Le Festival international du film d’animation d’Annecy édition 2023 s’est achevé il y a quelques jours. Dans sa bonne ambiance et son cadre merveilleux, le grand Rintarō est venu présenter la version restaurée de Galaxy Express 999, l’adaptation cinématographique de 1979 tirée de la série et du manga du récemment disparu Leiji Matsumoto. Une splendide épopée cosmique, visuellement ébouriffante, spin-off d’Albator, qui est aussi le premier long-métrage du réalisateur du futur Metropolis, désormais âgé de 82 ans. Bon pied bon œil, nous avons pu évoquer avec lui le début de sa carrière et le tournant qu’a été la réalisation de Galaxy Express 999, dont on attend une ressortie prochaine en France.

Avec Ozamu Tezuka, vous avez lié une longue relation et collaboration, étalées sur plusieurs décennies. Pouvez-vous nous évoquer cette rencontre capitale dans votre carrière ?

C’est avec la série Astro Boy [1963 – 1966] que je me suis chargé pour la première fois de la mise en scène. J’étais jeune, j’avais seulement 22 ans, et donc Tezuka a été extrêmement important au lancement de ma carrière. Et quand on est jeune comme ça, on fonce sans trop réfléchir ! J’ai travaillé longtemps et très régulièrement sur des œuvres de Tezuka. 40 ans plus tard, je suis revenu à Tezuka, et je me suis dit qu’il faudrait peut-être retravailler son œuvre avec davantage de réflexion. J’ai toujours été très reconnaissant envers lui, justement car il m’a permis de lancer ma carrière, et c’est en hommage à lui que j’ai voulu réaliser Metropolis. Et Metropolis, justement, était un manga que Tezuka avait écrit quand il était jeune, à seulement 21 ans. Cependant, quand on lit son manga, on se rend compte que l’histoire ne tient pas vraiment debout, mais par contre, l’univers de Metropolis est d’une très grande richesse. J’ai donc conservé l’essence de cet univers pour écrire une nouvelle histoire, et pour cela j’ai sollicité Ōtomo pour qu’il écrive le scénario. À cette époque, Tezuka n’était déjà plus parmi nous. S’il avait été encore vivant, croyez-bien qu’il n’aurait pas accepté ce film comme tel ! Car c’était un homme intelligent, et il était conscient du manque de cohérence de son histoire, ainsi il n’aurait pas accepté une demande d’adaptation car il aurait eu honte de cette œuvre. Pour notre film, pour cet hommage, nous avons décidé de créer quelque chose de nouveau. Mais de là où il nous regarde, j’ignore s’il est satisfait du résultat !

Vous avez commencé votre carrière comme coloriste, notamment dans un film d’animation important dans l’histoire du cinéma japonais, Le Serpent blanc (1958), premier long-métrage d’animation en couleur. Par la suite, qu’avez-vous tiré de cette expérience autour du travail de la couleur ?

Absolument rien ! Ou plutôt, à travers cette expérience, j’ai surtout compris que tous les postes étaient importants pour un film, le cinéma étant un art collectif. Je me souviens parfaitement de cette époque, mais comme expérience artistique, cela n’a pas servi à grand-chose. J’étais le seul homme dans l’équipe des coloristes, qui était un métier massivement féminin et à l’époque tout était coloré à la main. Être coloriste, ce n’est pas réfléchir sur la couleur, c’est vraiment appliquer les couleurs donc à ce moment-là je ne pensais à rien. En tout cas, mon travail sur la couleur pour les films plus tardifs ne vient paradoxalement pas de mon expérience de coloriste.

Adapter Galaxy Express 999 en long-métrage pose la question de la narration. Les mangas comme la série ont une logique épisodique qui se prête justement à la trajectoire du train, ses arrêts et aventures de planète en planète. Comment êtes-vous parvenu à retravailler cette histoire pour qu’elle colle au format du long-métrage de cinéma ?

Avant tout, je ne travaillais pas sur la série Galaxy Express avant – j’avais par contre travaillé sur Albator. La Tōei  a voulu produire un long métrage de divertissement destiné aux adultes alors que la série était justement plutôt destinée à un public jeune, aux enfants. J’avais une idée de la série télé, mais à l’époque je n’avais pas lu le manga. Donc c’était comme si je partais d’une feuille blanche pour écrire cette histoire de deux heures. En ce sens, ça n’est donc pas une adaptation fidèle du manga de Leiji Matsumoto, en tout cas ça n’était pas mon intention, donc je n’ai pas passé mon temps à lire et relire le manga, même si bien sûr, je voulais en préserver l’essence. Mais tout de même, faire quelque chose de neuf. Pour ce faire, il fallait évidemment un scénariste, et j’ai demandé à ce que ce soit un scénariste non pas de films d’animation, mais de films en prise de vue réelle, Fumio Ishimori [crédité Shirô Ishimori dans ses films lives, notamment pour le réalisateur Kōichi Saitō, ndlr]. Ishimori était sceptique à l’idée de travailler sur un film d’animation, ce qui n’était justement pas son domaine. Et je lui ai précisément demandé d’écrire non pas pour du cinéma d’animation, mais comme il l’aurait fait à propos d’un film live. Et ensemble, nous avons opté pour la forme d’un road-movie. Mais même au-delà de la narration, il y a eu du changement, comme par exemple sur le design des personnages, où il y a une évolution par rapport à la série. Par exemple, le héros Tetsurô a un visage assez différent. De toute façon, le but de Toei Animation était d’en faire un film destiné aux adultes, et j’estime cette mission accomplie – qui derrière a lancé ma carrière de réalisateur de longs-métrages.

La musique de Nozomi Aoki, qui a travaillé aussi sur la série, mélange justement différents styles : de la pop, du symphonique, parfois des sons expérimentaux qui évoquent le cosmos… Comment s’est fait ce travail ?

Pour être honnête, je cherchais avant tout de la musique qui soit susceptible de parler aux spectateurs, peu importe le genre. Et on a beau dire que c’est un space opera, pour moi Galaxy Express 999 est une histoire d’amour. À la fois une histoire d’amour maternel, celle disparue, mais aussi pour Maetel, la mère de substitution, et l’amour du garçon pour le grand voyage qu’il entreprend. Donc peu importe le genre de la musique, pour moi il fallait qu’elle aille dans cette direction de l’amour, quitte à justement utiliser de la pop. Pour la chanson du film, on a travaillé avec un groupe pop japonais, Godiego [qui a également collaboré en 1977 au film d’horreur House, ressortant prochainement en salle, ndlr]. Néanmoins, pour montrer l’univers galactique, là, oui, il fallait aller davantage vers le symphonique, que Nozomi Aoki a composé.

Le budget de Galaxy Express 999 était plutôt confortable : 250 millions de yens. Est-ce que la liberté permise par ce budget, qui a aidé à enrichir visuellement le film, s’est accompagnée de contraintes venant du studio ?

J’étais un jeune réalisateur et cette somme de 250 millions de yens me paraissait abstraite. Quand j’ai dessiné le storyboard, à aucun moment je n’ai pensé au budget. Cependant, sur ce genre de film d’animation, nous étions vraiment très nombreux à travailler et c’est ainsi qu’on se retrouve avec un budget important, consacré notamment au coût du personnel. Et il y avait beau avoir un sacré budget, ça partait très vite ! D’ailleurs, malgré ce confort budgétaire, il a fallu à plus d’une reprise travailler 24 heures sur 24 pour finir le film ! J’exagère peut-être un peu, mais nous ne dormions pas beaucoup ! C’était une épreuve physiquement éprouvante, et en même temps tout le monde rêvait de travailler dans l’animation. Les délais de production étaient serrés, et il m’est arrivé de représenter l’équipe auprès du studio pour renégocier les délais. Par contre, au box-office, le film s’est retrouvé propulsé dans le top de l’année, donc cela m’a rassuré – hélas, je n’ai pas reçu de pourcentage sur la recette ! Mais ça m’a donné la confiance en moi suffisante pour poursuivre ma carrière.

Suite au succès de Galaxy Express que vous avez mentionné, comment avez-vous appréhendé la suite de votre carrière, outre le second volet réalisé juste après, Adieu, Galaxy Express ?

Comme c’était mon premier long-métrage, et qui plus est un succès, Galaxy Express 999 m’a ouvert plein de portes. J’ai commencé à être sollicité pour d’autres projets, comme si un nouveau rail avait été posé pour moi, afin de partir pour d’autres voyages. Et surtout, il s’agit aussi d’un des premiers gros succès de l’animation japonaise au cinéma, qui a contribué à créer celle que l’on connaît désormais bien aujourd’hui. J’en tire une grande fierté !

Remerciements à Shoko Takahashi et à Aurélie Lebrun.

Crédit images : Galaxy Express 999 (1979) © Toei Animation.