendaire que la carrière qu’il s’est forgée sur le grand écran. La première pierre posée à l’édifice de son monument est sans aucun doute Le Champion de Mark Robson édité en DVD et Blu-ray chez Rimini Éditions et dans lequel l’acteur y incarne un boxeur plus vrai que nature. Un rôle qui lui va comme un gant, notamment à cause de son profil d’outsider transcendant un Kirk Douglas qui a connu un début de vie difficile et est parvenu à se hisser hors d’une misère sociale à la seule force des bras.

La silhouette entourée d’un boxeur s’avance dans la pénombre d’un long couloir. L’orchestration grave de Dimitri Tiomkin renforce l’idée de la lourde démarche d’un gladiateur qui va entrer dans l’arène où la clameur du public chauffé à blanc rugit déjà. Rien ne le distingue, à part « Midge Kelly » inscrit dans son dos et le titre Champion qui vient surgir à l’image, comme bondissant de l’ombre du sportif qui franchit le seuil ultime. Qui est-il ? Qui est ce Kirk Douglas que le générique nous annonce en acteur principal ? C’est l’une des forces de ce long métrage signé Mark Robson qui va alors propulser le jeune acteur aux sommets d’Hollywood et à la conquête du monde. Lorsqu’il se révèle enfin, sur le ring, les muscles saillants d’un corps parfait surmontée d’une belle gueule aux traits anguleux et au charisme irradiant implacablement la pellicule, Kirk Douglas nous apparaît tel un géant immuable du grand écran. Il ne s’agit alors que de son huitième film, mais le premier en tant que tête d’affiche. À 33 ans, sa carrière de super star se lance enfin.

Mon nom est personne

Lorsque le commentateur posté au pied de l’estrade raconte dans son micro que le public n’applaudit pas seulement le champion, mais surtout l’histoire qu’il porte avec lui, Robson ne fait faire plus qu’un entre son héros et l’acteur qui l’incarne. Par l’impact qu’il a eu sur le parcours de Kirk Douglas, Le Champion ne se considérait pas seulement en énième film de boxe. D’ailleurs, la United Artists se voit coller un procès pour plagia de la part des studios RKO, misant eux sur leur propre production, Nous avons gagné ce soir (The Set-up), qui sort aussi en 1949. Dans cet autre film de boxe, Robert Ryan est un boxeur raté sur la pente descendante et qui, pour son dernier combat, refuse de se coucher face aux injonctions de la pègre locale. Quasiment en temps réel, le long métrage de Robert Wise, adopte un angle plus orienté à l’extérieur du ring pour retrouver un sursaut d’orgueil salutaire dans une ambiance générale fleurant défaitisme cynique. Presque à l’inverse, Le Champion, que le public préféra, Mark Robson rejoue le mythe d’Icare avec un Kirk Douglas qui a tout à prouver.

Pour qui ne saurait ou ne savait pas, l’autobiographie de Kirk Douglas publiée en 1988 souligne ce profil commun qui rapproche le personnage et son interprète. Le Fils du chiffonnier raconte comment l’acteur, descendant d’une famille juive et très pauvre émigrée d’Europe de l’Est, a su gravir les marches du succès. Avant de connaître la lumière des projecteurs qui l’attiraient depuis longtemps, Issur Danielovitch de son vrai nom a connu mille vies et petits boulots, manquant même de perdre la vie sous les drapeaux durant la Seconde Guerre mondiale. Évidemment, l’Amérique adore ces récits de ces inconnus de nulle part et deviennent quelqu’un. Le Champion commence ainsi clandestinement à bord des trains de marchandise ou au fil des routes poussiéreuses du Midwest avec ce Michael dit « Midge » Kelly et son frère boiteux Connie (Arthur Kennedy). La rencontre providentielle pour ces deux errants sans le sou est celle avec un boxeur qui les prend en autostop et les invite à assister à son match du soir à Kansas City. Le reste appartient à une légende…

Working class hero

Tout comme pour Kirk Douglas, Midge saisit sa chance afin de passer d’outsider à roi du ring. À partir d’une nouvelle du journaliste sportif Ring Lardner, Mark Robson et son scénariste Carl Foreman balisent les codes du genre. Sept décennies plus tard, Le Champion se révèle toujours comme le parfait manuel du film sportif construit sur cette ascension vers les plus vertigineux sommets. Kirk Douglas brille constamment. Parti du plus bas de l’échelle, Midge se débrouille pour jouer des gants et se prendre au jeu à en devenir le plus grand. L’acteur, par son propre parcours de vie, apporte cette authenticité à cette sorte de héros de la classe ouvrière qui tente de s’en sortir comme il peut. Il se réfugie au milieu des cordes des problèmes plus terre à terre et amoureux des relations complexes – et amoureuses – à tisser entre êtres humains en gravissant une à une les strates sociales. Dans le carré, tout est plus simple. Il suffit d’être le plus fort. Cependant, à trop vouloir s’extraire du monde réel sans s’imposer de limites, le boxeur en quête de gloire perdra progressivement les siens, et peu à peu, lui-même.

Le Champion est également un marqueur les mutations de l’époque sur la boxe. D’une part, sociale, comme pour le film de Wise avec l’influence de personnes peu recommandables issu du milieu criminel et de la pression néfaste que pouvaient avoir les paris sportifs illégaux. De l’autre, la transformation du rapport à l’image de ce sport ô combien cinématographique, avec les évolutions technologiques de retransmission des matchs vers ce petit écran qui commence alors en sourdine sa révolution des sociétés occidentales. La caméra parvient avec brio à épouser les mouvements des combattants qui virevoltent sur le ring. Elle sait nous placer au cœur de l’action avec un réalisme confondant, sublimé par la photographie en noir et blanc de Franz Planer. Le producteur Stanley Kramer aura réussit son pari en misant gros sur ce Kirk Douglas à qui il aura fait renoncer à un autre projet pour incarner cet ambigu Champion, tandis que Mark Robson ira plus loin encore dans le dévoiement de ce beau sport dans Plus dure sera la chute en 1956.

Douglas en décroche même sa première nomination à l’oscar du Meilleur acteur. Il commence ainsi à tutoyer les sommets, avec un parcours rythmé de personnages venus d’en bas, pas toujours irréprochables en tant que journaliste à sensation sans scrupules pour Billy Wilder (Le Gouffre aux chimères, 1951) ou en viking pour Richard Fleischer (Les Vikings, 1958) mais sans cesse sur la brèche, observés, admirés ou craints de tous, luttant contre une adversité qui exerce verticalement son pouvoir. Pas étonnant de le retrouver ensuite à s’investir en produisant Les Sentiers de la gloire (1957), Spartacus (1960) ou Seuls sont les indomptés (1962). Le fils de chiffonnier devint alors la figure mythique populaire du cinéma et jusqu’à son plus beau rôle, celui de centenaire hollywoodien, bon pied bon œil, avant de raccrocher définitivement les gants le 5 février dernier, inspirant à jamais des générations de spectateurs, lui qui fut et sera toujours Spartacus.

Alexis Hyaumet

Champion

LE CHAMPION
(Champion)

Un film de Mark Robson
avec Kirk Douglas, Marilyn Maxwell, Arthur Kennedy
1949 – États-Unis

Rimini Éditions
En Blu-ray et DVD le 25 août 2020

Un supplément de 23 minutes accompagne le film dans lequel la critique et écrivaine Séverine Danflous revient sur la génèse de ce projet proche d’une série B et analyse la mise en scène du long-métrage et ses personnages qui auront permis, contre toutes les attentes et standards de l’époque, d’aboutir à un succès critique, public et de révéler le talent d’acteur de Kirk Douglas.

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