Depuis mercredi dernier, inconditionnels et profanes ont pu doublement s’imprégner de l’univers du cinéaste allemand, à travers les versions restaurées de sept de ses long-métrages, dont les romances finissent mal… en général.
Comme nous l’avions signalé au début du mois, les initiales RWF ont refait surface ces derniers jours. Outre la rétrospective intégrale que lui accorde la Cinémathèque française, Carlotta films a vu les choses en grand. Le 18 avril, le distributeur nous a proposé une première salve de sept de long-métrages, réalisés entre 1969 et 1973 et en version restaurée, aussi bien au cinéma que réunis dans un coffret Blu-ray. Retour aux œuvres fondatrices d’un auteur parti trop tôt.
« Le bonheur n’est pas toujours très gai. » – Tous les autres s’appellent Ali
Lorsqu’il disparait subitement en 1982 à l’âge de 37 ans, ceux qui avaient fait la Nouvelle vague lui rendirent un hommage appuyé. Godard, Truffaut et les autres n’ont pas manqué pas de reconnaître le talent et le travail colossal accompli par leur compatriote d’outre-Rhin. Ce dernier laissait derrière lui une vingtaine de pièces de théâtre et près de quarante films, où le petit et le grand écran se confondent.
Lorsqu’il se lance dans la mise en scène de ses premiers court-métrages, et à revoir L’Amour est plus froid que la mort ou Le Bouc sortis en 1969, l’influence de la Nouvelle vague n’est pas qu’une simple impression. Le bouleversement amorcé par les trublions francophones d’À bout de souffle et des 400 coups plongea littéralement Rainer Werner Fassbinder dans ce cinéma d’avant-garde. Afin de mieux trouver ses marques et percer à jour ses obsessions de metteur en scène, comme il en témoigne dans un document de 1977 exhumé dans les bonus du coffret vidéo, Fassbinder l’acteur devient réalisateur. Il surfa volontiers sur le célèbre mouvement qui se répandait alors dans le cinéma européen.
Derrière les concepts et idées que recèle chacun de ces plans longs et souvent statiques, c’est Fassbinder qui se cherche. Alors il reprend, copie, pastiche presque la Nouvelle vague afin de trouver ce qui l’anime vraiment au fond de lui. La limite serait-elle atteinte avec Prenez garde à la Sainte putain ? Où l’exercice de la mise en abîme d’un film frôle la correctionnelle du hors sujet. Car que viendrait faire Eddy Constantine sur le tournage d’un long-métrage de Rainer Werner Fassbinder pour reprendre son rôle de Lemmy Caution, si sa précédente escale n’avait pas été Alphaville ? Or, dès l’année suivante, le cinéaste allemand se recentrera sur ce qu’il sait faire de mieux avec Le Marchand des quatre saisons, délaissant un cinéma trop froid et cérébral pour mieux déceler l’émotion la plus pure.
L’avis des autres
Hanna Schygulla, Ulli Lommel, Irm Hermann, Hans Hirschmüller, Margit Carstensen, El Hedi ben Salem, Katrin Schaake… Silencieux ou musicaux, noir ou virevoltant, les génériques répètent inlassablement les mêmes noms. Le réalisateur tient sa troupe dans laquelle il aime aussi tenir un rôle pour se mettre en scène à l’image. Leur fidélité est toujours récompensée d’un rôle magnifique, tôt ou tard. Les visages marquants les seconds rôles nous hantent plus encore quand ils tiennent ensuite le haut de l’affiche d’un cinéma évoluant constamment dans sa forme. Car, ainsi que l’annonçait son premier long-métrage, ceux qui incarnent son monde qui avance semblent tous emprisonnés d’un huis-clos immuable.
Pression sociale, frustration sexuelle, précarité, violence conjugale, racisme ou xénophobie, l’Allemagne dépeinte par Fassbinder n’est pas brillante ou heureuse. Dans ce pays coupé en deux, les souvenirs anesthésiés du nazisme reviennent inexorablement en privé. Mémoire nostalgique d’une vieille dame inoffensive dans Tous les autres s’appellent Ali ou via l’embrigadement mental d’un mari tyrannique sur la pauvre Martha. Ces allusions évidentes d’un pays traumatisé par les dérives impardonnables de la génération précédente ne nous paraissent pourtant pas si lointaines aujourd’hui. Du Bouc à Tous les autres s’appellent Ali, l’autre est toujours une curiosité, une menace occupante, un intrus qu’il faut exterminer au final. Qu’il soit de Grèce ou du Maroc, l’étranger venu de loin s’avère toujours considéré comme le responsable des maux de l’intérieur, sacrifié sur l’autel des préjugés, de la méfiance et de la jalousie.
« Les films d’amour : où l’on souffre, c’est beau. » – Karin, Les Larmes amères de Petra von Kampf
Les histoires d’amour sont clairement au centre des obsessions de Fassbinder dans ces sept long-métrages. Ces relations aboutissent rarement au bonheur. Rien n’y est simple ou facile. Elles sont une autre forme de souffrance pour des personnages toujours plus isolés les uns des autres. Le narcissisme ambiant comme valeur primaire noie l’amour dans la haine et mène toujours au désastre de l’intime et de la psyché. Le mal être est collectif derrière le paraître des non-dits. Et les larmes amères mais sincères découlent de toute la colère accumulée qui éclate lorsque l’abcès est inévitablement crevé.
Ne manquez donc pas L’Amour est plus froid que la mort, Le Bouc, Prenez garde à la sainte putain, Le Marchand des quatre saisons, Les Larmes amères de Petra von Kant, Martha et Tous les autres s’appellent Ali au cinéma ou dans le premier coffret Blu-ray édité par Carlotta, avant la première série télévisée du cinéaste Huit heures ne font pas un jour ou la seconde partie de sa rétrospective consacrée par l’éditeur sur laquelle nous reviendront.
1 commentaire
Patrimoine bâti, patrimoine projeté : 5 ans après la renaissance du cinéma Le Louxor ! – Revus & Corrigés · 29 avril 2018 à 16 h 35 min
[…] de répertoire. D’ailleurs, forts du succès de la rétrospective Clouzot, on reprend aussi les quatorze films de Fassbinder qui sortent en salles. Pour nous, c’est un choix important : sur trois écrans, prendre […]
Les commentaires sont fermés.