affiche le pont du nordL’intrigue

Sortie de prison, Marie cherche à contacter son ami Julien, voyou récidiviste, et croise Baptiste plusieurs fois dans les rues de Paris. Persuadée que ce ne peut être qu’un signe du destin, Baptiste décide d’aider Marie. La découverte équivoque d’un plan de la ville les embarque dans une épopée énigmatique.

Inédit en vidéo – Restauration 4K


« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour »

Après avoir filmé un Paris immuable dans Paris nous appartient (1958) puis Céline et Julie vont en bateau (1974), l’heure est à l’amusement pour Jacques Rivette. Le cinéaste prend des libertés propices à l’éclosion des personnages et aux improvisations des actrices, coscénaristes du film. Bulle et Pascale Ogier, mère et fille, incarnent les deux réalités d’une même époque : une jeunesse passée et l’autre en devenir. Bulle est alors connue du public et habituée du cinéma de Rivette. Pascale, qui n’est pas encore l’icône des Nuits de la pleine lune (1984) d’Éric Rohmer, offre déjà ce jeu épuré, gauche et falsifié d’ingénue ironique. Le choix d’un lien mère-fille réel pour mettre en scène le parcours initiatique de deux désorientées n’est pas anodin. Il donne à entrevoir le rôle central de la transmission dans l’œuvre. Glissés dans une serviette ou transmis de vive voix, les messages affluent de toute part. Chaque rencontre est l’occasion d’acquérir du savoir : la liaison s’opère entre tous les personnages.

Sillonnant la ville lumière, Baptiste et Marie sont projetées dans l’univers impitoyable d’un jeu de l’oie et apprennent ensemble, l’une de l’autre. Cap au pire, « à nous deux Babylone », l’aventure commence et doit connaître une issue. Entourées de Pierre Clémenti et Jean-François Stévenin, illustre professeur des écoles dans L’Argent de poche (1976) de François Truffaut, les deux femmes avancent à l’aveugle, déclamant quelques vers au hasard des rues.

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Baptiste, soutenue par l’interprétation acharnée de Pascale Ogier, tisse de ses péripéties une intrigue quotidienne et relève chaque situation de son esprit fantasque. Avec son profil d’énergumène née de la dernière pluie, elle impose un rythme soutenu, guidée par une paranoïa enfantine qui voit le loup partout. Elle mène la danse de cette odyssée chimérique et guide Marie dans sa réinsertion sociale au sortir d’une réclusion traumatique.

Marie a la mine touchante et réservée d’une femme qui vient de retrouver sa liberté. Véritable force tranquille, elle tempère de son expérience la fureur des événements et rassure par sa douceur maternelle. Le Paris filmé n’est plus celui des appartements confinés et des lendemains sans soleil, mais celui des errances en plein air. L’allure d’un cowboy, la chevelure tressée de côté, Baptiste affronte les déconvenues avec désinvolture et permet à l’histoire des envolées comiques, de ces contrepèteries visuelles qui font tout le charme du cinéma de Jacques Rivette. Le Pont du Nord retranscrit avec elle la formation nébuleuse de l’imaginaire, celui d’une enfant qui s’invente des personnages malveillants, les nomme (les Max), et leur donne vie au gré de visages inconnus. le pont du nord 2

Ces rencontres impromptues entre Marie, Baptiste et les autres personnages dessinent les contours d’un mystère universel : quelle est la part de destin, de magouille, de hasard ? Se parant ici et là des couleurs de la dystopie, Le Pont du Nord emprunte au fantastique et réalise l’autopsie documentaire de la capitale, ses façades ravagées et ses quartiers aseptisés. Invité à constater les dégâts, le spectateur voit ses croyances renversées par une narration confuse. L’association improbable de différents quartiers parisiens laisse place aux prises de vue en temps réel dans le métro, sur les rails d’un train de banlieue où tout semble ramener à une farouche vérité ; celle des désœuvrés, des mendiants et des proscrits (« La réalité ? C’est le règne de la terreur », dit Baptiste).

Les scènes s’enchaînent comme s’il s’agissait pour Jacques Rivette de repousser la banalité. De combattre, par des prises de karaté hédonistes, les ravages d’une destinée mortifère. Cette volonté atteint son paroxysme dans la scène finale, certainement improvisée et pensée comme un désaveu, qui, poursuivant les chemins de la transmission, ouvre le film bien davantage qu’elle ne le ferme.

Le Pont du Nord ressort en version restaurée 4K, en DVD et Blu-ray le 4 avril 2018, édité par Potemkine FilmS.