Chaque année, le Festival International du Film d’Histoire de Pessac, près de Bordeaux, propose une sélection de films racontant la grande Histoire, des compétitions de documentaires, et une importante rétrospective. Avec cette année pour titre, un jeu de mot en forme de problématique : « Masculin-Féminin, toute une histoire ».

Pour sa 32e édition, qui s’est tenue du 14 au 21 novembre dernier, le Festival International du Film d’Histoire de Pessac développait une ambitieuse rétrospective : une histoire, à travers le cinéma, des relations entre les femmes et les hommes. Des conférences – dont une avec notre collaboratrice Esther Brejon, réalisatrice du podcast Silence ! Elles tournent – et 70 films. Une collection loin d’être exhaustive mais déjà bien riche. S’y croisent plusieurs thèmes ; une vingtaine de pays – du Sénégal aux États-Unis, en passant par le Japon ou le Kosovo – et des époques très différentes. Le film le plus ancien est de 1925 (La Rue sans joie de Pabst, qui raconte comment une jeune femme va tomber dans la prostitution) et le plus récent est sorti le 9 novembre dernier (Riposte féministe de Simon Depardon et Marie Perrenes, qui documente le travail des « colleuses » de messages féministes dans les rues de grandes villes). 

Contrairement à la rétrospective de l’an passée consacrée au XIXe siècle, tous ces films ne sont pas, au moment où ils sont tournés, des films d’Histoire. Il y en a bien sûr plusieurs, qui reviennent sur des périodes historiques relativement anciennes – comme Les Suffragettes de Sarah Gavron (2015), à propos du mouvement de femmes éponyme au début du siècle dernier au Royaume-Uni – ou plus récentes, comme Scandale de Jay Roach (2019), qui relate  le climat de sexisme et de harcèlement sexuel à Fox News précédant le procès du patron du network Roger Ailes. Mais beaucoup d’autres des œuvres présentées sont devenues des films d’Histoire parce qu’on les regarde aujourd’hui. À l’époque de leur diffusion, c’était, souvent, des témoignages rares et militants de situations contemporaines.

La rue sans joie de Pabst (1925) où Greta Garbo joue une femme tombant dans la prostitution.

Sois belle et tais-toi

On oublie ainsi que le film Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig (1980), qui fait presque figure de classique aujourd’hui, fut à l’origine diffusé sur cassette à la manière d’un tract filmé. À les regarder aujourd’hui, ces témoignages d’actrices de nationalités et d’âges différents, qui parlent de leur place dans un système du cinéma dominé par les hommes, et des rôles qu’on leur réserve semble peu nouveau. Depuis #MeToo, de très nombreuses émissions et podcasts vont bien plus loin dans le décryptage de la domination masculine. On sait aujourd’hui, presque avec évidence, que la plupart des rôles féminins au cinéma sont ceux d’objets de désir, ou, passé un certain âge, de mères. Que les femmes ne sont presque jamais les protagonistes principaux des récits classiques, et que ce système détruit toutes celles qui ne se plient pas à la directive, « sois-belle et tais-toi », que Delphine Seyrig emprunte à un film de Marc Allégret. Le destin de Maria Schneider, qui témoigne dans le film, est suffisamment parlant. Dans le documentaire de 1980, elle revient particulièrement sur le tournage du Dernier Tango à Paris (1972). Elle explique à quelle point elle s’est sentie réifiée. « C’est Bernardo Bertolucci et Marlon Brando qui ont fait seuls le film », dit-elle. On a depuis tant écrit sur la scène de viol du Dernier Tango, sur la relation d’emprise du cinéaste et de la star sur la jeune comédienne, et sur la manière dont elle a détruit la vie de Schneider. Les discussions sont houleuses sur ce film aujourd’hui, et il paraît difficile de le défendre désormais. Mais en 1980, pour beaucoup, c’était encore un chef-d’œuvre, une ode libertaire, et ceux qui voulaient l’interdire étaient les pires réactionnaires. 

Delphine et Carole, insoumuses © Les Films de la Butte/ INA/Centre audiovisuel Simone de Beauvoir/Alva Film

En 1980, on ne parlait pas encore du Test de Bechdel, on donnait peu la parole aux actrices quand il s’agissait de parler du métier, et la quasi non-existence des réalisatrices était à peine un sujet. On voit donc ce film aujourd’hui comme un authentique morceau d’Histoire, comme on découvre le manuscrit original du Deuxième Sexe ou des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir au Musée de la Bibliothèque Nationale de France, en oubliant parfois qu’ils furent aussi raillés et méprisés. Il est ainsi passionnant de découvrir aujourd’hui ce morceau d’une Histoire récente. Mais il convient surtout désormais, comme le font les historiens, de l’organiser et de la contextualiser, afin de rappeler que l’égalité, qui est loin d’être parfaite aujourd’hui malgré d’indiscutables avancements, a été une longue et difficile marche, réalisée étape par étape. Le Festival de Pessac, en confrontant ces différents films, en questionnant nos regards d’aujourd’hui sur des représentations anciennes ; mais aussi en complétant cette rétrospective par des conférences d’historiens, nous a offert en une semaine une analyse critique riche et nécessaire d’une Histoire qui est encore en train de s’écrire. Il serait tentant de réitérer le même exercice dans dix ans, pour voir à quel point nos regards auront encore changé. Mais d’ici là, rendez-vous l’an prochain à Pessac pour l’exploration d’une autre Histoire, ô combien contemporaine et politique, « Notre Terre » : soit celle de l’environnement et de l’écologie. 

32e Festival International du Film d’Histoire de Pessac

14 au 21 novembre 2022

Pour aller plus loin :

Retrouvez tous les épisodes de notre podcast La Grande Vadrouille, le tour de France des festivals de cinéma, écrit et animé par Pierre Charpilloz.

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