Timothée Gérardin décortique l’œuvre de Christopher Nolan, de ses premiers courts-métrages d’étudiant au tout récent Dunkerque. Une analyse qui s’intéresse aux multiples facettes du cinéma de Nolan, dont la vision complexe du monde et de l’Homme s’épanouit dans un cinéma du monumental.

En 1998 sort Following, petit film indépendant en noir et blanc tourné avec un budget miniature. Le long-métrage fait le tour des festivals et permet à son jeune réalisateur, un certain Christopher Nolan, de se faire remarquer. Vingt ans plus tard, le Londonien s’est imposé comme un auteur incontournable du cinéma hollywoodien contemporain. Un parcours cohérent, du tortueux Memento (2000) au grandiose Interstellar (2014), pour lequel s’est passionné le critique Timothée Gérardin. En une centaine de pages il décortique l’oeuvre de Nolan, listant une à une les obsessions du réalisateur britannique. « Christopher Nolan, la possibilité d’un monde » déploie d’abord des concepts assez larges avant de mieux s’attacher aux détails. Chaque point est illustré par des analyses de séquences courtes et efficaces qui accrochent le lecteur. Que les fans se rassurent, aucun film n’est oublié, même si Memento et Inception (2010) y ont une place de choix, car peut-être les plus personnels et représentatifs de la vision du cinéaste.

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Timothée Gérardin démontre comment Christopher Nolan construit un univers qui lui est propre. Le réalisateur développe film après film quantité de mondes, avec des long-métrages marqué par des points de vue toujours subjectifs permettant un jeu constant avec le spectateur. Car si une image revient régulièrement dans cet ouvrage, c’est celle de l’illusionniste. Nolan surprend et déroute le spectateur dans chaque film, tel les prestidigitateurs du Prestige (2006). Tout son savoir-faire réside dans la maîtrise de structures narratives sinueuses et un art du montage longuement analysés dans cet essai. La narration inversée de Memento, les trois temporalités entremêlées de Dunkerque (2017), les différentes couches de rêves d’Inception (2010) en sont quelques exemples fameux. Un cinéma aussi minutieux que monumental, aussi adulé que décrié, auquel le critique trouve même des liens de parenté inattendus. Citons la comparaison surprenante mais pertinente entre Inception et les comédies musicales de Vincente Minnelli, développée sur quelques pages.

« Farouchement indépendant tout en ayant su se fondre dans le système, Christopher Nolan n’est pas à un paradoxe près. A la fois illusionniste qui a contribué dans les années 2000 à forger l’imagerie spectaculaire moderne et défenseur, à l’heure du numérique, de la possibilité de tourner et projeter sur pellicule, ses contradictions se retrouvent jusque dans ses films. Il y met en scène des personnages qui vivent dans des mondes à part tout en rêvant de rejoindre leurs semblables, ou inversement qui rêvent de s’évader des systèmes infernaux dans lequel ils sont piégés. »

Timothée Gérardin – Christopher Nolan, la possibilité d’un monde

C’est surtout à la façon dont Nolan construit ses mondes et y fait évoluer ses personnages que l’on s’intéresse ici. La passion du réalisateur pour la symbolique des objets (les totems d’Inception, les indices d’Insomnia), son rapport à la technologie (Interstellar, Le Prestige), la dualité de ces personnages (Batman en tête) et leur humanité, le sous-texte politique (The Dark Knight Rises) sont autant de thématiques abordées dans cet essai, parfois un peu trop rapidement. On regrettera à ce titre le manque de citations d’auteurs ou de Nolan lui-même pour étayer les analyses du critique. L’engagement du réalisateur star de la Warner pour défendre la pellicule et l’expérience en salle est aussi quasi-absent. Une facette de son travail et de sa relation à Hollywood évoquée uniquement pour illustrer la place paradoxale du cinéaste à l’heure du tout numérique. On regrettera que l’auteur survole ces problématiques, même si celles-ci sont, certes, plus relatives au fonctionnement du système hollywoodien qu’à Christopher Nolan en lui-même.

NOLAN image 5« Christopher Nolan, la possibilité d’un monde » offre cependant des clés pour comprendre les principales obsessions du metteur en scène et les aspects les plus complexes de son cinéma. Facile d’accès dans ses analyses, l’ouvrage s’adresse évidemment aux amateurs du réalisateur et apporte un éclairage passionnant aux profanes. En donnant, finalement, l’envie de (re)mettre notre cortex au défi de sa filmographie.

Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, de Timothée Gérardin.

Editions Playlist Society, 2018. 14€.


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