L’INTRIGUE
Pendant la révolution mexicaine, les troupes du général José Juan Reyes envahissent la ville tranquille de Cholula pour s’emparer de la fortune de ses habitants et financer leur armée. Au cours des évènements, Reyes fait la connaissance de Beatriz Penafiel, fille de l’homme le plus riche de la ville. Captivé par la beauté de cette femme, mais troublé par son arrogance, le général est prêt à tout pour la séduire.
Mexique – 1946
avec María Félix, Pedro Armendáriz, Fernando Fernández
Version restaurée 4K – Cannes Classics 2018
Les yeux revolver
Le nom d’Emilio Fernández doit rappeler quelque chose aux fans de westerns comme La Horde sauvage ou Pat Garrett et Billy le kid dans lesquels il apparaît comme acteur. Moins savent, en revanche, que l’homme est également cinéaste en son pays, avec une carrière de plus d’une quarantaine de long-métrages. L’un de ses plus connus, et qui a refait surface à Cannes Classics dans une copie restaurée sublime, est Enamorada. Ce western, épris d’une liberté folle de s’émanciper des codes du genre jalonnés par les gringos, remporte même les plus prestigieux Ariel Awards de 1947 (prix récompensant les films mexicains). Alors que la Santa Trinidad – Alfonzo Cuarón, Guillermo del Toro et Alejandro Gonzalez Iñárritu – est actuellement célébrée par le monde entier, il est tout aussi passionnant de se plonger dans l’histoire de ce cinéma mexicain qui regorge de chefs d’œuvre comme celui-ci.
Au premier plan du film, l’ambiance épique semble posée. Une belle troupe de guerilleros à cheval assiègent le village de Cholula. Emilio Fernández n’a nulle crainte de marcher sur les plates bandes des Ford ou Walsh avec ce long plan large en travelling, qui court sur la plaine en suivant cette troupe de cavaliers coiffés de sombreros. C’est la révolution ! L’angle politique du film paraît ensuite fortement biaisé, si l’on est plus habitué au capitalisme affiché des productions hollywoodiennes. José Juan Reyes (Pedro Armendáriz), le leader sans pitié de cette armée, paye rubis sur l’ongle pour que l’école soit réouverte et que les propriétaires terriens, profiteurs de l’ancien régime, cèdent leurs richesses au peuple affamé. Cependant, tout n’est pas blanc ou noir, et la noblesse d’âme de Carlos Peñafiel (José Morcillo), doyen des bourgeois locaux, lui est reconnue par son ennemi. Pour quelle raison ? Pour les beaux yeux de sa fille Beatriz, incarnée par María Félix.
N’allez pas penser que ces machos à moustache arrivent à dominer la fougueuse demoiselle. Aussi bien dans le genre – qu’avec une relecture très contemporaine –, le personnage de Beatriz pourrait incarner une énième figure du féminisme. Au fort caractère, n’hésitant pas à donner du revers de la main à vous en faire tomber au sol, elle fusille d’un regard les hombres qu’elle croise et les transforme en pauvres gamins énamourés. C’est le sort qui attend le chef militaire que la résistance active de la jeune femme contrarie. Chacune de ses approches pour la courtiser est mise en échec. Du western, le long-métrage s’oriente alors vers une comédie romantique, où les gags visuels et situations burlesques s’enchaînent de façon hilarante pour le pauvre général éconduit.
Ce qui impressionne aussi, c’est surtout la maturité du discours en sous-texte d’Enamorada. Le cinéaste travaille cette fermeture sentimentale de la femme comme un parti-pris de préjugés issus d’un système de classes – de castes. Il faut plus d’une bataille pour faire bouger une femme de ses positions, alors que le militaire qui a combattu plus d’une guerre abandonnerait tout pour celle qu’il a aimé au premier regard. La mise en scène déjà vivace d’Emilio Fernández nous saisit d’autant plus par ses moments de grâce incroyables, où le temps s’arrête l’espace d’un Ave Maria ou d’une sérénade au clair de lune avec trois révolutionnaires convertis en mariachis ! Pour toutes ces raisons, il faut découvrir Enamorada et, à plus long terme, réhabiliter ce patrimoine cinématographique mexicain qui mérite encore plus d’attention aujourd’hui pour être préservé et partagé.
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Hommage à Martin Scorsese par la Quinzaine des Réalisateurs – Revus & Corrigés · 10 mai 2018 à 12 h 30 min
[…] est d’ailleurs venu présenter devant le public de Cannes Classics une copie restaurée du film Enamorada d’Emilio Fernandez (1946). C’est ensuite avec beaucoup d’émotion qu’il a accepté le Carrosse d’Or au son de […]
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