Sélectionné à Cannes Classics lors de cette 75e édition du Festival de Cannes, le documentaire de Lucie Cariès restaure le regard posé sur Romy Schneider, depuis trop longtemps uniquement perçue comme brisée par la perte de son fils. 40 ans après sa disparition, on admire avec ce documentaire une comédienne lumineuse, ambitieuse et libre.

Entretien réalisé lors du Festival de Cannes 2022.

Comment vous est venu le projet de ce documentaire ?

C’est Clémentine Deroudille, qui est commissaire de l’exposition Romy Schneider à la Cinémathèque française qui a eu l’idée, est allée contacter Félicie Roblin, la productrice de Zadig qui m’a proposé de le réaliser.

Quelle était la relation aviez-vous à l’actrice en tant que spectatrice ?

Romy Schneider c’était la comédienne de ma mère, elle a vraiment accompagné cette génération, et je l’ai vécue comme cela. J’avais 11 ans quand elle est morte, et c’est moi qui ai annoncé à ma mère sa disparition. Ma mère arrosait une plante, l’arrosoir est tombé et elle s’est mise à pleurer. Il y a eu quasiment une semaine de deuil à la maison. Romy Schneider prenait énormément de place. Pour moi c’était un peu compliqué car ma mère me traînait au cinéma pour ne pas y aller seule car il fallait systématiquement qu’elle y aille. J’ai vu La Mort en direct, j’avais 8 ans et demi ! J’avais déjà vu Le Train à la télé déjà et ça m’avait impressionnée. Je me disais que la vie avait l’air compliquée mais qu’elle valait la peine d’être vécue. C’était donc très affectif. Et avec le film, j’ai pu me retourner vers elle étant maintenant moi-même une femme adulte. Cela a été comme une rencontre vers cette femme, qui est tellement passionnante ! Et il se trouve que cette femme c’est Romy Schneider. Et c’est cela qui m’a intéressée, la femme qui a vécu.

Y a-t-il des films que vous avez découvert ?

J’ai découvert par exemple Le Trio infernal [Francis Girot, 1974, ndlr], qui n’est pourtant pas un grand film, c’est un nanar, un sous-La Grande Bouffe. Mais ce qu’elle fait dedans est très étonnant. Ce n’est pas du tout la Romy Schneider à laquelle on s’attend. Et ça m’a fait marrer. Sinon je connaissais beaucoup de ses films.

Romy Schneider était une actrice populaire dont la filmographie fait partie de la cinéphilie française.

Oui et c’est pour cela qu’on a mis les extraits de Sissi en VF et non pas en VO car ça participe de ça aussi. C’est comme cela qu’on les connaît.

Ce qui m’a semblé neuf, c’est d’approcher la vie d’une actrice comme tissée à la fois de sa carrière professionnelle et de sa vie personnelle, ce qui est assez rare, surtout pour les femmes. Comment est-ce qu’on tisse tout cela ?

6 mois de montage, et on aurait pu faire plus ! Comme vous dites, cela se tisse, on avance d’intuition en intuition, de façon assez organique, parce que mine de rien, il y a une cohérence dans tout cela. Elle n’était pas dans une perspective de carrière, elle allait vers ce qui l’appelait mais dans la mesure ou c’est avant tout une comédienne, chaque rôle fait écho à un moment de sa vie, à une envie qu’elle a et c’est comme cela qu’on a construit le film. Dans le même temps, nous voulions nous dégager de ce déterminisme. Cela fait 40 ans qu’on se la raconte sous un angle absolument tragique, parce qu’il y a eu drame à la fin, et quel drame ! mais c’est comme si on lisait tout à l’aune de ça. J’ai voulu me replacer dans sa propre temporalité et avancer avec elle dans sa vie, au présent. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais le commentaire est entièrement au présent. Et donc on avance avec une femme qui se construit, qui se bat, qui se positionne et qui avance. Quand on parle de Romy Schneider, on commence toujours systématiquement par L’Important c’est d’aimer. Et on en peut plus ! Je détesterait l’idée de faire parler les morts, mais je pense qu’elle n’aimerait pas du tout qu’on la présente comme une victime. C’est pour cela qu’on commence le film en disant : « Romy, c’est Rosalie ». Parce que c’est elle qui le dit. C’est ça qui est bien dans le fait de travailler les archives. Quand elle dit : « j’envie Rosalie, il y a beaucoup d’elle en moi et beaucoup de moi en elle ». C’était évident de commencer par cela, puisque c’est elle qui nous le dit.

La trame chronologique est-elle arrivée immédiatement dans la façon de raconter Romy Schneider ?

Oui car c’est cohérent comme cela. C’est compliqué quand on fait une biographie de faire trop les malins avec ça. C’est parce qu’il s’est passé telle chose avant que tu prends ta décision, que tu fais tel choix. C’est dangereux d’essayer de faire autrement.

Vous avez dû traiter un nombre considérable d’archives de différents type : photos personnelles, extraits de films ou de tournages, des musiques de films, mais il y a aussi ses interviews, son journal intime, des lettres sont évoquées. Et parfois on a même l’impression que les images de tournage sont ses vraies images personnage.

Mais parce qu’en fait il n’y a pas d’archives personnelles de Romy Schneider. C’est marrant que vous ayez eu ce sentiment.

Il y a quelques photos, les photos de famille ?

Très peu, les photos avec ses enfants sont effectivement des photos personnelles mais elles se comptent sur les doigts d’une maint et le film fait 90 minutes. C’est génial que vous ayez eu ce sentiment-là. C’est peut-être dû aux voix-off. Car il y a beaucoup d’archives qu’on a utilisées uniquement au son et je pense que c’est ça qui crée cette impression de proximité en fait. C’était intéressant de construire cela.

Une grande partie des films de Romy Schneider sont restaurés, vous avez eu la chance d’avoir des films en très bonne qualité, ce qui n’est pas le cas de certaine sarchives. Comment joue-t-on avec cela ?

Il y a en plus des images de making-of où le point était extrêmement approximatif et là sur grand écran ça pique un peu les yeux quand même.

C’est peut-être ce qui rend ce sentiment un peu plus personnel, non ? Quand elle demande un café à quelqu’un hors-champ, c’est très serré sur elle. On dirait presque un film de famille.

Tant mieux que vous ayez eu ce sentiment. On a essayé de ruser justement avec les voix-off car on était en mal d’éléments intimes.

Y a-t-il des archives que vous n’avez pas pu prendre, notamment à cause de leur qualité ?

Il y a surtout des archives que j’ai gardées en dépit de leur qualité ! C’est pour cela que j’ai particulièrement remercié l’étalonneur et le mixeur. On a vraiment essayé de travailler la matière, mais parfois c’était difficile.

Quelle a été la relation de travail avec la Cinémathèque française ?

La Cinémathèque ça a été le point de départ, mais on a très peu travaillé avec eux. C’est surtout un fond de photo qui a été important. Et la Cinémathèque va être le point d’arrivée car il y aura une projection du film le 13 juin.

César et Rosalie (1972) de Claude Sautet

Vous parlez de la voix de Romy Schneider, mais il y a aussi la voix de Swann Arlaud. Comment l’avez-vous choisi ? Souhaitiez-vous particulièrement une voix masculine ?

Au début, la chaîne n’était pas convaincue et Félicie la productrice a été géniale et s’est vraiment positionnée en me disant de me lancer. Et Swann a vraiment emporter le morceau et le film. Je voulais que ce soit un homme parce que Romy Schneider. Je ne voulais pas qu’il y ait une espèce de filiation qui s’instaure, même de façon tacite, entre une actrice et une autre, une femme et une autre. C’est pour cela qu’on termine le film sur elle disant qu’elle n’a rien à conseiller aux jeunes comédiennes. C’est peut-être une place qu’elle ne voulait pas tenir. C’est pour ça que je voulais un homme, un homme jeune, une modernité, car je suis convaincue de la modernité de Romy Schneider. Et un homme vulnérable avec parfois la voix qui peut être un peu fragile. Quand je l’ai appelé pour lui proposer, je lui ai dit : « Si ce n’est pas toi, il faudrait que ça soit Patrick Dewaere ». Ça l’a fait marrer mais c’est exactement ça. C’est cette virilité-là que je voulais. Et on a énormément travaillé, ce qui était génial ! D’habitude pour les voix, on se parle un peu en amont, ils viennent, on enregistre, ce qui prend peut-être trois jours. Et là on a fait des séances de travail à la table, comme il dit, car il vient du théâtre. On épluchait le commentaire, il avait vu le film et je lui racontais tout ce qu’il y avait entre les lignes, tout ce qui était au montage et qui n’y était plus. C’était passionnant ! Et après je l’accompagnais en lui disant que c’est de comédien à comédien, en étant dans la temporalité de Romy Schneider. Par exemple quand il parle de Delon et Romy au début de leur histoire, c’est comme si on se retrouvait dans un café et que je lui demandais : « Comment ils vont Romy et Alain ? ». Et lui me parlais de potes communs. Mais il y a quand même la beauté de Romy Schneider, on ne sais pas trop quoi en faire, c’est énorme. J’ai voulu m’en débarrasser. Cela commence toujours comme ça, elle est belle, voilà c’est dit. Et au début, Swann était super amoureux. Je lui disais de ne pas être dans ce registre-là. Et là il me répond : « Écoute, laisse-moi au moins dans l’introduction, être super amoureux ! Je te promets après je le fais plus, mais quand même ! ».

Vous avez abordé de manière directe et sans paraphrase la proximité des parents de Romy Schneider avec le parti nazi. J’ai trouvé que c’était un ton très juste, et c’est très important dans la vie de Romy Schneider, à la fois un tabou et quelque chose à expier. Comment avez-vous voulu aborder cela ?

On parle très souvent de Magda, sa mère, et du fait qu’elle habitait à côté du nid d’aigle. Et Romy a même dit un jour qu’elle soupçonnait sa mère d’avoir couché avec Hitler. Je pense que c’est de l’ordre de l’expiation. Elle ne peut pas envisager plus abject. Et donc elle est allée au bout du truc. Mais on ne parle jamais du père. C’est aussi parce que Madga a accompagné le début de carrière de Romy mais quand même. Et donc je me demandais vraiment où était le père à ce moment-là. La documentaliste, une femme absolument géniale a commencé à chercher. Et très vite, elle trouve une carte, qui date de 1933, et qui prouve que Wolf Albach-Retty est donateur des SS, et qu’ensuite il y a reçu l’indulgence. Et c’est aussi important que Magda pour Romy. J’ai voulu poser les choses. Je procède beaucoup par petits cailloux; Je les pose au fut et à mesure, et à un moment dans le film, on ramasse. Donc j’ai posé des petits cailloux de son rapport à l’Allemagne, de son histoire. Et arrive le moment où elle fait cinq films en huit ans qui traitent de la Seconde Guerre mondiale.

Ce qui amène également un peu d’aspérité au « personnage » de Romy Schneider, c’est son rapport aux combats féministes des années 70, à la question de l’émancipation. Vous racontez Romy Schneider dans cette époque, elle semble à côté de la plaque dans ses paroles alors même qu’elle toujours vécu cette émancipation.

Elle ne voulait pas être dans le courant, être récupérée. J’ai pas mal pensé à ma mère à ce moment-là. Ma mère est née en 1937, et Romy en 1938. Et ma mère me disait qu’elle n’était pas féministe. Toute révolution passe par un côté radical. Et je pense qu’il y avait tout un tas de femmes qui étaient à la fois contentes ce qu’il se passait et en même temps pas à l’aise aux entournures. Et pour Romy je pense que c’était pareil, et donc il y a eu le magazine Stern, poser nue, son soutien au droit à l’avortement. Ce que je trouvais intéressant, c’était qu’elle affirmait son individualité face à ce courant très fort.

Tout à l’heure vous parlez de ce qui avait été sorti du montage. Est-ce qu’il y a d’autres moments, ou faces, de la vie de Romy Schneider que vous n’avez pas évoqués ?

C’est plus une histoire de durée, et la volonté de ne pas trop s’installer dans certaines choses. Par exemple, Le Train, il y avait deux façons d’en parler : le rapport au nazisme et le fait qu’elle incarne une juive allemande, mais c’est aussi un moment où elle a une histoire extrêmement forte avec Jean-Louis Trintignant. L’année dernière j’ai réalisé un film sur Jean-Louis Trintignant, où il dit s’être comporté comme un imbécile avec Romy Schneider. Ils ont eu cette histoire pendant le tournage, elle pensait que ça continuerait et lui est retourné vers sa femme. Pendant un moment, Le Train arrivait deux fois dans le montage. Et en termes de narration, ce n’est pas possible. C’est ce genre de choses auxquelles on s’est confrontées avec la monteuse.

Vous avez réalisé de nombreux autres documentaires et notamment d’autres portraits d’acteurs, Jean-Louis Trintignant, Lino Ventura, et Louis de Funès. Avec Romy Schneider, ce sont tous des comédiens assez secrets, malgré leur grande popularité. Qu’est ce qui vous attire dans ces portraits d’acteurs ?

C’est évidemment leur parcours, et c’est l’homme ou la femme qu’ils sont. Et accessoirement ce sont des gens connus. Le film sur Trintignant, je l’ai écrit avec Yves Jeuland. Trintignant était trop complexe pour moi, trop vénéneux. Il y a quelque chose de trouble que je n’ai toujours pas percé mais qui m’intéresse vachement. De Funès, j’ai toujours eu une passion pour lui, et j’ai voulu essayer de comprendre qui était l’homme. C’est toujours de l’ordre de l’intuition. Et c’est en se confrontant aux archives que les choses arrivent. J’ai plongé dans Ina Media Pro pendant un ou deux jours, avant même d’écrire. Et à un moment il y a quelque chose qui arrive, je ne sais pas qui est cette personne. Et là, j’ai vu un homme séduisant. Ce qui est étonnant. Tout le monde m’a dit que j’avais complètement déliré mais c’est ça qui donné envie de faire le film. Pour Lino Ventura, j’ai eu envie de me cogner à une certaine virilité. Faire ces films, c’est explorer comment ces gens-là se situent dans leur époque, c’est leur cinéma, c’est le cinéma d’une époque, et c’est comment l’air du temps avance pendant que eux murissent, se déploient, se reconstruisent. Tout cela se noue.

Couverture : Romy Schneider par Robert Lubeck, 1976 © Archives Robert Lubeck

ROMY, FEMME LIBRE

Lucie Cariès (2022)
Sélection Cannes Classics 2022
Diffusé sur France 3 le 20 mai 2022 à 21h10

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