Cannes Classics a rendu hommage, comme lors des sélections précédentes, au cinéma indien avec la projection du sublime Ishanou d’Aribam Syam Sharma, drame flamboyant oscillant entre portrait de femme et chronique ethnographique autour des communautés spirituelles du Manipur.

Connaissez-vous les Maibis ? Dans l’État du Manipur, région indienne coincée entre le Bangladesh et la Birmanie, elles sont les prêtresses d’un culte local influent, la religion Metei. Si, lors des festivités et autres rassemblements religieux, elles illuminent les regards par leurs danses et chants rituels, le quotidien dédié à la spiritualité les coupe de leur vie antérieure et de leurs proches. C’est ainsi que Shambat, jeune maman d’une petite fille, se retrouve tiraillée par un choix aussi cruel que douloureux : l’éveil spirituel ou l’épanouissement maternel. Dans son sixième film, qui fut présenté dans la sélection Un Certain Regard en 1991, le cinéaste Aribam Syam Sharma met en scène les liens intrinsèques qui unissent le sacré et le profane dans la communauté de Manipur. S’il y a une fascination certaine pour les performances rituelles, danses et chants religieux sont filmés avec une précision documentaire (les 20 dernières minutes sont presque exclusivement dédiés à ceux-ci par exemple), la découverte du « don » de Shambat prend des allures de possession horrifique. Bénédiction ou malédiction ? L’ambiguïté est de mise, car l’épanouissement de Shambat va de paire avec l’éloignement de ses proches, jusqu’à un point de non-retour. D’ailleurs, la crise mystique de Shambat peut-être vue comme un refus de la part de la jeune femme de subir une vie d’aliénation au foyer, prise de conscience qui arrive après une sorte de baptême rituel de sa vie, qui commence déjà à suivre une voie tracée à l’avance pour elle, comme pour toutes les autres femmes de la communauté. Son départ, même si c’est pour rejoindre un ordre religieux, est vécu par ses proches comme une trahison qui pourrait avoir des conséquences sur sa descendance.

© Film Heritage Foundation

Eveil maternel

Derrière ses pourtours ethnographiques, Ishanou est ainsi avant tout un grand portrait de femme. Si l’histoire se centre sur le personnage de Shambat, c’est en réalité le tissage des liens entre trois générations de femmes qui passionne ici. Il y a la grand-mère, figure matriarcale qui voit comme un signe de mauvais augure l’éveil religieux de sa belle-fille, la mère donc – Shambat, prise dans une sorte de transe qui transforme en nécessité le besoin d’intégrer les Maibi –, puis la fille, enfant innocente qui porte pourtant déjà la trace de l’influence du culte. Si la grand-mère veut éloigner la petite de sa mère, c’est pour éviter qu’elle aussi ne devienne une Maibi, mais la beauté des prêtresses lors des rites continuera de fasciner la gamine comme on l’observe dans la bouleversante scène finale. 32 ans après sa sortie, c’est avec émerveillement que s’effectue la redécouverte touchante de l’histoire de cette femme tiraillée entre sa spiritualité et sa maternité. Un travail de restauration flamboyant initié par la Film Heritage Foundation (entreprise mettant en lumière les bijoux du cinéma indien comme nous avons pu le voir l’année dernière avec L’Adversaire de Satyajit Ray ou Thamp Aravindan Govindan et du monde depuis 2014), qui redonne leur juste place aux couleurs des paysages et costumes du Manipur.

© Film Heritage Foundation

ISHANOU
Aribam Syam Sharma, 1990, Inde

Restauré par la Film Heritage Foundation

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