Dalton Trumbo, grand scénariste hollywoodien connu pour ses prises de position politiques, réalise Johnny Got His Gun en 1971, un réquisitoire anti-guerre sous forme de combat intérieur pour (et contre) la vie. Présenté en sélection Cannes Classics lors du Festival de Cannes 2024, Johnny Got His Gun ressort le 11 septembre dans une nouvelle version restaurée, grâce à Malavida Films.
Sorti en 1971, Johnny Got His Gun est le seul film que réalise le scénariste de renom Dalton Trumbo qui était, entre autres, à l’origine de Vacances romaines (1953) de William Wyler et de Spartacus (1960) de Stanley Kubrick. Adapté de son roman sorti en 1939, le film nous plonge dans les horreurs de la Première Guerre mondiale à travers l’histoire de Joe Bonham, un jeune homme naïf, d’abord heureux de partir défendre son pays.
Johnny s’en va-t-en guerre – titre français évoquant davantage un comptine enfantine – commence dans le noir, des voix lointaines se font entendre et trois médecins apparaissent, penchés sur la caméra. Nous sommes à la place de Joe, étendu sur un lit d’hôpital, qui les écoute faire état du diagnostic. Il est amputé des quatre membres, aveugle, sourd, muet et les trois spécialistes pensent même qu’il a perdu toute humanité. Ne pouvant ni communiquer, ni penser par lui-même, les médecins décident de le maintenir en vie afin d’étudier ses réactions et d’en apprendre davantage sur les estropiés de guerre qui arrivent en masse dans leurs services.
Souffrance muette
Dans un dispositif qui rappelle Les Choses de la vie (1970) de Claude Sautet, la voix et les pensées du soldat emprisonné dans son propre corps, nous accompagnent dans la découverte de sa vie. Des séquences de flashbacks en couleur viennent contraster avec le noir et blanc du présent et s’alternent dans une sorte de confusion continue. Sans prise sur le temps et l’espace, Joe se remémore ses derniers instants avec sa fiancée Kareen et son enfance avec ses parents. L’incrustation d’une figure christique en toge au milieu de ses souvenirs de garnison, sous les traits de Donald Sutherland, vient brouiller les frontières avec le rêve. Une atmosphère fellinienne vient envelopper ces séquences de plus en plus oniriques où Joe se réconcilie symboliquement avec tous les aspects de sa vie, mais aussi avec sa condition. Il l’a compris, il ne reviendra pas de cette blessure, et cette plongée dans son univers intérieur a ses limites, bien que l’esprit n’en ait pas.
Le film aborde de front la question de la fin de vie et du droit de mourir dans la dignité pour les personnes réduites à l’impuissance. Si le début laisse penser que le schéma sera classique, Dalton Trumbo signe un film anti-guerre déconstruit qui prend de l’envergure à chaque séquence. Par l’exploration de la souffrance physique et mentale, Johnny Got His Gun rend la guerre à l’individu.