Le ciné-club « Le 7e genre », qui a choisi les fauteuils du Brady, célèbre ses 10 ans. 10 ans de films rares, de débats et de rencontres autour des questions de genre et des sexualités minoritaires. 10 ans de cinémas internationaux qui défient les normes, portés par Anne Delabre et son association. C’est donc pour célébrer tout ce travail accompli que nous avons demandé à Anne Delabre de nous raconter ces dix années de combats, de plaisir et de culture.

Que faisais-tu avant le 7e genre ?

J’ai un parcours un peu atypique. J’ai fait une école de commerce puis une école de journalisme, avant d’exercer pendant 15 ans comme reporter en presse écrite. Côté cinéma, je suis totalement autodidacte. C’est une passion depuis toujours et ma cinéphilie s’est faite sur le tas. J’ai été amenée à écrire plusieurs livres, dont un sur le cinéma, et plus précisément sur le cinéma français et l’homosexualité. [Le cinéma français et l’homosexualité, co-écrit avec Didier Roth-Bettoni, ndlr] chez Danger Public. Publié en 2009, tiré à 4000 exemplaires, le livre a été épuisé dès 2011 et n’a pas été retiré, c’est dommage ! C’était avant que je commence le 7e Genre !

Comment as-tu créé ce ciné-club ? Pourquoi le Brady ?

Anne Delabre au Brady © 7e genre

Dans le livre, on avait un corpus d’à peu près 350 films, et je me suis dit que c’était dommage d”évoquer tant de films qui n’étaient pour beaucoup pas toujours visibles. Étudiante, j’adorais le principe du ciné-club, donc ça mélangeait à la fois cette nostalgie de ces années-là, et l’envie de montrer des films rares, et surtout, d’en débattre. J’ai été amenée à « tester le concept », en quelque sorte, au festival de films LGBT Chéries-Chéris : ils n’étaient pas particulièrement axés sur le patrimoine, et les deux séances que je leur ai proposées ont bien marché. Je me suis dit qu’il fallait renouveler l’expérience et le ciné-club le 7e Genre est né. Ensuite, c’est un hasard de rencontre : un ami, gérant de la discothèque Le Tango dans le haut du Marais (l’endroit où justement nous fêteront les 10 ans du 7e Genre le 20 avril), m’a conseillé de contacter un de ses clients, le nouveau directeur du Brady, Fabien Houi, qui venait de racheter le cinéma à Jean-Pierre Mocky.

Fabien a tout de suite été intéressé par le ciné-club – d’autant plus que le Brady avait besoin d’être redynamisé – et également par le côté LGBT et art et essai de ma proposition. Ceci d’autant plus qu’il n’y avait pas vraiment d’initiatives similaires, à part le festival Chéries-Chéris, qui n’avait lieu qu’une fois par an. Et la plupart des ciné-clubs de l’époque étaient tournés vers les classiques du cinéma. Et surtout, à Paris, il n’y avait rien du tout rive droite, c’était surtout dans le Quartier Latin. Amusant de constater qu’aujourd’hui tous les cinémas veulent des ciné-clubs ! Par ailleurs, on parlait encore assez peu des questions de genre. De la thématique LGBT, un peu, mais du genre, moins. Donc un ciné-club qui soit sur les questions de genre, de ce point de vue-là, c’était un peu « précurseur ». Et il semble qu’à ce jour, il n’y a pas de ciné-club de patrimoine traitant des questions de genre et de sexualités minoritaires dans tout le monde francophone. Mais ceci dit, il m’arrive aussi de faire des séances du 7e genre « hors les murs », là où on nous invite, par exemple en bibliothèque municipale (à Lyon et Bordeaux notamment) ou encore à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Ce sont autant de différents publics. Et pour moi, le cinéma reste avant tout un support pour débattre et échanger ; je n’ai pas du tout une vision de critique de cinéma, mais plutôt une vision historique et sociétale.

C’est intéressant, cette projection à Fleury Merogis. Peux-tu nous en reparler ?

C’était un peu exceptionnel, car c’était un partenariat avec le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, qui m’avait proposé de venir faire une projection autour d’un film que nous avons choisi ensemble. C’est un film que je n’aurais sans doute pas programmé au 7e Genre, mais qui était parfait pour nos besoins : Pride (2014), un film LGBT grand public, et parfait pour un débat. Les spectatrices ont adoré le film, d’autant plus que parmi elles, il y avait des détenues politiques du Pays Basque, passionnées par la séance !

Jean Gabin et Roland Lesaffre dans L'Air de Paris de Marcel Carné (1954) © Les Films Corona

Tu définis le 7e Genre comme « le ciné-club qui défie les normes ». Qu’est-ce que tu entends par là ?

Le raccourci facile à propos du 7e Genre, c’est de dire « le ciné-club LGBT ». C’est vrai que c’est plus simple à dire que « le ciné-club qui programme des films questionnant les genres et sexualités minoritaires » ! Ceci dit, cela reste l’idée : ne pas cantonner le 7e Genre à un ciné-club « seulement » LGBT, d’une part car ça n’est pas forcément le cas ; parfois certains films questionnent le genre sans pour autant être LGBT à proprement parler ; et d’autre part, car je ne voulais pas que ce soit restrictif, autant pour les films proposés que pour le public potentiel. Et que bêtement, un mec ou une nana hétéro se dise « ah, un ciné-club LGBT, c’est pas pour moi. » Donc, défier les normes, c’est à la fois proposer des films qui intrinsèquement sont des films qui les défient, ou alors qui en apparence ne les défient pas mais qui sont susceptibles d’avoir une lecture décalée et subversive, comme par exemple un film hollywoodien à l’époque du Code Hays. Ou, par exemple, dans L’Air de Paris (1954), un film de Marcel Carné avec Gabin, Arletty et Roland Lesaffre autour de la boxe, typiquement le genre de film vu par nos parents ou grands-parents, et que je pourrais projeter au 7e Genre, en voyant comment Carné défie les normes concernant la représentation de l’homosexualité à l’écran des années 50, alors que lui-même n’était pas ouvertement gay ! Et Roland Lesaffre étant son amant, c’est assez savoureux de voir qu’il lui faisait jouer ce rôle très ambigu avec Gabin, l’incarnation de la virilité du cinéma français… Et forcément, si je le passais au 7e Genre, on remarquerait tout de suite pourquoi Gabin préfère passer sa nuit de noce avec son boxeur chéri plutôt qu’avec sa femme Arletty qu’il délaisse. Sans parler du massage des cuisses, de la main à moitié dans le short du boxeur… ! Donc on a de ces films qui ont pu être reçus, à l’époque, de manière complètement straight, mais si t’étais gay ou lesbienne, je pense que tu pouvais déjà t’en amuser.

La toute première séance est La Meilleure Façon de marcher. Des souvenirs ?

C’était le 23 avril 2013. Quand on a programmé la séance avec le Brady, on ne pouvait pas se douter que ça tomberait le jour du vote de la loi sur le mariage pour tous ! Symboliquement, c’était déjà très fort. Même si tout le monde est allé faire la fête sur le parvis de l’Hôtel de Ville, on a quand même réussi à avoir du public. Et pour moi, La Meilleure Façon de marcher, c’était le film qui incarnait ce que j’avais envie de faire au 7e Genre. Comme L’Air de Paris, c’est un film plutôt grand public, de Claude Miller, avec Patrick Dewaere… et dont on peut avoir une lecture passionnante, à la fois sur la transgression des normes de genre, de virilité, de masculinité, ou sur la question du travestissement et enfin de l’homosexualité refoulée. C’est un film que j’adore, que j’ai dû voir au moins six fois. J’avais eu la chance d’interviewer Claude Miller une après-midi entière, à l’époque pour mon livre, peu de temps avant son décès. Il avait été non seulement adorable mais surtout très généreux, d’autant plus à propos de ce film. Il m’avait raconté la genèse de ce film, en m’expliquant que même s’il était hétéro, il s’était beaucoup de questions sur sa sexualité et son orientation, et qu’ainsi il s’était beaucoup identifié au personnage de Patrick Bouchitey. Et on avait eu la chance d’inaugurer cette première séance du 7e Genre justement en présence de Patrick Bouchitey ! Il a été à son tour extrêmement généreux en anecdotes sur le film, puis quand j’ai discuté en off avec lui, on a aussi évoqué Dewaere, qui, on le sait désormais, a été abusé quand il était jeune, était évidemment déjà drogué à l’époque du tournage, avait lui aussi des troubles sur sa sexualité, et tout ceci rejaillissait sur le film et son personnage.

Et donc tu as continué sur cette lancée.

Pour notre deuxième séance, nous avons diffusé Le Baiser de la femme-araignée (1985), un film brésilien de Héctor Babenco, bien moins connu que le Miller. Un film qui parle d’homosexualité, de travestissement voire de transidentité, qui plus est dans un contexte politique, avec deux prisonniers qui se retrouve dans la même cellule : l’un pour des raisons politiques, et l’autre pour des raisons « de mœurs ». C’est un superbe film avec William Hurt et Raúl Juliá. Comme la séance a été aussi un succès, le ciné-club a été mis ainsi sur ses rails !

Le Baiser de la femme araignée (1985) de Héctor Babenco © Carlotta Films

La programmation est très diverse en termes d’époques et d’origines géographiques. Comment t’y prends-tu pour faire cette sélection, et estimer que tel ou tel genre est « 7e Genre compatible » et qu’il est susceptible d’attirer ton public ?

J’ai envie de dire que c’est un petit peu comme quand tu cuisines, avec l’ingrédient et l’art du dosage. Les deux premières années, j’ai été toute seule à gérer cette programmation avec Fabien du Brady. Au fur et à mesure que le ciné-club a pris de l’ampleur, j’ai fini par créer une association, en 2015, pour avoir déjà un statut juridique, une existence réelle, et également une petite équipe. La programmation se fait en discutant les uns avec les autres, en confrontant nos goûts et découvertes, mais on ne se contente pas d’éplucher les catalogues de distributeurs, car on tout de suite voulu refléter notre propre culture cinéphilique. Donc parfois, c’était « Ah j’ai vu tel film il y a dix ans, ça marcherait bien, il faudrait retrouver les droits. » Et sur la programmation d’une saison, on en revient au dosage : entre les films français et étrangers, ou encore les styles et genres. Par contre, nous n’avons jamais souhaité faire de discrimination positive en se disant : « Bon on va mettre trois films gays, deux films lesbiens, etc. ». Ça n’avait pas de sens pour nous, car la qualité du film doit avant tout primer, qu’il soit LGBT ou non. Et si aujourd’hui on a davantage de films qui abordent ces questions ou sont faits par des personnes LGBT, dans le patrimoine c’est quand même une autre paire de manches ! D’autres programmations peuvent avoir le raisonnement inverse, comme par exemple le festival Cineffable, qui est avant tout militant, et dont la programmation se base sur la promotion de films lesbiens contemporains, quand bien même ils ne sont pas toujours de qualité égale. Et personnellement, je ne programmerais pas au 7e Genre un film lesbien parce que c’est un film lesbien, si je ne l’estime pas intéressant. Puis sinon, cela se joue aussi sur les aléas de la disponibilités des copies ou des droits, avec parfois tel film dont les droits se débloquent soudainement.

Justement, la recherche des copies et des droits, c’est aussi quelque chose que tu as appris sur le tas ? Car de nombreuses séances du 7e Genre proposent des perles (très) rares.

Oui, c’est quelque chose que j’ai découvert grâce à Fabien du Brady – et je le remercie encore de m’avoir expliqué le fonctionnement de ce mécanisme autour des copies et des droits. Mais c’est un travail de titan, et au grand dam de certains spectateurs, ça empêche que le ciné-club soit hebdomadaire ! Donc on part d’abord de cette envie de passer un film, et ensuite on part à la recherche des droits et d’une copie. Et sur certains films, cette démarche a mis cinq ans… C’est du travail d’enquête digne de Colombo. Il faut être patient, persévérant, jusqu’à ce que parfois un miracle se produise… ou non ! J’ai une liste avec des dizaines de films que je n’ai toujours pas réussi à montrer au bout de dix ans, faute de droits, de copies, ou même de sous-titres… Sans parler des films où les ayant-droits demandent des sommes exorbitantes. Certes, cette recherche est excitante, mais ça doit représenter quelque chose comme 90% du temps de travail du 7e Genre ! Et puis forcément, au bout de dix ans de programmation, plus on avance, plus c’est dur pour se renouveler, plus il faut aller chercher des raretés !

À chaque fois, tu as reçu des invités. Certaines rencontres t’ont forcément marquée.

Oui le principe du ciné-club, c’est toujours projection-débat. La rencontre la plus émouvante a été celle autour de La Triche de Yannick Bellon qui est une réalisatrice peu connue alors qu’elle a une œuvre vraiment intéressante. Elle est venue en janvier 2016. Elle avait déjà 93 ans mais avait une pêche d’enfer ! La Triche date de 1984 et parle de bisexualité qui est un sujet encore tabou aujourd’hui. Malheureusement c’était sa dernière apparition publique car elle a fait un AVC très peu de temps après et est décédée en 2019. J’ai été très chagrinée. Mon plus grand regret c’est de ne pas avoir d’archives de cette séance. D’autant plus qu’il va y avoir une sortie en combo DVD-Blu-ray du film en version restaurée en avril par LCJ Editions. Dernièrement, l’une des séances les plus mémorables était avec Coline Serreau après la projection de Pourquoi pas ?. C’est un film qui était sur notre liste depuis le début du 7e genre en 2013. On ne trouvait pas les droits ni la copie, donc on l’avait mis de côté. Et en 2021 au marché international du film classique à Lyon [pendant le festival Lumière, ndlr], je discute avec Stéphane Bouyer du Chat qui fume qui m’a appris qu’il avait récupéré les droits du film et qu’il le restaurait. Il ne souhaitait le sortir qu’en vidéo mais a accepté qu’on fasse une séance unique au 7e genre en mars 2022. On a donc eu la chance d’accueillir Coline Serreau, Christine Murillo, Mario Gonzalez, quasiment toute l’équipe du film. Ils ne s’étaient pas revus depuis 45 ans, et n’avaient pas revu le film non plus. On a blindé les deux salles et on a refusé de nombreuses personnes. Suite à cette séance, Stéphane Bouyer a vu qu’il y avait un potentiel pour le sortir en salles, ce qu’il a fait en décembre 2022.

La Triche (1984) de Yannick Bellon © LCJ Editions
Pourquoi pas ! (1977) de Coline Serreau © Le Chat qui fume

Cela est arrivé souvent que tu arrives à passer des films au ciné-club qui sortent ensuite en salles ou en vidéo ?

Oui c’est arrivé plusieurs fois qu’on exhume des films invisibles jusqu’ici et qu’ils ressortent par la suite en version restaurée d’une manière ou d’une autre. En 2019 on a passé Noir et blanc de Claire Devers. Je l’ai appelée et à ce moment-là elle venait tout juste de récupérer les droits du film. Elle a accepté qu’on projette le film à condition qu’on retrouve une copie car elle n’avait plus rien et souhaitait la faire restaurer. La copie n’était pas aux Archives du film donc ça s’est avéré plus compliqué que prévu, mais je l’ai retrouvée ! On a fait la séance, Claire Devers était là avec Jacques Martial et Francis Frappat, les deux acteurs du film, qui ne s’étaient pas vus depuis 35 ans. C’était très émouvant. Depuis, le film est ressorti en salles en février 2023 en copie restaurée. J’étais contente.

Quelle est la séance qui a eu le plus de succès ?

Pour plusieurs films on a rempli les deux salles du Brady et refusé du monde, et ce dès 2013 avec Le Rempart des béguines [Guy Casaril, 1972, ndlr]. On a même dû refaire une séance. Ce n’est pas le plus grand film du siècle, mais il était très rare. La Cinémathèque française avait le film mais il leur manquait une bobine. La Cinémathèque royale de Belgique avait le film mais il avait viré magenta. Il n’y avait aucun DVD et donc la seule copie qui existait était une copie VHS pourrie. Les spectateurs étaient prévenus, c’était ça ou rien. On a refait une séance aussi pour Personal Best [Robert Towne, 1982], un film lesbien, américain, totalement invisible en France avec Mariel Hemingway. Quand il y a vraiment des films super rares, il y a du monde, et ce, pour des films très différents. Dernièrement c’était le cas pour Nighthawks de Ron Peck, ou Jeunes filles en uniformes [Géza von Radványi, 1958].

Et quel a été le plus gros flop du ciné-club ?

Il n’y en a pas eu beaucoup. Pour nous un flop c’est quand la salle est remplie à moitié, et c’est arrivé deux fois. Je pense que les films étaient trop connus. Le premier était au tout début, en 2013, avec Ma vie en rose d’Alain Berliner. C’est une comédie familiale coproduite par TF1 en 1998 avec Michèle Laroque sur l’histoire d’un petit garçon de huit ans persuadé d’être une petite fille. Donc sur la transidentité, très novateur. On l’a diffusé parce que le film a marqué une génération et en même temps on savait très bien qu’il y avait plein de gens qui ne l’avaient pas vus. Pourtant c’était aussi une séance mémorable car quand on a contacté Alain Berliner, il nous a dit que c’était surtout le film de Chris Vander Stappen, la scénariste belge dont l’histoire était très personnelle. Elle est donc venue de Belgique en voiture avec son fils, sa belle-fille et une de ses amies, Marie Bunel, qui joue dans le film. C’était une séance géniale, très généreuse, et Chris Vander Stappen est décédée peu de temps après, à seulement 54 ans. Il n’y avait qu’une cinquantaine de personnes, c’était dommage. L’autre « bide », c’était un film que je ne voulais pas programmer car je pensais qu’il était trop connu pour nous et c’était la seule fois où Fabien, fan de comédie musicale, est intervenu dans la programmation du 7e genre. Il voulait absolument qu’on passe Cabaret. On n’a eu que 60 personnes. C’était en décembre qui est aussi un mois qui traditionnellement enregistre les moins bonnes entrées avec novembre.

Al Pacino dans Cruising (1980) de William Friedkin © Warner Bros.

Il y a quelques années tu as programmé Cruising de Friedkin. Je crois qu’à l’époque c’était un film qui avait été assez mal perçu par la communauté LGBT. Comment l’a reçu ton ciné-club ?

C’était en 2019 dans le cadre d’un week-end spécial en partenariat avec le festival Chéries-Chéris dans le grand auditorium de l’hôtel de ville de Paris dans le cadre de l’exposition « Champs d’amour » sur le cinéma LGBT à Paris en 2019. C’était une séance gratuite, il fallait donc que le film soit suffisamment grand public pour remplir la salle. Donc Cruising c’est parfait, et d’ailleurs on a rempli la salle. C’est un film que j’aime beaucoup et qui est typiquement 7e genre, grâce auquel on peut parler histoire et société. C’est très intéressant de recontextualiser le film : 1980, on est aux États-Unis sous Reagan, une époque très homophobe, où il y a très peu de films sur l’homosexualité. Et Friedkin sort un film qui parle d’un serial killer gay dans le milieu queer underground BDSM. Il y avait eu des manifestations de la communauté gay contre l’homophobie du film au moment de son tournage. Pour le comprendre, il faut vraiment replacer dans le contexte de l’époque. Il n’y avait alors rien d’autre comme représentation donc ça ne passait pas très bien. Le film était tourné dans des décors réels d’une back room queer BDSM new-yorkaise, les figurants étaient les habitués. Aujourd’hui, le film a été revu, réévalué, même par des personnes qui à l’époque le trouvaient homophobe. De la même manière, The Killing of Sister George en 1968 avait été jugé lesbophobe. Pourtant, c’était la première fois qu’un film montrait un couple de lesbiennes en personnages principaux. Et Robert Aldrich est toujours campissime ! Ce n’est pas un cinéaste de la norme. The Killing of Sister George, on a mis six ans à le montrer. Et pour débattre après sur ce film en janvier 2020, on a eu la chance d’accueillir la pointure internationale de l’histoire du cinéma britannique et du cinéma LGBT, Richard Dyer. Il nous a fait le plaisir de revenir pour la projection de Nighthawks en octobre 2021. Sur le site du 7e genre, on a mis en ligne sa conférence, allez-y c’est passionnant.

Comment a évolué le public du 7e genre en dix ans ?

Son évolution correspond à ce que j’espérais en fondant le ciné-club. L’idée était que le 7e genre fidélise un public qui vienne au ciné-club sans forcément connaître le film mais pour le label « 7e genre » : pour passer une bonne soirée, voir un film rare, et apprendre des trucs lors du débat. Plaisir et culture. C’est ce qu’il s’est passé. Par ailleurs, c’est un public très diversifié. On ne voulait pas avoir un public de communauté, d’entre-soi. On voulait avoir aussi bien des étudiants que des retraités, des hommes, des femmes, des gender fluid, des homo, des hétéro, des gens qui sont juste curieux de cinéma, d’autres qui sont très cinéphiles, voire des gens de cinéma, ce qui arrive régulièrement. Je suis vraiment contente de tout ça. On n’a pas beaucoup de moyens de communication, on n’a pas beaucoup de thunes, on n’a pas de subvention, donc c’est beaucoup du bouche-à-oreille, c’est ce qui marche le mieux dans la durée. On sait qu’il existe des subventions, mais on ne s’est jamais penché sur le sujet. Pour le moment, on préfère être petit mais libre. Notre budget (pour le travail de recherche de copies, de sous-titrage, etc.) vient des cotisations de nos adhérents. En moyenne, les adhérents payent entre 20 et 30 euros par an, et on a une centaine d’adhérents. Et il y a les conférences que je donne par-ci par-là qui rémunèrent l’association. On se débrouille comme ça. Bien entendu, les adhérents sont des personnes qui souhaitent soutenir l’association et obtiennent en échange un tarif de 5€ pour les séances, mais les séances sont ouvertes à tout le monde.

La Fourmilière (1971) de Zoltán Fábri © DR

En avril, le 7e genre fête ses 10 ans. Raconte-nous un peu les festivités.

On a voulu marquer le coup pour les 10 ans en faisant un mois de festivités. On a commencé samedi 1er avril par un marathon Eloy de la Iglesia, cinéaste espagnol très peu connu en France, sauf pour les amateurs de films d’horreur, notamment avec Semaine de l’assassin, que Artus Films vient de ressortir. C’est le cinéaste de la transgression en tout genre par excellence. Cela fait des années que je veux programmer ses films. Le problème, comme d’habitude, c’était d’avoir les droits, les copies, les sous-titres. Et grâce à un partenariat avec le festival Écrans mixtes de Lyon, nous avons pu obtenir un DCP avec des sous-titres. Comme nous avons donc les copies sous-titrées de deux films et qu’on ne voulait pas choisir on a organisé la projection des deux films, avec entre les deux une conférence sur le cinéma espagnol de la Transition (1975-1982). Puis lundi 3 avril, nous avons organisé une soirée cinéma et littérature autour du Sang d’un poète de Jean Cocteau de 1930 où nous avons invité Olivier Charneux qui a écrit un livre sur Jean Cocteau et Jean Desbordes (Le Glorieux et le Maudit – Seuil 2023). Hormis les films muets qu’on a projetés à la fondation des États-Unis il y a quelques années, c’est le plus vieux film du ciné-club. Pour le film de mardi prochain, du 11 avril, c’est Mathieu Lericq, qui est enseignant chercheur à Paris 8 spécialiste du cinéma d’Europe centrale qu’on avait invité il y a quelques temps pour animer la séance d’un film hongrois lesbien de 1982, Un autre regard [Károly Makk, ndlr], qui est venu nous voir avec une séance clé en main, sous-titrée grâce à l’Institut hongrois. C’est un film, La Fourmilière, absolument invisible, d’un réalisateur pourtant connu Zoltán Fábri – si tant est qu’un réalisateur hongrois est connu –, de 1971, à thématique lesbienne, dans un couvent. Mathieu Lericq espère qu’il y aura d’autres projections ailleurs et peut-être au moins une sortie vidéo du film, qui le mériterait. Pour le moment, les sous-titres ont été faits uniquement pour notre séance. Le jeudi 20 avril, les festivités continuent au Tango, une soirée ouverte à toutes et tous, avec des quizz et de la danse, entrée libre. Et on finira le samedi 22 avril au Brady par une table ronde sur les coulisses du cinéma de patrimoine pour répondre aux questions qu’on nous pose depuis 10 ans : pourquoi y a-t-il des films qu’on ne peut pas voir ? Comment faites-vous pour trouver les droits ? Comment on restaure un film ? C’est quoi un DCP ? Ce sera vraiment tout ce que vous avez toujours voulu savoir du patrimoine sans jamais oser le demander. On aura Caroline Patte, chargée de la valorisation des collections du CNC, Jean-Fabrice Janaudy des Acacias Distribution et du cinéma Le Vincennes, Cécile Farkas de Doriane Films et Stéphanie Heuze de la boutique Hors-circuit.

Joyeux anniversaire au 7e genre !

Retrouvez toutes les séances anniversaire, ainsi que toutes les prochaines projections du 7e genre sur le site de l’association.

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