Dans un essai dense et passionnant, Juliette Goffart décortique les motifs récurrents du cinéma de David Fincher, tissant la toile des obsessions du réalisateur américain autour de la représentation de la violence physique et symbolique de la société américaine.
Que se cache-t-il dans l’esprit tortueux de David Fincher ? En onze films, et deux séries, le cinéaste dresse un portrait sombre de l’âme humaine et de la société américaine contemporaine. Juliette Goffart partage dans cet essai sa fascination pour ce sujet en cherchant à comprendre comment le réalisateur formaliste, perfectionniste, obsessionnel, s’interroge sur la naissance du mal dans la société par le biais de personnages maléfiques, finalement aussi obsessionnels que lui. La critique s’attèle ainsi à décortiquer un à un, de manière assez didactique (visuels à l’appui) les principaux motifs de son cinéma : chaos du monde, déconstruction de la virilité, paranoïa, mise en scène de la mort, jeu médiatique… Les exemples et parallèles entre les œuvres, d’Alien 3 (1992) à Mank (2020), s’enchaînent. À noter notamment les analyses brillantes autour de la question originale de l’écriture manuscrite chez Fincher, qu’on retrouve partout, des lettres du tueur de Zodiac (2007) aux carnets d’Amy Dunn dans Gone Girl (2014) ou les écrits de Dante dans lequel se plonge l’inspecteur Somerset dans Se7en (1995), et sur l’utilisation des mots par des personnages au débit mitraillette, dont The Social Network (2011), Fight Club (1999) et les duels verbaux de la série Mindhunter (2017-2019).

L’essai part intelligemment à chaque fois des personnages de Fincher, ses tueurs et ceux qui leur font face. Juliette Goffart ouvre ainsi David Fincher, l’obsession du mal sur la bonne idée d’un bref glossaire des serials killers fincheriens, rappelant les évidences (le Zodiac, John Doe, les tueurs de Mindhunter) et des figures symboliques tout aussi inquiétantes (Mark Zuckerberg, les époux Underwood dans House Of Cards, Lisbeth Salander, la société de The Game…). Goffart laisse ainsi de côté quelques aspects de la carrière de Fincher, comme la période clips / pubs chez Propaganda, quasiment passée sous silence. L’Étrange histoire de Benjamin Button (2008), Panic Room (2001) et la série House of Cards (2013-2018) sont traités de manière très partielles, l’auteure se passionnant logiquement plus pour les thématiques de Gone Girl, Se7en ou Mindhunter, décortiqués avec beaucoup d’attention.
L’analyse des références cinéphiliques du cinéma fincherien passionne également. On y retrouve les liens avec Alfred Hitchcock, notamment via un parallèle entre Gone Girl et Vertigo (1958), ou La Mort aux trousses (1959) et la fin de Se7en, mais aussi les thrillers paranoïaques des années 70 dont Fincher est l’un des grands héritiers. La mise en perspective de quelques pépites, comme Star 80 de Bob Fosse (1983), donne ainsi envie de se plonger, au-delà de la filmographie de David Fincher, dans toute une part du cinéma américain lui aussi obsédé par le mal.
