Encore une fois – et ça ne sera pas la dernière – Revus et Corrigés est enchanté de faire découvrir des programmations en dehors des salles classiques du réseau de diffusion sur grand écran, car le cinéma de patrimoine ne se visionne pas qu’en salle ou en vidéo. Nous sommes allés à la rencontre de Marcos Uzal, le programmateur cinéma du musée d’Orsay, pour en savoir plus sur son métier, entre action culturelle et diffusion cinématographique, et découvrir son merveilleux cycle “Le cinéma entre dans la danse”.


 

Comment avez-vous construit cette programmation ?

Il s’agit d’une programmation relativement courte, un long week-end du jeudi au dimanche. Pour cette programmation, je suis partis des questions posées dans l’exposition “Le Ballet classique”, en rapport à ce qu’a pu peindre Edgar Degas. Il y a peu de films consacrés au ballet classique. Celui qui m’est venu de toute évidence ce sont Les Chaussons rouges (1948). C’est un film connu, mais il n’est pas tant montré que ça. Il y a un programme de films muets qui montrent comment la danse est présente dès les origines du cinéma, qu’elle est éminemment cinématographique ! On commence avec un film des frères Lumière, La Danse serpentine (1896), on peut voir ensuite du cinéma expérimental avec deux exemples : Germaine Dulac et Maya Dern, deux cinéastes qui ont travaillé sur la question du corps en mouvement au cinéma. Et puis il y a une fiction d’Evgueni Bauer qui est vraiment un grand cinéaste russe méconnu des années 1910. La Mort du cygne (1917) c’est presque le prequel de Black Swan : c’est l’histoire d’une danseuse qui joue la mort du cygne jusqu’à l’épuisement. C’est un très grand film. Je tiens à ce qu’il y ait souvent du cinéma muet dans les programmations au musée d’Orsay. On consacre même certaines entièrement au muet, et les séances sont accompagnées au piano.

« La comédie musicale américaine, c’est à la fois ce par quoi on connaît la danse au cinéma et également le lien entre la danse classique et plus moderne. »

Ensuite il y a Isadora (1968). Il n’y a pas beaucoup de biopics sur les danseuses, et celui-là est très bien. Il y a un investissement de l’actrice Vanessa Redgrave dans le personnage de la danseuse qui est assez étonnant. En plus cela renvoie à un spectacle jeune public qui va être montré au musée d’Orsay autour d’Isadora Duncan. Une spécialiste du sujet, Elisabeth Schwartz – qui a elle-même été danseuse –, viendra présenter le film. Enfin, j’ai voulu montrer le lien entre le ballet et la comédie musicale américaine, le music-hall, le jazz, avec deux films qui montrent bien ce lien. Dans L’Entreprenant Monsieur Petrov (1937), il y a tout un jeu entre le ballet classique et la danse plus moderne et le passage de l’un à l’autre. C’est l’enjeu du film puisque c’est l’histoire d’un chorégraphe classique (Fred Astaire) qui tombe amoureux d’une danseuse de music-hall (Ginger Rogers). Et puis dans les grandes comédies musicales américaines, il y a le film de Gene Kelly, Invitation à la danse (1956), c’est une sorte de bouquet final où il rend hommage à plusieurs types de danse en faisant intervenir des danseurs importants de l’époque. Dans ces deux films, c’est à la fois ce pourquoi on connait la danse au cinéma, et également le lien entre la danse classique et plus moderne.

Gene Kelly dans Invitation à la danse (1956)

Le film ayant tout un chapitre en animation, ça vous permet de retomber sur le dessin…

Oui effectivement c’est un film mêlant parfois les prises de vue réelles et le cinéma d’animation, ce qui peut faire référence au dessin et à la peinture.

Vous avez déjà un public familial lors des séances gratuites du dimanche. Quel est le public qui assiste à vos programmations ?

C’est assez variable. On a un manque de reconnaissance en tant que salle. On n’a que deux cycles par an qui sont assez courts. Mais il y a un projet de revenir à des projections plus régulières pour fidéliser les publics. Il y a quelques fidèles qui viennent beaucoup, qui sont des gens du quartier, des cinéphiles ou qui aiment le musée d’Orsay et qui nous font confiance. Mais ça dépend des cycles. C’est assez imprévisible et ce n’est pas forcément lié aux expositions. Il y a des cycles qui ont très très bien marché et qui n’étaient pas forcément liés aux expositions. On a choisi les films en fonction des thèmes.

Vous aviez monté une programmation autour de la Nuit au cinéma qui était très éclectique d’ailleurs.

C’était en lien avec l’exposition “Au-delà des étoiles. Le paysage mystique”, où il y avait une salle sur la nuit. À cette occasion, la programmation allait jusqu’à John Carpenter et les années 1980. Il y a certains cycles comme ça, plus larges, où je trouvais intéressant de faire des liens de Murnau à Carpenter, par exemple. Le cycle dont je suis le plus fier était celui consacré à Edgar Poe, où on allait de Griffith jusqu’à Dario Argento. Edgar Poe était présent dans tout le cinéma, et même dans la Nouvelle vague !

Une programmation de films, c’est une autre porte d’entrée au musée, comme à l’inverse, le musée vers le cinéma ?

Danslanuitdela-HammerOui. Le cycle qui avait le mieux marché était celui consacré à la Hammer. Il y avait un public cinéphile, de tous les âges. Il y avait des très jeunes, des férus de films fantastiques. Il y avait eu un cycle Terence Fisher à la Cinémathèque quelques années avant, mais pas sur la Hammer vraiment. On y a vu là des publics qu’on ne voyait pas habituellement. C’est sûrement lié à l’âge autant qu’à des questions culturelles. Il y avait aussi des gens qui venaient pour la première fois au musée.

Vous faites une présentation du film avant chaque projection du cycle. Vous faites attention à bien introduire les films de votre programmation.

Quand je suis arrivé à ce poste, le directeur de l’auditorium à l’époque aimait bien ces introductions, donc j’ai pris l’habitude de toujours présenter moi-même les films. Ça permet de mettre en valeur les connexions entre tous les films pour les personnes qui suivent tout le cycle et de recontextualiser les films individuellement. Et ça arrive aussi qu’on invite des gens pour présenter les films, ce qui est le cas pour ce cycle sur la danse. On accueille Damien Aubel qui est journaliste chez Transfuge pour présenter Les Chaussons rouges. Ça arrive que l’on fasse venir des spécialistes, ou des réalisateurs de films quand ils sont encore vivants. Bertand Bonello est venu présenter L’Apollonide pour l’ouverture du cycle sur la prostitution. Nelly Kaplan est venue également lors du même cycle pour présenter La Fiancée du pirate (1969). Le 24 mai prochain, on va faire venir Volker Schlöndorff lors d’une semaine autour des pays baltes, à l’occasion de la projection de son film Le Coup de grâce (1976). Donc oui on essaye le plus possible d’introduire les films, le public aime bien ça.

Le cinéma a toujours été présent dans la conception même des missions du musée d’Orsay, n’est-ce pas ? C’est un musée pluridisciplinaire qui fait attention à faire entrer tous les arts au sein des expositions et de l’action culturelle.

Le cinéma a toujours été présent au musée d’Orsay, avec des hauts et des bas. Quand j’ai connu la salle en tant que spectateur dans les années 1990, il y avait des gros cycles et la salle était reconnue. Il y avait des rétrospectives Tod Browning, Fritz Lang, Hitchcock etc… Puis la salle a fermé un ou deux ans pour travaux et à ce moment-là nous avons perdu un peu de publics. Il y a toujours eu du cinéma au musée d’Orsay, et Laurence Des Cars, la nouvelle directrice du musée, a l’intention de remettre le cinéma au cœur des salles d’exposition, en considérant le cinéma comme une invention et un élément très important de l’art du XIXème siècle. Il est même question de consacrer une salle, voire deux, au cinéma dans les collections, un événement qui donnera lieu à une exposition un peu plus tard, qu’on accompagnera par des films en auditorium.

En même temps, il y a certain nombre d’artistes exposés ici qui ont été contemporains des débuts du cinéma, qui ont été filmés dans leurs ateliers…

Évidemment ! Dans la cadre de l’exposition Degas, on a passé Ceux de chez nous de Sacha Guitry (1915), où il va filmer des artistes de l’époque comme Monet ou Rodin. Pour la plupart, ce sont les seules images filmées qu’on a d’eux. Il va y avoir aussi une exposition à propos de la relation entre Renoir le peintre et son fils le cinéaste. Donc je suis en train de réfléchir à un cycle qui ne serait pas qu’un cycle Renoir, mais un cycle sur le rapport entre la naissance du cinéma et la peinture, l’apparition du cinéma et l’impressionnisme, avec cette vieille idée que le cinéma serait le prolongement de l’impressionnisme et qu’il aurait même mis fin à l’impressionnisme d’une certaine manière. Ça c’est vraiment un sujet intéressant qui touche au cœur des collections du musée. On a fait plusieurs cycles sur l’origine du cinéma. On avait fait un cycle qui s’appelait “Cinéma, Art du XIXème siècle” avec des films du cinéma primitif, des choses étonnantes, des films assez rares. On avait aussi consacré un cycle à Alice Guy, la première femme cinéaste. On essaie de montrer régulièrement du cinéma des premières années, d’avant 1914. C’est encore assez méconnu. L’ouverture de cette salle et l’exposition qui ira avec seront l’occasion de revenir aux origines du cinéma.

La piscine

Ceux de chez nous (1915)

Pour programmer des films dans un musée, vous naviguez entre deux milieux bien particuliers que sont les distributeurs et le service culturel du musée d’Orsay. Quels sont les acteurs avec qui vous collaborez, mises à part les cinémathèques ?

On emprunte parfois des copies à la Cinémathèque française, mais il n’y a pas exactement de partenariat. Pour trouver les films, on fait appel à toutes les cinémathèques françaises ou européennes. On a fait des cycles en partenariat avec Gaumont ou avec la Cinémathèque de Finlande à l’occasion d’un cycle sur le cinéma finlandais, qui est très peu connu. La première chose c’est savoir s’il existe un distributeur en France. Pour Les Chaussons rouges par exemple c’est Carlotta, ils ont une superbe copie 35 mm. Quand c’est un film qui n’a pas de distributeurs en France, il faut trouver la copie et les ayants-droits. C’est une enquête à mener. Systématiquement, j’écris aux cinémathèques en France ou à l’étranger comme la Cinémathèque de Bruxelles, Luxembourg, Suisse, le BFI à Londres… En Italie la Cinémathèque de Bologne a beaucoup de choses, comme à Turin et à Rome. Et parfois on est allés jusqu’aux États-Unis, à UCLA… Il existe de grands réseaux de diffusion dont la Fédération des Cinémathèque et Archives de Films de France et la FIAF, la Fédération internationale, dont on est donateurs. On travaille aussi beaucoup avec Lobster Films.

Dans quel format projetez-vous les films ?

J’essaye de privilégier le 35 mm de manière générale. Mais même les cinémathèques, quand elles font une copie 35 mm prestige, elles ne veulent pas trop la diffuser. J’avais réussi à obtenir la copie 35 mm restaurée de La Belle et la Bête (1946) de Gaumont qui avait été projetée à Cannes en DCP. Je crois que c’était la première fois qu’elle passait ! On avait fait un cycle “Antonin Artaud acteur”, où on a passé Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier (1928), qui avait été restauré par la Cinémathèque de Toulouse en DCP et en 35 mm. Toulouse était assez contents qu’on demande le 35 mm parce qu’ils étaient fiers de leur restauration. Malheureusement ça devient de plus en plus difficile d’avoir le choix entre pellicule et numérique. Ceux qui ont les copies sous-estiment souvent leur qualité et finalement on se rend compte qu’elle est très belle. Mais on a tendance à considérer de mauvaise qualité ou immontrables les copies qui sont un peu abimées. Je demande quand même à les avoir, si possible, en prenant le risque, et dans ce cas on n’a jamais eu de mauvaises surprises. Les mauvaises surprises arrivent souvent avec les copies dont on nous avait dit qu’elles étaient bien ! Mais quand on fait de la programmation, on arrive à la fin de la chaîne. C’est très difficile d’obtenir les copies originales. Nous sommes très dépendants du choix des cinémathèques et des distributeurs car il arrive souvent qu’une fois le DCP réalisé, ou une fois la nouvelle distribution achevée, on détruise les anciennes copies, pour faire de la place.

C’est important pour vous que l’on sache encore regarder les films en pellicule ?

Évidemment. Quand j’ai commencé à aller à la Cinémathèque au début des années 1990, on ne voyait que de la pellicule et parfois de mauvaise qualité, mais aujourd’hui, on est tellement habitué au numérique qu’on considère comme immontrables des copies légèrement abîmées. Et les plus jeunes publics sont moins habitués à ces imperfections… Pour moi, une des pires choses pour les copies argentiques, c’est les couleurs délavées, passées. Les rayures et les sautes ce n’est pas grave, mais les couleurs, c’est important. C’est un des critères dans le choix des copies que j’emprunte.

Vous avez des stocks au musée d’Orsay ?

Les seuls films qu’on a sont ceux qui sont produits par le musée. Aujourd’hui, on fait encore quelques co-productions. À une époque, vers la fin des années 1980, début 1990, il y a eu des commandes passées à des cinéastes. Le musée a produit un petit film de Jean-Pierre Mocky sur Nice, un film de Jean-Daniel Pollet sur le cimetière du Père Lachaise, il y a un film des Straub sur Cézanne, un film d’André Labarthe sur Van Gogh… Ce sont des films commandés à des cinéastes et tournés en 16 ou 35 mm. Mais nous n’avons pas de collections de films ici.

« Être programmateur, c’est une façon de prolonger sa cinéphilie. »

Concernant les films qui sont inclus au sein des expositions, c’est vous aussi qui vous en occupez ?

Non, même si parfois on me demande conseil, cela dépend des expositions et des commissaires. On peut discuter, voir ce que l’on peut faire. Et même pour moi c’est intéressant de voir ce que je peux montrer par rapport à ce qui est choisi pour les expositions. Mais ce n’est pas mon critère principal. L’idée c’est d’être lié à l’expo, mais avec une certaine distance, ne pas être juste dans l’illustration. Il y a eu une exposition au musée de l’Orangerie sur la peinture américaine des années 1930 parallèlement à laquelle on a fait un cycle sur le cinéma de l’époque. Là, je les avais étroitement aidés pour montrer les films dans l’expo. Il fallait qu’il y ait un montage cohérent.

Vous êtes aussi critique de cinéma. Comment percevez-vous ces deux activités ?

Pour moi c’est assez lié. Ce qui est intéressant quand on a un programme, c’est de ne pas se restreindre à ce que l’on aime comme si on était dans son salon, ça exige une ouverture. Mais il faut aussi avoir un regard critique. Être programmateur, c’est une façon de prolonger sa cinéphilie. Tout cinéphile a envie de programmer. C’est quelque chose d’excitant, montrer des films, c’est un beau geste. Quand on a fait un cycle sur Victor Sjöström avant que la Cinémathèque ne le fasse, avec de belles copies 35 mm neuves pour la plupart, j’en étais assez fier en tant que cinéphile ! Chercher longtemps une copie et finalement la montrer c’est une satisfaction. D’autant que nous disposons d’une belle salle.

Propos recueillis par Eugénie Filho.


 

Retrouvez toutes les informations concernant le cycle “Le cinéma entre dans la danse” dans l’article que nous lui avons consacré, ou directement sur le site du musée d’Orsay.

Crédits images : Invitation à la danse © 1956 MGM, Loew’s / Affiche du cycle “dans la nuit de la Hammer” © 2011 Musée d’orsay, DR / Ceux de chez nous © 1915 DR

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