Puisqu’on parle beaucoup ces temps-ci – et à raison – de racisme et de violences policières, c’est peut être l’occasion de se replonger dans Mississippi Burning d’Alan Parker. Un film de flics, tentant de rétablir une justice dans une Amérique où l’inégalité, la ségrégation, et donc, le racisme et la violence, sont la norme. Cela s’est passé dans le Sud des États-Unis, il n’y a pas si longtemps…
Texte originellement publié dans le n°6 de Revus & Corrigés.
C’est un genre cinématographique en soi. De L’Arme Fatale (1987) à la série True Detective (2014) en passant par Tango et Cash (1989), Bad Boys (1995) ou End of Watch (2012), on ne compte plus les duos de flics au cinéma. Le genre est aussi américain que le hamburger ou le Wall Trade Center. Ce n’est donc pas un hasard si c’est celui que choisit le Britannique Alan Parker pour raconter cette histoire si américaine. Adapté d’un fait divers réel, Mississippi Burning suit l’enquête de deux agents du FBI après l’assassinat de trois jeunes hommes, dont deux Noirs, dans l’atmosphère moite du Sud des États-Unis. En filigrane, un sigle infuse tout le film, comme une maladie qui infeste ce territoire du Mississippi, et dont on voit partout les stigmates : KKK. Il est des lettres qui se répètent et dont l’écho est chaque fois plus détestable. SS. HH. KKK. Le Ku Klux Klan, secte suprémaciste responsable d’innombrables crimes racistes dans le Sud des États-Unis. Son histoire est liée à celle de l’Amérique comme la mort est liée à la vie. Ses membres étaient une figure centrale de la Naissance d’une nation, la monumentale fresque historique de D. W. Griffith en 1915, et leur ombre planait encore sur les assassinats terroristes de Charlottesville en 2017.

À la figure étatsunienne par essence du « duo de flics » s’en ajoute dans Mississippi Burning une autre, tout aussi mythologique dans l’histoire du film policier américain : l’agent du FBI en enquête. À nouveau, on pourrait citer les films et séries reprenant le genre : les séries Twin Peaks (1990), et X-Files (1993), Le Silence des agneaux (1991), etc. À partir de la fin des années 1980, l’agent du FBI a remplacé le détective traditionnel du film noir américain. Le détective était un policier urbain, enquêtant dans sa ville. Phillip Marlowe appartient à Los Angeles autant que les autoroutes et le panneau Hollywood. L’agent du FBI en revanche est toujours dépaysé. Envoyé ailleurs, un étranger débarquant dans une petite ville, comme une survivance d’une vieille figure de western. Ici, nos lonesome cowboys sont donc deux : le jeune bleu mais néanmoins chef, sérieux, style intellectuel à lunettes, Alan Ward (Willem Dafoe), et le sympathique et bedonnant Rupert Anderson (Gene Hackman), qui a de la bouteille et des méthodes bien à lui. Idée merveilleuse que de caster Hackman pour ce rôle, lui qui fut l’acteur principal d’un des films matriciels du « duo de flics au cinéma », French Connection de William Friedkin (1971).
En terres rances
Bien qu’il semble la prendre avec légèreté, cette enquête est particulière pour Rupert. Quand il arrive dans le comté de Jessup, Mississipi, épicentre de l’enquête, il ne pense pas être vraiment un étranger. C’est un authentique gars du Sud, un Mississipien pure souche. Loin d’être un touriste, il se sent presque autochtone à ces terres, et utilise cette connivence pour son enquête. Mais pour la plupart des locaux, c’est un parfait étranger. Qu’importe qu’il ait grandi, un jour, ici. Il est parti. Et cette trahison a effacé son passé : maintenant, il vient d’ailleurs. C’est juste un autre mec de Washington venu fourrer son nez dans les affaires des autres. À l’instar de ce jeune Blanc assassiné au bord d’une autoroute la nuit, défenseur de la cause afro-américaine, devenu donc, aux yeux du Klan et d’un bon nombre des habitants de ce triste comté, un Noir comme les autres. Enfin comme les autres, pas vraiment. S’il avait vraiment été Noir, peu probable que le FBI serait venu dépêcher des moyens aussi extraordinaires (plus de 100 agents envoyés en renfort) pour mener à bien une affaire dans cette cambrousse de rednecks. Nous sommes en 1964, et la ségrégation est encore légale aux États-Unis. Elle sera abolie dans l’année, avec le Civil Rights Act signé par le Président Johnson, mais il faudra encore un an pour que les gens de couleur puissent voter. Lorsque Ward et Anderson entament leur enquête, les Noirs ne peuvent pas manger aux mêmes tables que les Blancs au restaurant. Même les toilettes sont séparées. Alors il serait surprenant qu’ils bénéficient de la même justice.

Néanmoins, il y a des règles. Et ça, Alan Ward (Dafoe) le sait très bien. Adepte des nouvelles méthodes de J. Edgar Hoover, ce jeune homme, aux bons diplômes, compte suivre la procédure. Parfait équivalent américain de l’énarque, Alan Ward est très sérieux, un peu rigide et parfois hors-sol, mais sa méthodologie fait ses preuves. En définitive, c’est la conjugaison du feeling et des manières d’Anderson, le gars du terrain, avec l’organisation et la droiture de Ward, le type de bureau, qui pourront permettre de résoudre cette affaire et d’amener doucement les habitants de cette région vers plus de tolérance. En parfait buddy cop movie, Mississippi Burning nous donne ainsi la leçon : les cow-boys solitaires doivent toujours être accompagnés.
Pierre Charpilloz

MISSISSIPPI BURNING
Un film de Alan Parker
avec Gene Hackman, Willem Dafoe et Frances McDormand
1988 – États-Unis
Les Acacias
Au cinéma le 15 juillet 2020
Le film a été aussi édité en DVD et Blu-ray le 17 mars 2020 par L’Atelier d’images.
En complément de l’édition vidéo, une interview du réalisateur Alan Parker par Jean-Pierre Lavoignat et Christophe D’Yvoire (9 min.) ; les coulisses du tournage (6 min.) ; des entretiens avec William Dafoe (9 min.), Alan Parker (20 min.) et le scénariste Chris Gerolmo (15 min.) et la bande-annonce d’époque.
Crédits images : © 1988 Orion Pictures Corporation. Tous droits réservés.