Alexandre Aja était l’un des invités du dernier festival Lumière, pour lequel il a donné une masterclass et présenté une nuit de l’horreur composée de quatre fleurons du genre : Hérédité d’Ari Aster, son remake de La Colline a des yeux, Les Griffes de la nuit de Wes Craven et L’Exorciste de William Friedkin. Rencontre avec un cinéaste ambitieux qui a traversé l’Atlantique il y a deux décennies pour tourner aux États-Unis des films de genre qui lui ressemblent. 

Quel est votre premier souvenir d’un film d’horreur ?

Ce ne sont pas des films d’horreur à proprement parler mais plutôt des images horrifiques. Quand on est enfant, on se créé des angoisses ou des cauchemars par rapport à notre imaginaire mais lorsqu’on est confrontés à des images que l’on ne contrôle plus, qu’on a du mal à interpréter et appréhender et qui vont nous ouvrir les yeux, cela peut créer un traumatisme. La première de ces images horrifiques qui a nourri mes cauchemars avant mes 4 ans, c’est la sorcière de Blanche-Neige, qui n’est pas un film d’horreur mais l’image de cette sorcière a été très marquante pour moi. À la même époque, je me suis retrouvé par hasard au milieu d’une pièce où des ados beaucoup plus vieux que moi regardaient Les Aventuriers de l’Arche perdue. Cette scène de fin où les visages des nazis se mettent à fondre m’avait bien marqué aussi. Mais le véritable choc a eu lieu vers 6 ou 7 ans quand je découvre Shining. C’était par accident car je devais voir au départ Superman 2 ! J’étais incapable de revenir sur mes pas pour arrêter le magnétoscope. Il y a une sorte de pression, d’hypnose, de possession des images, à l’instar du personnage de Danny qui voit ce qui se passe dans la chambre 237. C’est vraiment mon premier traumatisme.

Étiez-vous un spectateur compulsivement friand de ce genre de cinéma, jeune ?

Ces premières expériences m’ont rendu peureux et en même temps extrêmement curieux de l’horreur et du genre. Avant mes 10 ans, je vivais cette expérience de trois manières différentes : la première lorsque je rencontrais un adulte et que je lui demandais de me raconter le film d’horreur qu’il avait vu ; la deuxième était de collectionner les fiches cinéma du magazine Premiere qui étaient détachables ; et la troisième, la plus importante, était de passer énormément de temps au vidéoclub à regarder les jaquettes des VHS et à rêver ces films avant de les voir, les imaginer avant de les regarder. C’est vraiment vers 11 ou 12 ans, lorsque je rencontre Gregory Levasseur [le principal collaborateur d’Alexandre Aja depuis ses débuts, ndlr] que je vais me plonger avec lui dans la consommation de tous ces films. Nous allons vraiment devenir des cinéphages, dévorer les films, vidéoclub après vidéoclub, enchaînant cinq films dans la journée. Nous allons construire notre cinéphilie de cette façon. 

L'Exorciste, de William Friedkin (1973) © Warner Bros

Vous souvenez-vous quand vous avez découvert LExorciste ?

J’ai dû le voir la première fois vers 13 ou14 ans, et la deuxième fois vers 16-17 ans lors de la ressortie. Depuis, je l’ai vu de nombreuses fois, ce film fait partie de ces quelques chefs d’œuvre absolument parfaits à tous les niveaux et qui n’ont pas pris une ride, dans un mélange absolu d’emprise et d’audace. William Friedkin entreprend des choses qu’on ne ferait plus aujourd’hui, désormais impossibles à écrire et qui ont pourtant su toucher un public tellement large. J’aurais bien sûr aimé pouvoir remonter dans le temps et le découvrir en salle au moment de sa sortie, de connaître le même choc qu’a dû ressentir le public. Malgré tout ce qu’on a pu en dire, rien ne nous prépare à vivre quelque chose d’aussi intense et radical.

Quels sont les cinéastes de genre qui vous ont le plus influencé ?

Évidemment Wes Craven m’a énormément influencé. J’ai réalisé le remake de La Colline a des yeux avec sa bénédiction. J’admire par dessus tout son chef d’œuvre absolu qui est Les Griffes de la nuit. C’est quelqu’un qui a œuvré dans l’horreur toute sa vie et qui a connu plusieurs renaissances artistiques. Il commence très fort avec La Dernière maison sur la gauche, s’arrête puis repart avec La Colline a des yeux, connaît un passage à vide puis tout à coup sort Les Griffes de la nuit, et dix ans plus tard Scream. C’est exceptionnel de vivre autant de moments comme ceux-là dans une carrière de cinéaste. Je pense aussi à la liberté de Sam Raimi. Son Evil Dead 2 est le Citizen Kane de l’horreur. J’ai toujours été davantage du côté de John Carpenter, Wes Craven, Tobe Hooper, que du cinéma italien et de Dario Argento. Il y a des fulgurances dans les films d’Argento et des découpages de scènes inégalés mais il y a quelque chose sur la longueur qui m’a toujours laissé en dehors de l’expérience. Pour moi, l’immersion dans le genre horrifique est essentielle. Comme ce premier souvenir d’immersion absolu avec Shining, c’est cela que je recherche avant tout dans un film. Quand un élément me sort du film, les acteurs, les dialogues, les situations ou une direction artistique trop prononcée, je m’en détache et c’est ce que j’éprouve avec le cinéma de Dario Argento, contrairement à un cinéma plus viscéral qu’on peut retrouver dans Massacre à la tronçonneuse ou La Dernière maison sur la gauche

Qu’est-ce que permet le cinéma d’horreur selon vous ?

Il y a d’abord une notion de divertissement, le train fantôme, le plaisir de se faire peur. Mais il y a derrière cela quelque chose de plus profond, de plus psychologique, qui est presque similaire aux contes fantastiques de Perrault et Grimm ou aux récits de Gilles de Rais [terrible figure de la fin du Moyen-Âge, connue sous le nom de Barbe Bleue, ndlr] qu’on se racontaient au coin du feu aux XVIème et XVIIème siècles, ce besoin de se confronter à l’horreur de ce que peut être l’humanité à travers les traditions folkloriques. Dans Shining, on affronte notre part d’ombre, nos monstres. À chaque visionnage de ce film, je trouve quelque chose de différent, un autre élément de l’œuvre qui apparaît et que l’on peut analyser à différents niveaux. Le cinéma d’horreur permet cela.

Baby Blood, d'Alain Robak (1990) © Splendor Films

Pourquoi jusqu’au début des années 2000, le cinéma d’horreur en France est-il aux abonnés absents, si l’on excepte les films de Georges Franju ou Jean Rollin ?

Il y a eu quelques tentatives pourtant. Adolescent, je me souviens de 3615 code Père Noël [René Manzor, 1989, ndlr], puis de Baby Blood [d’Alan Robak, 1990, ndlr]. Il y a toujours eu une envie d’horreur à la française. On a inventé la science fiction, le fantastique, Méliès est le premier cinéaste de genre et le premier cinéaste tout court. Mais cette envie s’est perdue à cause du système de financement qui ne le permettait pas car il se fait par le pré-achat des chaînes de télévision pour une diffusion en prime time d’une œuvre qui n’est pas interdite aux moins de 12 ou 16 ans. C’était très difficile de produire des films qui ne rentraient pas dans cette case. Promenons-nous dans les bois (2000) de Lionel Delplanque a connu un beau succès en totalisant près de 750 000 entrées, ce qui est rarissime pour un film de genre. Et puis il y a eu cette initiative malheureusement ratée qui s’appelait B-Movies et qui a engendré des films très médiocres. Quand sort Furia [film de science fiction avec Marion Cotillard, ndlr] que je réalise avec Greg Le Vasseur en 1999, le film est très mal accueilli, c’est un échec commercial et critique, on se dit qu’on ne fera plus jamais de films. Tous les deux, nous hésitons entre la science fiction et l’horreur qui sont nos deux passions, et nous nous lançons dans l’écriture de Haute tension comme une lettre d’amour au cinéma de genre, particulièrement celui des années 70, viscéral, un peu craspec, radical dans sa brutalité. Une horreur qui fait peur sans second degré, contrairement à tout ce qui avait suivi après le succès de Scream.

Pourtant, quand vous réalisez Haute Tension en 2003, c’est Europa Corp qui distribue le film, soit l’un des plus gros studios français de l’époque.

C’est un paradoxe absolu car on galérait à monter le financement de Haute tension, ce que nous avons fait seuls au départ. Au moment de la préparation du film, un fait divers sordide est survenu : un jeune garçon qui portait le masque du tueur de Scream a poignardé sa copine en banlieue parisienne. Suite à cela, les deux millions d’euros de financement que nous avions eu tant de mal à réunir s’écroulent et le film s’arrête. C’est à ce moment là que nous rencontrons Luc Besson qui venait de créer Europa Corp et qui a accepté de faire le film sans se reposer sur le mode de financement habituel du cinéma français.

Après cela, comment se déroulent votre départ pour les États-Unis, et le remake de La Colline a des yeux ?

Haute Tension fonctionne moyennement en France malgré de bonnes critiques mais il rencontre un vrai engouement en Asie et aux États-Unis. Beaucoup de producteurs et de réalisateurs le découvrent nous contactent ! Grégory Levasseur et moi rencontrons Wes Craven lors d’un rendez vous à Los Angeles et c’est durant cette rencontre qu’il nous demande si nous connaissons La Colline a des yeux et si cela nous intéresserait de le refaire. Nous avions à ce moment-là un autre projet de film que nous décidons de mettre de côté et nous sommes revenus quelques jours après avec une ébauche de scénario que Wes a tout de suite validé, puis nous nous sommes lancés dans l’écriture. Il va se passer ensuite énormément de choses car les films ne sont jamais un long fleuve tranquille, il y a toujours beaucoup d’épreuves, de contretemps, de changements. On écrit le film durant une longue période avec Dimension, la filiale horreur de Miramax créée par les frères Weinstein. On est en plein casting, on doit faire les repérages et du jour au lendemain Dimension décide de ne plus faire le film après nous avoir demandé de le réaliser pour la moitié du budget prévu. Pendant ce temps, Wes Craven termine la production de Cursed avec Dimension qui a été un traumatisme pour lui, ils l’ont quasiment obligé à tourner le film deux fois, il a subi un véritable enfer. Wes en a eu marre et a voulu attaquer en justice Dimension. La Colline a des yeux s’est alors arrêté, après un an et demi de développement. C’est finalement Fox Searchlight qui va permettre au film de repartir. On se n’est pas toujours entendu sur l’écriture du script, il y avait des choses sur lesquelles Wes Craven ne voulait pas transiger. Il n’était pas présent sur le tournage et c’est après, en post production, qu’il y eut parfois des tensions. Mais j’ai davantage de recul maintenant et rétrospectivement je me dis que cela devait être compliqué pour lui qu’un jeune réalisateur de 25 ans fasse un remake de son propre film sur lequel il n’avait pas beaucoup de distance et qu’étrangement il n’aimait pas et dont il n’était pas particulièrement fier. Le succès du film l’a rassuré.

La Colline a des yeux, d'Alexandre Aja (2006) © Disney / Fox Searchlight

On a l’impression que le cinéma d’horreur anglo-saxon contemporain se divise en deux catégories : les franchises à petit budget issues du studio Blumhouse et les films plus ambitieux signés Ari Aster. Où vous situez-vous ?

Je ne suis pas sûr que ce constat soit juste parce que ce cinéma d’auteur d’horreur révélé par le label A24 et toute cette nouvelle génération d’auteurs est aussi fauchée que les films Blumhouse, qui sont eux-mêmes à l’origine des films d’auteur. L’idée de départ de Jason Blum était de donner carte blanche à des réalisateurs à condition de respecter un budget de cinq millions de dollars.

Disons que ces films sont devenus de plus en plus formatés, a contrario de propositions plus ambitieuses et audacieuses.

Ah, le eleveted horror contre le jump scare ? Le cinéma de genre est du cinéma d’horreur. Par exemple, David Cronenberg travaillait pour des producteurs qui voulaient voir leur retour sur investissement et Cronenberg l’a très vite compris, construisant un cinéma de divertissement prévu sous contrat pour faire peur tout en utilisant cette forme comme un cheval de Troie pour apposer sa signature sur tous ses films. Beaucoup de réalisateurs passent par le même chemin, la différence serait peut être entre un nouveau cinéma d’exploitation qui recycle les mêmes recettes et un cinéma de pur divertissement, mais la frontière est ténue. Quand je fais Crawl, je n’ai pas l’impression de faire que du pur divertissement. Ce sont des cycles, même A24 s’est mis au jumpscare ! J’y vois surtout des bons films et des mauvais films, ceux qui racontent quelque chose et les autres qui sont opportunistes et qui sont généralement des ratages. 

Quel film conseillerez-vous à une personne qui n’a jamais vu de film d’horreur, et qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie ?

S’il n’y en avait qu’un, vraiment qu’un : Shining.

Shining, Stanley Kubrick (1980) © Warner Bros
Image de couverture : Alexandre Aja au Festival Lumière © Chassignole

Pour aller plus loin dans le cinéma d’horreur

Découvrez l’épisode d’Une Histoire de cinéma, consacré au cinéma d’horreur japonais, par Antoine Jullien.

En savoir plus sur Revus & Corrigés

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture