Présenté à Cannes Classics durant cette 77ème édition du Festival de Cannes, Law and Order (1969), un des premiers long-métrages du documentariste Frederick Wiseman, montre la vie réelle d’une brigade de policiers à Kansas City, entre camaraderie quotidienne, désordre et violence raciale. La ressortie en version restaurée est prévue à l’automne 2024 par Météore Films.

Dans la lignée directe de Titicut Follies (1967) qui mettait en scène la vie quotidienne d’un asile peuplés de criminels, Wiseman s’insère ici dans le quotidien d’une brigade de policiers. Durant cette période pré-Nixon, les États-Unis tentent par tous les moyens de faire baisser le taux de criminalité des villes mais la pauvreté augmente et les nouvelles opportunités apportées par la drogue plongent une partie défavorisée de la population dans un climat de rixes et de défiance [cf. Revus & Corrigés N°8 – Mondo Police, consacré à l’image de la police à travers le cinéma].

Law and Order (1969) © Zipporah Films

Héritage de la ségrégation

Le film prend d’abord ses marques dans les murs du commissariat où des interrogatoires de routine sont menés en toute décontraction. Plusieurs personnages hauts en couleur se succèdent, en majorité blancs, qui n’ont pas peur de défier l’autorité des policiers et montrer leur désaccord. Cette vision quotidienne de la vie de la brigade est un aperçu de son dysfonctionnement : les affaires sont discutées entre deux portes, les décisions prises après de brèves concertations et le désordre règne. Les policiers croulent sous une tonne de paperasses et s’en plaignent dès qu’ils le peuvent. La machine semble enraillée jusqu’ils commencent leur ronde et retrouvent alors le pouvoir. Loin de l’œil inquisiteur de leurs supérieurs, les brigadiers de Kansas City exercent leur autorité dans la crainte et dans la violence. Très vite, le film se concentre sur le traitement des populations noires par une police raciste et répressive. Tout l’intérêt pour Frederick Wiseman est de montrer les différences de procédure entre les deux populations. L’une blanche, qui a le droit de tenir tête à la police sans trop de représailles, et l’autre noire, dont tout débordement est immédiatement réprimé. Par-dessus tout, le documentaire illustre le mépris – et parfois même le dégoût – des policiers pour la population Noire. Les vestiges de la ségrégation ont laissé des traces et chaque échange du film le prouve. Et pour cause, en 1968, la relation entre race et criminalité est déjà un sujet de société et le racisme continue de prospérer tandis que les politiques publiques peinent à investir en faveur de certaines minorités. 

Capturer le réel

Les arrestations s’enchaînent et les délinquants noirs sont tout de suite menottés, étouffés – ce qui nous rappelle immédiatement le destin de George Floyd et tant d’autres – ou même étranglés, comme cette prostituée prise au piège et agressée lors d’un simple contrôle d’identité. Des scènes frappantes dont l’impact est accentué par le dispositif du réalisateur. Sans voix-off ou cartons, seul le montage sert de commentaire et donne une voix au film. Comment imaginer qu’un policier puisse agir ainsi devant une caméra ? Le cinéaste est un témoin ordinaire et sa caméra ne doit pas perturber les protagonistes, pour que leurs paroles et leurs actions soient sincères. Malgré les violences perpétrées, le propos du film est en permanence nuancé par la réciprocité des attaques et les dangers encourus par la police. La cohabitation fait naître le respect à des endroits où on ne l’attendait plus et des séquences d’entraide entre les policiers et la population rappellent la complexité de cette relation. La volonté de capturer une réalité aussi nue est aujourd’hui encore partagée par la plupart des documentaristes mais, au terme de soixante ans de carrière et plus de 40 immersions, Wiseman demeure un maître en la matière.

LAW AND ORDER
Frederick Wiseman, 1969, États-Unis

Météore Films
Au cinéma le 11 septembre 2024

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