De retour en salle, le film emblématique de Robin Hardy convie encore et toujours son spectateur à un voyage hors-du-commun dans le cinéma de genre britannique. Le singulier The Wicker Man fait rimer cinéma d’épouvante, comédie musicale et absurde, avec toute la liberté caractéristique des années 1970, dans un pamphlet contre les bonnes mœurs au magnétisme inaltéré.
L’Anglais Robin Hardy a signé trois longs-métrages, mais reste attaché à jamais à The Wicker Man, film fantastique inclassable. Après un détour par Paris pour étudier l’art, Hardy travaille à la télévision américaine, avant de rentrer au bercail. Anthony Shaffer, futur scénariste de The Wicker Man, est un célèbre dramaturge. On lui doit la pièce Le Limier, dont il rédige le scénario pour l’adaptation cinématographique de Joseph Mankiewicz, en 1972. La même année, Shaffer écrit le script de Frenzy, d’Alfred Hitchcock. L’auteur est amateur d’histoires troubles ; il plonge avec délice dans l’humour noir et la provocation. Au début des années 1970, Anthony Shaffer et Robin Hardy créent la société de production Hardy, Shaffer & Associates (pour laquelle le réalisateur signe publicités, documentaires sur les religions comparées ou sur le cinéaste indien Satyajit Ray).
Renouveau du fantastique britannique
À cette époque, le cinéma d’épouvante anglais est moribond. La Hammer Films – les Dracula et Frankenstein de Terence Fisher – est ringardisée par la nouvelle vague horrifique américaine, dont L’Exorciste en 1973. Shaffer et Hardy vont alors lancer un pavé dans la marre en s’attaquant à l’adaptation du roman de David Pinner, Ritual (1967), qui deviendra The Wicker Man (Le Dieu d’osier pour la version française) : l’histoire du sergent Neil Howie se rendant sur une île écossaise pour enquêter sur la disparition d’une fillette. Catholique bigot, Howie se confronte aux insulaires, à leurs accouplements frénétiques, leurs croyances celtiques, ainsi qu’au comportement étrange du maître de l’île, Lord Summerisle. Howie s’enfonce peu à peu dans un cauchemar éveillé qui le mènera au fameux dieu d’osier. Tour à tour film d’épouvante, film érotique, enquête policière, conte pour adultes, comédie musicale, réflexion sur le paganisme et les religions comparées, The Wicker Man navigue d’un genre à l’autre, sans jamais se perdre. Ce qui frappe quand on revoit le film, c’est qu’à l’image du Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper – qui lui succédera un an plus tard – l’angoisse et la folie montent crescendo de plein jour, dans des décors naturels printaniers si bucoliques qu’ils en deviennent paradoxalement anxiogènes.

Pour autant, Hardy se rappelle au bon souvenir de l’horreur gothique en donnant le rôle de l’inquiétant Lord Summerisle à Christopher Lee (qui joue bénévolement), tandis qu’Ingrid Pitt, La Comtesse Dracula (1971) de Peter Sasdy, incarne une libraire. Le choix des deux vedettes est surtout une volonté de surprendre le public, en leur offrant des rôles à l’opposé de leurs emplois habituels. On rit beaucoup en regardant The Wicker Man, d’un rire gêné et libérateur. Edward Woodward, étonnant en flic catho et puceau, est impayable lorsqu’il assiste au cours d’éducation sexuelle donné par une professeure à ses élèves. Son combat intérieur pour résister aux charmes volcaniques de Britt Ekland est à la fois tragique et hilarant. Tout au long du récit, Howie assiste, médusé, au rejet du catholicisme, des religions monothéistes, à la célébration de cultes païens, de l’amour libre. À travers ce personnage, les auteurs s’attaquent aux Britanniques les plus conservateurs et réactionnaires.
Le sacrifice
À sa sortie, The Wicker Man est un échec cruel, qui peut s’expliquer en partie par la richesse de styles de mises en scène (tantôt classique, tantôt débridée), et de cinémas explorés (Hardy revendique l’influence de Marcel Carné). Comment le spectateur pouvait-il adhérer à ce film barge ? Mais le bide de The Wicker Man est davantage la responsabilité de la Emi, qui racheta British Lion, société productrice du film, et le distribua en double programme (avec un autre grand sacrifié : Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg), suite à un remontage mutilant le métrage de 11 minutes ! Pourtant, la version intégrale, qu’on pensait perdue, fait sa réapparition grâce à Roger Corman (un temps pressenti pour distribuer le film aux États-Unis, il en possède la seule copie complète). Des scènes capitales sont réintégrées (initiation sexuelle d’un jeune homme, scènes de danse et de folklore religieux…). Comme le dit Anthony Shaffer dans le documentaire The Wicker Enigma : « Plus vous élaguez une plante, de plus belle elle poussera. »À la fois chant du cygne du mouvement hippie et œuvre annonciatrice du punk, par son refus des compromis et son irrévérence, The Wicker Man devient au fil du temps un film culte vénéré par une horde de fans. Neil LaBute en réalise un remake pour le moins peu inspiré, en 2006, avec Nicolas Cage – devenu culte pour les aficionados de nanars – tandis que Robin Hardy se fend d’une variation grotesque de son propre film avec The Wicker Tree (2011). The Wicker Man inspire également musiciens, comme Iron Maiden, Radiohead et leur vidéo du titre Burn the Witch, ou cinéastes – Ari Aster dans son beau et solaire Midsommar.
Que ce film incandescent ait connu descendances, suscité tant d’hommages, n’étonnera pas : il s’agit bien d’une pierre angulaire du cinéma britannique

THE WICKER MAN
Robin Hardy, 1973, Royaume-Uni
Lost Films
Au cinéma le 19 mai
En complément, présentation de Jean-Baptiste Thoret (10 min.), entretien avec Robin Hardy (16 min.), la musique de The Wicker Man (15 min.), bande-annonce.