La réalisatrice Sophie Peyrard s’empare du personnage de la sorcière pour étudier sa représentation dans le cinéma américain. Supposée vilaine, malfaisante et diabolique, la sorcière n’a pas toujours eu bonne presse sur les écrans. Une condition qui en dit beaucoup sur la situation de la femme dans la société occidentale.
Figure incontournable de l’imaginaire occidental, la sorcière hante légendes, contes et films depuis notre plus jeune âge. Chassées, torturées, brûlées au Moyen-âge, les sorcières ont récemment opéré un puissant revirement, jusqu’à devenir une icône du mouvement féministe, comme le prouve le succès du livre de Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes (éd. La Découverte). À travers son documentaire Les Sorcières à Hollywood, la réalisatrice Sophie Peyrard propose un regard inattendu et novateur sur la représentation de la sorcière au cinéma et à la télévision depuis 1938, étudiant le phénomène de manière parallèle à la place de la femme dans la société américaine et à l’avènement des mouvements féministes. À la construction assez classique, le documentaire a la particularité d’avoir fait le choix de ne faire intervenir que des femmes, historiennes et autrices américaines.
Le constat est simple : la sorcière est tout ce que la société patriarcale, se réfugiant commodément derrière Jésus et la Bible, craint et rejette. Elle incarne une femme qui n’a pas besoin de père, de mari ou d’enfants – donc indépendante –, qui aurait du pouvoir qu’elle souhaite conserver voire étendre – donc ambitieuse – et qui tente de séduire les hommes – donc sexuelle. Symbole d’une féminité puissante et transgressive, la représentation de la sorcière va longtemps souffrir de ce constat : nez crochu, robe noire, chapeau pointu… Une représentation loin d’être anodine, qui en dit beaucoup sur la position de la femme dans nos sociétés.
Le documentaire ouvre avec Blanche-Neige et les sept nains (1938) et Le Magicien d’Oz (1939), deux films proposant une représentation duale de la sorcière. Le dessin animé de Disney reprend l’archétype classique de la vilaine sorcière pour en faire un personnage plus complexe, celui d’une femme puissante et séduisante (au design inspiré de Joan Crawford et autres actrices des années 30), avant sa transformation qui la vieillit, la déforme en un monstre motivé des pires actions pour s’attaquer à une belle jeune héroïne, forcément ingénue et innocente de tous les vices. Deux incarnations de la sorcière comme deux facettes de la femme, lorsque son chemin dévie de la pureté et de la normalité.
Puis vient la sorcière femme fatale, avec le film de René Clair, Ma femme est une sorcière (1942). Dans l’air du temps des films noirs, la vamp Veronica Lake interprète une sorcière glamour et séductrice, incarnation de la Tentation. Est posé un dilemme à ce personnage, qui se voit dans l’obligation de renoncer à sa magie pour s’épanouir et s’accomplir (dans le sens traditionnel : mariage, maternité, foyer). Même constat fataliste pour L’Adorable voisine (1958), avec Kim Novak et James Stewart. C’est que les joies de la vie domestique font partie du “rêve américain”, mythe envahissant les médias et le cinéma depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui avait mis les femmes au travail pour remplacer les hommes envoyés au combat, à l’instar de la célèbre Rosie la riveteuse aux bras débrouillards et manches retroussées. Les intervenantes proposent ici l’une des analyses les plus intéressantes du documentaire : comment ces deux films montrent qu’une femme puissante doit abandonner son individualité pour s’adonner à la conformité, condition sine qua non de son bonheur. Ce mythe de la femme au foyer vivant le bonheur parfait va être remis en question non pas par le cinéma, mais par la télévision. La série Ma sorcière bien-aimée (1964) a le mérite d’insuffler l’idée qu’une sorcière peut garder ses pouvoirs et avoir une vie familiale.
La réalisatrice passe – un peu rapidement peut-être – sur la révolution Rosemary’s Baby, pour évoquer deux œuvres plus méconnues : Season of the Witch (1972), et Les Sorcières d’Eastwick (1987). Le premier est un film totalement féministe, selon les propres termes de son réalisateur, George Romero. Délaissée par son mari et sa fille, une mère de famille s’ennuie ferme jusqu’à la découverte de la sorcellerie, l’aidant à s’émanciper et à tuer son mari. Le constat est sans appel : la libération de la femme passe par la mort du patriarcat. Le second, au casting prometteur – Susan Sarandon, Cher, Michelle Pfeiffer et Jack Nicholson – a le mérite de proposer une vision positive de la sexualité et de l’amitié féminine.
C’est à la fin des années 90 et dans les années 2000 que la sorcière conquiert un statut véritablement nouveau et positif. Les séries télévisées Charmed et Buffy contre les vampires opèrent la transformation en mettant en scène des sorcières qui, en s’opposant aux forces du mal, agissent pour le bien et la justice. Désormais, la sorcière sera autre : plus humaine, plus juste, plus empathique, pli confirmé par les films Harry Potter et Maléfique. Avec ce changement de sort, la sorcière a enfin pu réaliser son ”empowerment”, au même moment où les changements de mentalité font leur apparition à Hollywood. D’ailleurs ces deux récits ont été écrits ou scénarisés par des femmes. Coïncidence ? Le documentaire de Sophie Peyrard – produit par les sœurs Kuperberg – constitue une analyse féministe et enrichissante, dans la lignée des études actuelles démystifiant la vilaine et méchante sorcière. Seul regret : le documentaire n’évoque pas le bien-aimé Hocus Pocus ni le très réussi The Witch de Robert Eggers.