Restauré par L’Immagine Ritrovata et la Cineteca di Bologna et présenté cette année dans la sélection Cannes Classics, Le Disque rouge de Pietro Germi est un film néoréaliste singulier, une des belles surprises de ce Festival de Cannes. Dans une Italie moderne et conservatrice où règnent les inégalités, Pietro Germi plonge dans le milieu ouvrier des cheminot, tout en restant plus proche de ses personnages que des luttes sociales, à travers le point de vue cruellement naïf d’un jeune garçon.

Présenté dans une version restaurée, Le Disque rouge (Il Ferroviere), sorti en 1956, est le dixième film de Pietro Germi, un cinéaste inclassable. Parmi ses grands faits d’armes, il faut citer en 1961 Divorce à l’italienne, la première « comédie à l’italienne » avec Marcello Mastroianni, une satire des relations amoureuses bourgeoises dans une Italie encore très conservatrice. Bien qu’il ait initié le genre, Pietro Germi fait partie de ces réalisateurs qui évoluent en marge des révolutions cinématographiques, aujourd’hui considérées comme de grands mouvements de l’histoire du cinéma, dans lesquelles il ne reconnaît pas son art et ses ambitions. Anti-fasciste mais aussi anti-communiste, il ne rentre dans aucune case. Certes, il réalise des films néoréalistes qui parlent des inégalités liées à la modernisation italienne mais avec un point de vue inédit. En effet, au sein d’une intrigue qui invoque le politique, la narration reste plus proche des personnages que des luttes sociales. 

Le Disque rouge (1956) © ENIC-Ponti-De Laurentiis

Crime et châtiment

Le Disque rouge raconte l’histoire d’Andrea Marcocci, brillamment interprété par Pietro Germi, un vieux cheminot dont la famille a récemment connu des bouleversements. Sa fille Giulia (Sylva Koscina) vient de subir une fausse couche et son fils ainé Marcello (Renato Speziali) mouille dans des affaires avec la pègre. Seul son petit garçon Sandro (Eduardo Novella), gouailleur et joyeux, fait encore le lien entre tous. Un jour qu’Andrea conduit son train, un homme se jette tout à coup sur les rails. Cet incident le perturbe fortement mais la compagnie lui ordonne de repartir. Quelques minutes plus tard, il manque de rentrer en collision avec un autre train après avoir manqué le signal, un disque rouge, lui indiquant de freiner. Cette faute professionnelle amorce sa déchéance alors qu’il ne trouve décidément aucun réconfort auprès de sa famille qui ne comprend pas sa rigidité morale et déteste son alcoolisme. Pietro Germi, doublé par la voix italienne de Cary Grant et James Stewart, apporte une certaine douceur à son personnage et une rondeur dans le son des mots qui tranche avec leur contenu. Le film a été vivement critiqué à sa sortie car, malgré le traitement accordé au cheminot par sa direction après l’incident, il ne se révolte pas et continue de se plier aux exigences de sa hiérarchie. En réalité, il n’a pas de réelle conscience de classe et seule l’amitié le relie à ses collègues. Son unique but est de gagner assez d’argent pour entretenir une vie de confort et de plaisir. Cette attitude est en décalage avec les aspirations communistes des personnages qu’on retrouve habituellement dans les néoréalistes italiens comme Rome, ville ouverte (Roberto Rossellini, 1946) ou La Terre tremble (Luchino Visconti, 1948).  

Le Disque rouge (1956) © ENIC-Ponti-De Laurentiis

Le monde de l’enfant

Mais le personnage le plus remarquable, comme souvent [lire notre numéro consacré aux enfants dans le cinéma pour s’en rendre compte, ndlr], reste Sandro, un enfant sociable et curieux, conscient de tout ce qui se passe autour de lui. C’est d’ailleurs par lui que Pietro Germi a décidé de raconter l’histoire de cette famille. La voix off de Sandro décrit les situations avec son regard d’enfant jusqu’à la fin du film. Sa naïveté devant certains événements – naïveté dont il a lui-même conscience et qui le conduit parfois au désespoir – apporte une dimension d’autant plus cruelle au récit, le spectateur connaissant la gravité de la situation. Très vite, nous adoptons ce double point de vue pour se laisser gagner par une tristesse enfantine dont Sandro est le moteur. À l’image de la génération perdue d’orphelins qui est au cœur de Sciuscia (1946) de Vittorio de Sica une décennie plus tôt – et présenté également par la Cineteca di Bologna à Cannes Classics en 2022 –, ou du jeune garçon confronté pour la première fois au deuil dans L’Incompris (1968) de Luigi Comencini une décennie plus tard, Sandro prend à bras le corps des responsabilités qui ne sont pas de son âge. Il parcourt la ville dans le but de réconcilier chacun des membres de sa famille. Pour lui, une dispute est comme la fin d’une vie. Sa complicité avec son père est la plus belle trouvaille du film, ils sortent au bar, chantent et jouent de la guitare, ce qui donnent lieu à de sublimes moments de musique et de camaraderie. 

Restauré par L’immagine Ritrovata et la Cineteca di Bologna, Le Disque rouge sortira sûrement en salles ou en vidéo prochainement, il ne faudra pas le manquer.

LE DISQUE ROUGE
(IL FERROVIERE)
Pietro Germi, 1956, Italie

Restauré par Il Immagine Ritrovata et La Cineteca Di Bologna
Présenté à Cannes Classics 2023

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