Difficile de trouver un film dont le capital sympathie est plus fort que celui des Blues Brothers de John Landis. Il fait aujourd’hui partie des incunables, de ces œuvres cultes du cinéma américain des années 80, qu’on se plaît à voir, revoir, à partager avec les jeunes générations, notamment avec cette édition célébrant son 40e anniversaire.
John Belushi et Dan Aykroyd, pensionnaires de l’émission comique The Saturday Night Live de NBC (une référence absolue pour nos Nuls adorés), créent en 1976 le groupe The Blues Brothers pour chauffer le public, avant que les tournages des émissions ne débutent. Les deux comiques interprètent divers standards de la musique noire américaine. Howard Shore – futur compositeur attitré de David Cronenberg et du Seigneur des Anneaux –, chef-d’orchestre du show, trouve le nom du groupe. Petit à petit, Belushi et Aykroyd réussissent à intégrer The Blues Brothers dans le Saturday Night Live, et y interprètent régulièrement des chansons. Quand l’idée de tirer un film des deux personnages surgit à la demande de la Universal, Aykroyd se lance dans la rédaction d’un scénario de plus de 300 pages. De quoi réaliser deux films, comme le comédien l’explique dans le making-of présent sur le Blu-ray. John Landis – réalisateur de Schlock (1973), Hamburger Film Sandwich (1977) et American College (1978), qui fit de Belushi une star – prend les rênes du film et réduit le script à la taille raisonnable de 120 pages.

Aykroyd, fan de blues, amène Belushi à la musique noire, car ce dernier est davantage porté sur le hard-rock. Ensemble, ils donnent une épaisseur, une histoire, de la chair à Jake (Belushi) et Elwood Blues (Aykroyd). Avant le film, The Blues Brothers donnaient des concerts à guichets fermés (entourés de musicos de blues, connus et reconnus), et avaient sorti un album au succès fracassant, Briefcase Full of Blues (1976), enregistré lors de la première partie d’un spectacle de Steve Martin. L’histoire de The Blues Brothers tient en quelques lignes : Jake Blues sort de prison et retrouve son frère Elwood. Petits escrocs sympathiques, ils tentent de réunir, malgré les nombreuses embûches qu’ils vont croiser sur leur route, leurs musiciens afin de donner un concert de charité pour sauver l’orphelinat de leur enfanc
Musiques noires, danse... et tôle froissée
L’intrigue de ce road-movie urbain, au budget de 30 millions de dollars (une fortune en 1980), est prétexte à créer un film musical exaltant (Landis revendique le terme de comédie musicale) enchaînant cascades, poursuites automobiles explosives, casses de voitures en tous genres, gags dans la droite lignée du Saturday Night Live, cameos de célébrités et amis de Landis et Aykroyd (Twiggy, Steven Spielberg, Frank Oz, …), chorégraphies, apparitions de stars de la musique noire. Parmi les artistes convoqués, on retrouve Chaka Khan, John Lee Hooker, James Brown, Ray Charles, Aretha Franklin, et Cab Calloway, dans une interprétation de Minnie the Moocher qui renvoie à l’époque du Cotton Club, club new-yorkais des années 20 réservé aux Blancs et dans lequel se produisaient uniquement des musiciens noirs.

Chaque numéro de The Blues Brothers, qu’il soit interprété par Belushi et Aykroyd, ou leurs invités prestigieux, est un concentré d’énergie revitalisante. Titres imparables (Peter Gunn, Everybody Needs Somebody to Love, The Old Landmark, Think, Sweet Home Chicago, Jailhouse Rock…), chorégraphies survitaminées, rythme d’enfer (les 2h12 du métrage passent à une vitesse folle) donnent l’une des clés de l’adoration du film par le public. Voilà le film anti-spleen par excellence ! Mais la réussite de The Blues Brothers tient surtout aux compositions de John Belushi et Dan Aykroyd. L’alchimie du duo est parfaite. Belushi est une bête de scène. Il est l’auguste du film, tandis qu’Aykroyd fait davantage figure de clown blanc. Leurs personnages, au look parfait, deviennent iconiques (les vrais men in black, ce sont eux !). Ajoutons que les deux comédiens dansent et chantent avec grand talent. Ils perpétuent ainsi ce professionnalisme à l’américaine qui veut qu’on sache tout maîtriser, et à égalité, des arts du spectacle.
Côté humour, le rire naît du décalage entre situations et réactions des frères Blues. Une ex-petite amie (incarnée par Carrie Fisher) de Jake, à laquelle il avait promis le mariage, le poursuit durant tout le film pour l’éliminer physiquement (Landis aime à jouer du comique de répétition), allant jusqu’à faire sauter un hôtel miteux au bazooka dans lequel les frères logent. Aucune réaction de Jake et Elwood Blues, qui sortent des débris de l’hôtel, avant de reprendre leur route comme si de rien n’était. D’autres scènes (comme celle du restaurant, dans laquelle apparaît Paul Reubens, futur Pee-Wee Herman) sont passées depuis à la postérité. The Blues Brothers prend les allures d’un cartoon dégénéré, croisement entre les délires des Looney Tunes et le comique slapstick de Buster Keaton. Tel un petit garnement, Landis se plaît à casser tous ses jouets. Des centaines de voitures sont pulvérisées (dont 60 véhicules de police), une Ford Pinto (lâchée depuis un hélicoptère) tombe du ciel pour finir écrasée comme une crêpe, un centre commercial à l’abandon est entièrement pulvérisé (au grand bonheur de Dan Aykroyd, qui a fantasmé cette scène), des voitures foncent à 160 km/h en plein Chicago ! Le final, qui voit des milliers de militaires, avec armes en tout genre et chars d’assaut, poursuivre nos deux adorables pieds-nickelés, laisse pantois !
Film engagé !
Pour autant, derrière cet amas de tôle froissée et gags décomplexés, The Blues Brothers délivre un message de tolérance affirmé. Landis filme un enfant noir qui glisse vers la délinquance, de véritables quartiers pauvres sont utilisés comme décors. Les légendes de la musique noire sont les vraies stars du film. Leur musique est célébrée. Sanctifiée ! Landis filme des néo-nazis stupides (pléonasme), qu’il ridiculise sans pitié. À sa façon, The Blues Brothers est un vrai film engagé. Socialement. Politiquement.

On sait que le tournage ne fut pas de tout repos. John Belushi (qui décéda d’une overdose de speedball le 5 mars 1982, à seulement 33 ans !) était souvent incontrôlable par une consommation excessive et quotidienne mêlant cocaïne et alcool. John Landis était justement terrorisé à l’idée de perdre le contrôle de sa star et de son film que les deux hommes en vinrent aux mains. Mais Belushi, adoré de toutes et tous pour sa grande gentillesse et sa générosité, qu’alors… on lui passait tout. Aujourd’hui, ne demeure – heureusement – que la performance de cet acteur de génie, et un film qui a définitivement marqué l’Histoire du cinéma américain.
Si Landis eut la bien mauvaise idée de remettre le couvert avec Blues Brothers 2000 (1998) sans le regretté John Belushi, il confirma son talent à filmer musique et chorégraphies avec les vidéos de Michael Jackson, devenues mythiques : Thriller (1984) et Black or White (1991). Michael Jackson, enfant-star de la Motown, digne descendant des performers noirs du film, avait vu The Blues Brothers et Le Loup-Garou de Londres, du même réalisateur. John Landis ne fut donc pas choisi au hasard pour son Thriller. Et si Michael Jackson devint le premier artiste noir à être programmé sur MTV (mettant un coup d’arrêt au racisme chronique de la chaîne musicale), le cinéaste, les Blues Brothers et, surtout, les vétérans de la scène afro-américaine, y furent, sans doute aussi, pour quelque chose…
Grégory Marouzé

THE BLUES BROTHERS
Un film de John Landis
avec John Belushi, Dan Aykroyd
1980 – États-Unis
Universal Pictures France
En Édition Limitée SteelBook 40e Anniversaire
4K UHD + Blu-Ray
24 juin 2020
Les histoires derrière le making of des Blues Brothers (56 min.) est un documentaire très agréable et complet, riche en anecdotes, témoignages, intervenants (John Landis, Dan Aykroyd, Henry Gibson, musiciens, producteurs…). Réalisé à l’époque de Blues Brothers 2000, le making of revient sur l’histoire du film original et sa conception. Il est accompagné d’un documentaire axé sur la bande originale du film (15 min.) et d’un court documentaire en forme d’hommage sur le parcours de John Belushi en forme d’hommage à John Belushi (9 min.).
Crédits images : © 1980 Universal Pictures