La 22e édition du NIFFF, événement où la Suisse a réuni tous les cinémas de genres à Neuchâtel du 30 juin au 8 juillet derniers, s’est éclairée par l’invitation de cet auteur de films d’actions américains parmi les plus mémorables tels que Predator, Piège de cristal ou À la poursuite d’Octobre rouge. John McTiernan est revenu en artiste engagé, sans fard et sans filtre, sur sa carrière gravie jusqu’aux plus hauts sommets et sombré dans la disgrâce versatile d’Hollywood, lors d’un rendez-vous qui marquait les 20 ans depuis le tournage de son dernier film.

« Vous ne comprenez une société qu’une fois avoir vu ses prisons. » Par cette citation de Nelson Mandela, le pavé est lancé dans la mare assez tôt au début de la conférence. En effet, pour qui l’imaginait profitant d’une joyeuse retraite dorée à la suite de ses films devenus cultes, la disparition des plateaux de John McTiernan fut liée à une triste histoire de lutte de pouvoir sur son remake de Rollerball en 2002. Ce vieux renard usé porte toujours une rancœur de longue date à l’égard des studios : « Au milieu du tournage, ils ont coupé la moitié du scénario. Il y avait beaucoup plus à l’origine et ils ont tiré un film à partir de la première moitié. Mais je ne pouvais me sortir de ce piège. J’ai été en quelque sorte prisonnier de producteurs sans scrupules. » Ayant menti sous serment d’avoir mis le producteur Charles Roven sur écoute, le cinéaste a écopé d’une année de prison purgée de 2013 à 2014. Depuis, silence radio.

« Cela a été une grande expérience ! »

Comme pour crever rapidement l’abcès de LA question qui brûlait toutes les lèvres, John McTiernan se lance dans une longue description emplie d’émotions de son passage par la case prison : « Cela a été une grande expérience ! » Contrairement à l’hilarité stupéfaite que déclenche dans la salle sa première affirmation, le cinéaste recadre très vite son propos en paraphrasant le plus célèbre détenu de l’Afrique-du-Sud, sans se comparer non plus à lui : « Dans mon cas ce n’était pas une prison, mais un campus universitaire dans le Midwest. Pas de barreaux ou de fils barbelés. » Le discours personnel de McTiernan s’intensifie alors sur la politique policière répressive contre la drogue en cours aux États-Unis : « ils peuvent vous envoyer pendant des années en prison sans rien avoir sur vous. Tout ce que le procureur a à dire c’est qu’il a deux types qui jurent que vous leur avez vendu de la drogue. Ces deux types peuvent très bien ne pas exister et personne ne le saura jamais, car il n’y aura aucun passage devant un tribunal. Ils peuvent envoyer qui ils veulent en prison. »

Réparant les toits dans une équipe de charpentiers, il découvre cette expérience collective des détenus qu’il rencontre. Il échange régulièrement avec 250 d’entre eux, majoritairement issus des minorités et victimes d’un système judiciaire arbitraire à des fins politiques, en particulier dans les états du Sud : « 30 à 40% des hommes Africains-américains ou d’origine mexicaine ne peuvent plus voter, de manière définitive, juste parce qu’ils sont passés par la machine de cette soi-disant “guerre contre la drogue” lancée à l’époque de Nixon », comparant les avocats inconséquents des accusés au prêtre des Sentiers de la gloire qui accompagne les condamnés à mort au peloton d’exécution. Très engagé, le cinéaste pousse même le parallélisme des cartes bicolores des résultats électoraux américains avec celle de 1861 et de la Guerre de sécession : « Il n’existe pas de Parti Républicain, il s’agit de la Confédération ! Il existe vraiment un groupe de gens qui aiment en voir d’autres rester pauvres. Ce sont exactement les mêmes personnes pour exactement les mêmes raisons. Ils font de l’argent en le prenant à d’autres personnes et ne veulent pas que cela change. »

Faire un cinéma populaire et responsable

« Les histoires de ces garçons ont complètement changé ma façon de comprendre mon pays. Si je pouvais faire un film là-dessus, je le ferais mais personne ne me laisserait le faire », estime un John McTiernan aigri de la logique purement financière et déconnectée de la réalité qu’il a toujours connu des majors hollywoodiennes. « Il y avait des personnes qui avaient hâte de mon retour et j’avais même un film qui devait se lancer pile au début du Covid. Nous verrons si j’arrive à le relancer. C’était un film indépendant, car je crois que moi et les studios d’Hollywood avons pris nos distances il y a déjà un bout de temps. » Le cinéaste ne semble plus non plus en phase avec la façon dont les films d’action sont pensés par les nouvelles générations : « On m’a beaucoup soumis de scénarios récemment de films emplis de colère, qui ne faisaient que tirer sur des gens, en pensant que Piège de cristal était de cette trempe. Je m’interroge sur les personnes qui m’ont proposé ces scénarios, car il s’agissait simplement de haine. Je ne trouvais cela ni divertissant, ni utile socialement ou honorable pour des êtres humains décents. C’est en partie pour cela que je n’ai pas fait de films depuis vingt ans. Je ne veux pas en faire comme ceux-là. »

À la poursuite d'Octobre rouge (1990) © Paramount Pictures

« Nous ne sommes pas là pour guérir le cancer, mais juste pour passer un bon moment, relativise-t-il face à l’impact culturel qu’on put avoir ses longs-métrages comme Predator ou Piège de cristal. C’est censé être fun, ce n’est pas du cinéma sérieux. Alors amusez-vous ! C’est un message important qui dit au public comment il doit évaluer ce qu’il va voir. Pour moi, le réalisateur doit avoir la main sur ce message, sinon le marketing et le studio s’en chargeront. » Le cinéma pour John McTiernan dépasse aussi le cadre réducteur d’un médium de pur divertissement : « J’y ai toujours vu une responsabilité. Si vous devez travailler dans un marché de films visant les masses, vous devriez en profiter pour montrer plus de ce qui se déroule dans la société. Dans À la poursuite d’Octobre rouge, j’ai fait en sorte d’avoir un amiral Africain-américain. Rien n’arrive si vous n’y pensez pas le premier. Dans un film grand public, vous savez que les gens verront ce brillant officier Blanc et un grand officier Noir qui lui donne un ordre et l’autre répondra : “Oui, chef !” Et personne ne pensera à un seul moment qu’il y a quelque chose d’étrange qu’un Africain-américain lui donne des ordres. Je suis aussi très heureux que l’un de mes films [Le Treizième guerrier (1998), ndlr] ait un héros qui s’appelle Mohammed et soit musulman. Je l’ai même fait s’agenouiller, faire sa prière en tant que musulman, en plein climax du film. Et tous ces vikings baraqués le regardent et trouvent que c’est cool ! Tout va bien et j’en suis heureux, car il y a une contribution sociale derrière ces œuvres. » Ses conflits avec le scénariste Michael Crichton sur le tournage resteront dans le hors-champ de la conférence.

Hommes d’action et femmes puissantes

Ces prises de positions politiques auxquelles tient fermement John McTiernan trouvent sans doute leurs racines à ses débuts, lorsqu’il évoque un vif intérêt pour l’anthropologie. « À un moment donné, j’avais même envie d’être un anthropologue. Se rendre à Los Angeles, c’était culturellement comme aller dans une ville qui aurait été au milieu du Sahara ou de l’Asie, sur les routes de la soie, avec tous ces gens venus d’ailleurs mettre en jeu ce qu’ils avaient et en repartir avec ce qu’ils pouvaient. J’ai juste écrit un scénario à partir de ma propre expérience. » Un scénario qui aboutit à son premier long-métrage Nomads (1986), que le producteur Larry Gordon repère et soumet à un certain Arnold Schwarzenegger pour une éventuelle collaboration : « Ils m’ont proposé Commando que j’ai dû décliner, mais je leur avais promis d’en faire un avec eux. » Sur le tournage de Predator (1987), le jeune McTiernan ronge son frein de ne pouvoir se charger de toutes les séquences, notamment celles d’action : « Il y avait ce réalisateur de seconde équipe, un cascadeur, qui filmait toutes les scènes d’action qui n’était pas très bon. Cela m’a pris la moitié du tournage pour avoir la chance de demander si je pouvais en filmer à sa place. Ils ont fini par me laisser le faire et constater que mes rushs n’étaient finalement pas si mauvais ! »

L'Affaire Thomas Crown (1999) © MGM

« Je vois l’action comme faisant partie intégrante du film. Elle est aussi importante que les dialogues et devrait être filmée avec autant de soin et d’énergie », résume le cinéaste de son expérience sur les deux épisodes de la saga Die Hard qu’il a réalisé, très souvent en contradiction avec les opinions arrêtées des exécutifs des studios. Mais son opus préféré demeure indéniablement son remake de L’Affaire Thomas Crown (1968), de Norman Jewison : « C’était le plus fun. Je crois que c’est mon plus accompli, le plus proche de ce que j’avais en tête au départ. J’avais une parfaite maîtrise de mon instrument. Je savais quelle scène succédait à telle scène, quel plan succédait à tel plan, tout le temps. Il n’y a pas de plan tourné en plus de ce qui était prévu. Je crois que Kubrick tournait comme cela et obtenait, le plus souvent, ce qu’il souhaitait sur l’écran. Truffaut aussi sur ses films comme La Nuit américaine. » Le cinéaste assume ses trahisons de 1999 au film originel, n’aspirant à offrir qu’un écrin idéal à sa mise en scène. Le meilleur exemple demeure encore la virtuose séquence finale où Pierce Brosnan fausse compagnie aux policiers venus l’arrêter dans un musée : « N’importe quelle scène d’action n’est pas à propos de l’action, mais à propos de quelque chose. Elle fait partie de l’histoire, sans avoir de mots, c’est tout. Si vous ne savez pas si elle fait avancer votre histoire, ce n’est qu’un empilement de cascades qui ne produit rien, ne raconte rien. »

John McTiernan fut également interrogé sur la construction de personnages féminins forts dans ses films, tels ceux incarnés par Lorraine Bracco dans Medecine Man (1992), Renée Russo dans Thomas Crown (1999) ou encore Connie Nielsen dans Basic, souvent injustement oubliés dans l’ombre des premiers rôles tenus par Sean Connery, Bruce Willis ou Arnold Schwarzenegger dans sa filmographie : « Cela vient de mon héritage d’Américain d’origine irlandaise. J’ai été élevé comme cela. Il y a des femmes fortes et puissantes dans les films de John Ford et John Wayne. Tout le monde dans le village est souvent effrayé par la femme du personnage de John Wayne. Il est marié avec elle car il est le seul à être suffisamment fort pour être à son niveau. Dans ma culture, les femmes sont très fortes, ce sont elles qui dirigent les familles. Elles permettent de mesurer en quelque sorte la valeur d’un homme par rapport à la force de sa femme. » Par exemple, le cinéaste révèle avoir envoyé l’actrice Renée Russo, avant le tournage, auprès d’une directrice de club SM afin qu’elle lui enseigne la manière de s’exprimer de façon dominante sur les hommes sans avoir à passer par la colère pour affirmer sa supériorité, ce qui serait le signe d’un manque de pouvoir, avant de conclure avec malice : « J’aurais aimé vous présenter à ma mère pour que vous compreniez à quel point mon père était fort ! »

Basic (2003) © SND
Couverture : Portrait de John McTiernan © NIFFF 2023

Le Festival international du film fantastique de Neuchâtel 2023

22ᵉ édition du festival du 30 juin au 8 juillet 2023

La conférence devrait être disponible en intégralité sur la chaîne Youtube du NIFFF à la rentrée.

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