En faisant l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs en 2004 avec son troisième long-métrage, The Taste of Tea, l’iconoclaste cinéaste japonais Katsuhito Ishii vit sa carrière propulsée sur le devant de la scène cinématographique internationale. Il a été cette année l’un des invités à l’honneur du 22e NIFFF avec une sélection de ses réalisations en version restaurée, dont son tout premier film, sorti il y a 25 ans, qui lui avait permis de croiser la route d’un certain Quentin Tarantino…
À y revoir de plus près, la filmographie de Katsuhito Ishii démontre une cohérence incontestable à sa façon de se distinguer de celles des autres cinéastes de l’archipel nippon. Dès sa première œuvre définitivement matricielle de son style unique, il case sans difficulté des séquences d’animation quand il ne se laisse pas déborder par ses traits et couleurs dingues de Redline (2009) qui lui prendra pas moins de sept années de création, associé avec Takeishi Koike à réalisation. Les films de Katsuhito Ishii sont au carrefour de toute la culture populaire japonaise, alliant ses meilleures inspirations comme ses pires travers, mais en gardant toujours un sens de la dérision et de la comédie intact. Son expérience sur Smuggler (2011) l’éloigna volontairement des plateaux envahis des idées compromises avec ses décideurs financiers, le poussant à coréaliser à hauteur d’enfants le doux Harô! Jun’ichi en 2014 ou revenant au court-métrage avec Norioka Workshop en 2022.
Shark Skin Man and Peach Hip Girl
Ishii s’extrait donc en 1998 de la réalisation de spots publicitaires en adaptant le manga de Minetarō Mochizuki Shark Skin Man and Peach Hip Girl, sorte de relecture de Bonnie and Clyde dans le Japon contemporain, suivant un couple hétéroclite formé d’un malfrat grande gueule et charismatique, tenu par Tadanobu Asano, et une réceptionniste introvertie d’un hôtel de province incarnée par Shie Kohinata. À force de péripéties rocambolesques et d’intrigues à tiroirs, les deux sont poursuivis sans relâche par des gangsters hauts en couleurs dans ce film qui se lance sur les chapeaux de roues par une ouverture digne des meilleures heures d’un Guy Ritchie. Mais à démarrer trop bien et trop fort, le rythme global pâtit un peu de la mise en scène particulière du cinéaste qui s’éprouve au fil de ses autres films. Présenté lors d’un festival à Hawaï, ses séquences en animation qu’Ishii a lui-même signées, pousse Quentin Tarantino à l’approcher, envisageant un long passage en dessin animé pour son futur film. C’est ainsi que le réalisateur de Shark Skin Man and Peach Hip Girl se retrouva quelques années plus tard à superviser le flashback des origines du personnage d’O-Ren Ishii dans le premier volume de Kill Bill sorti en 2003.

Party 7
Sur cette bonne lancée, le jeune cinéaste japonais enchaîne en 2000 avec Party 7. Il rend par celui-ci une forme d’hommage au Reservoir Dogs de Quentin Tarantino en construisant ce huis clos dans une chambre d’hôtel où vont se croiser de dangereux yakuzas, du personnel incompétent et un duo de voyeurs habillés en super-héros. Ce deuxième long-métrage décuple encore les qualités du précédent film d’Ishii, offrant la part belle à l’improvisation de son casting au gré d’un récit souvent écrit le jour-même du tournage. Mais Party 7 souffre des mêmes défauts que son aîné avec son formidable générique réalisé en animation accompli par Takeishi Koike et préfigurant leur prochain Redline. En dehors de ses quelques moments d’action folle complètement déchaînée et jubilatoire, le pouls de ses long-métrages stagne souvent lors de lentes phases de dialogues flirtant entre l’introspection et la mélancolie de ses personnages, dont la monotonie n’est brisée que par les surgissements absurdes de nouveaux protagonistes improbables. Poussant sans doute un peu trop loin ses obsessions sans les pérégrinations salutaires de Shark Skin Man and Peach Hip Girl, Katsuhito Ishii manque cette fois de nous perdre dans ses errances cinématographiques délirantes.
Redline7
Si à tout hasard vous étiez amatrices et amateurs de Speed Racer (2008) ou Mad Max: Fury Road (2015), vous pourriez trouver votre bonheur avec Redline. Ishii nous impose dès le départ, à son habitude, un tempo frénétique en nous plongeant au cœur battant à tout rompre d’une course automobile futuriste à mi-chemin entre celle de podracers de La Menace fantôme de George Lucas et Les Fous du volant sous LSD ! On reconnaît facilement le style graphique puissant de Takeishi Koike, vu notamment avec le court-métrage Record du monde présent dans la galerie des Animatrix (2003). Derrière cette production du studio Madhouse, le cinéaste japonais reste fidèle à sa famille d’actrices et d’acteurs en leur confiant le doublage de ses personnages loufoques. Bien que Redline présente les mêmes soucis de structure inhérents au cinéma de Katsuhito Ishii, la virtuosité de la mise en scène et l’intensité du montage sur ces circuits irréels du futur pallient au manque de pêche flagrant que démontre à mi-distance le long-métrage. On gardera néanmoins en mémoire, longtemps après la déflagration finale de Redline, des images dynamiques à l’audace visuelle rarement égalée.

Le Festival international du film fantastique de Neuchâtel 2023
22ᵉ édition du festival du 30 juin au 8 juillet 2023
Un coffret Katsuhiro Ishii regroupant Shark Skin Man and Peach Hip Girl, Party 7, Redline et Smuggler devrait sortir bientôt chez Spectrum Films qui a déjà édité en Blu-ray The Taste of Tea et Funky Forest: The First Contact de Katsuhiro Ishii.