Avec L’Adversaire (1970), présenté dans la sélection Cannes Classics de cette 75e édition du Festival de Cannes, Satyajit Ray passe du film noir à la comédie, du cinéma-vérité au fantastique, pour décrire le trouble de ce jeune étudiant confronté au monde du travail, des adultes et de la ville, dans une Calcutta noyée entre le conservatisme et la modernité.

Premier opus de la trilogie de Calcutta de Satyajit Ray (suivi en 1971 de Enfermé dans des limites et en 1976 de Jana Aranya), L’Adversaire suit les pérégrinations d’un jeune étudiant forcé d’intégrer le monde du travail sans achever sa médecine. De bus surbondés aux halls pleins de postulants transpirant d’angoisse et de chaleur attendant leur entretien pour des postes mystérieux, Siddartha traverse la ville en quête de sens à sa vie et d’un but dans sa journée.

Plus de 20 après la décolonisation de l’Inde, on découvre une Calcutta moderne, hyperactive et politiquement engagée, à travers la figure du frère activiste communiste de Siddartha et de sa sœur indépendante et ambitieuse. Ce sont aussi ces passionnants plans quasi-documentaires de Satyajit Ray qui nous embarquent dans Calcultta, plus proches du cinéma-vérité que du néo-réalisme des précédents films du réalisateur bengali. Mais Siddartha ne trouve pas sa place, qu’il soit perdu dans les foules ou très éloigné du monde, sur le toit du gratte-ciel flambant neuf. Entre la surpopulation, la corruption financière et morale – l’épouse du patron de sa sœur l’accuse d’avoir une relation sexuelle avec son mari, comme elle a accusé toutes les précédentes employées –, et ses propres difficultés sentimentales, il est bousculé physiquement et mentalement. Pourtant, il n’arrête jamais de bouger, comme pour échapper au conservatisme de la société.

Tout au long du film, Satyajit Ray accentue les bruits environnants, des cris d’oiseaux, de crissements urbains, la respiration des foules de postulants ou le grincement des ventilateurs – jusqu’à parfois créer des moments d’angoisse presque fantastiques. Chaque rencontre importante ou marquante dans la journée de Siddartha invoque des flash de souvenirs – un peu à la manière d’un Alain Resnais dix ans plus tard dans Mon Oncle d’Amérique, expliquant les relations humaines par les réactions des souris de laboratoire. Les flashbacks de Siddartha sont des souvenirs de l’époque heureuse et révolue de l’enfance et des jeux avec sa sœur ou les réminiscence des cours de biologie humaine quand Siddartha observe une jolie fille ou un vieux.

Une fois la nuit tombée sur Calcutta, le film prend des airs de film noir, Siddartha errant dans les rues, solitaire, rencontrant toute sorte de groupes et d’individus qui ne lui ressemblent pas. Ces variations de genre cinématographiques – auxquels il faut ajouter la comédie, très présente dans L’Adversaire – appuie encore davantage la perte de repère de cette jeunesse indienne sur qui pèse la pression de l’avenir.

Lors de sa présentation à Cannes Classics, le directeur de la National Film Archive of India a annoncé un plan de restauration très important des films indiens, et ainsi la chance pour les spectateurs de découvrir encore davantage de très beaux films comme celui-ci.

L’ADVERSAIRE

Satyajit Ray (1970)
Cannes Classics 2022

Catégories : Critiques

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