Hair n’est pas le film le plus célébré de Milos Forman. Pourtant, s’il s’agit d’une commande pour le cinéaste américain d’origine tchécoslovaque c’était déjà le cas de Vol au-dessus d’un nid de coucous, en 1975 , Forman se l’approprie et en tire une œuvre toute personnelle, remplie d’allusions à son parcours. Portrait flamboyant et engagé de la jeunesse contestataire américaine des seventies, Hair est un opéra-rock survitaminé, porté par de jeunes comédiens flamboyants. Tourné en partie dans des décors naturels new yorkais, le film de Forman est à redécouvrir d’urgence …

Milos Forman est un cinéaste passionnant. Né le 18 avril 1932, de nationalité tchécoslovaque, il réalise quatre longs-métrages dans son pays (L’Audition et L’As de Pique en 1964, Les Amours d’une Blonde en 1965, Au Feu les Pompiers ! en 1967) avant de signer son premier film américain (Taking Off, 1971). Le succès, planétaire, arrive avec la réalisation de Vol au-dessus d’un nid de coucous, produit en 1975 par Michael Douglas, qui remporte pas moins de quatre Oscars. Son film suivant, Hair, est une transposition cinématographique de la célèbre comédie musicale de Jerome Ragni et James Rado, qui fait un triomphe depuis sa création le 29 avril 1968 à Broadway au Biltmore Theatre. C’est une première pour Forman : jamais le cinéaste tchèque, alors âgé de 47 ans, n’a réalisé de comédies musicales. Pourtant, les thèmes abordés dans Hair ne lui sont pas étrangers : courage, révolte, contestation de l’ordre, des autorités, refus des diktats et de l’aliénation… Des thématiques présentes dans Vol au-dessus d’un nid de coucous et les films précédents de Milos Forman. Comment ne pas voir dans l’œuvre de Forman des allusions du cinéaste à sa propre vie, et à son passé ?

Enfant de parents déportés et tués à Auschwitz, Forman devient cinéaste après avoir étudié à l’Académie de Musique et d’Art Dramatique de Prague. Au Feu Les Pompiers ! (1967) lui vaut de gros ennuis avec la censure de son pays. Il profite du Printemps de Prague, en 1968, pour quitter la Tchécoslovaquie et s’installer aux Etats-Unis. Comme le Randle Patrick McMurphy (Jack Nicholson) de Vol au-dessus d’un nid de coucous, et les hippies de Hair, Forman est un homme libre qui ne se laisse pas dicter la façon dont il doit vivre, ni ce qu’il doit penser. Exactement comme Amadeus (1984) et Larry Flynt (1996) qui, eux aussi, sont des rebelles en opposition au politiquement correct et à la bêtise humaine. N’oublions pas Andy Kauffman (interprété par Jim Carrey) : le trublion génial auquel Forman consacre un biopic brillant et inventif en 1999 : Man on the Moon. Et comment ne pas voir dans le dernier long-métrage de Forman, Les Fantômes de Goya (2007) qui évoque l’Inquisition , un écho aux souvenirs de jeunesse du réalisateur ? Après le refus de George Lucas de réaliser Hair pour mettre en scène American Graffiti en 1973, les producteurs Michael Butler et Lester Persky font appel à Milos Forman. Une décision in fine logique au vu des thématiques fétiches du cinéaste.

Let the sun shine

A vrai dire, trente-neuf ans après sa réalisation, on craint un peu de revoir Hair. Le film a-t-il pris un coup de vieux ? Le regard que portent Forman et Hollywood sur les hippies est-il dépassé, voire ringard ? La musique et les chansons, devenues cultes, ont-elles franchi l’épreuve du temps ? Qu’on soit rassurés. Dès l’ouverture du film, on découvre John Savage dans la peau de Claude Hooper Bukowski. Le jeune homme quitte son Oklahoma natal et arrive à New York pour intégrer l’armée. Le spectacle peut commencer. Si Forman est novice pour filmer les chorégraphies de Twyla Thar, il leur apporte pourtant tout son professionnalisme grâce au rythme musical de son montage. De même, les chansons ne sont pas envahissantes (certaines présentes dans le spectacle original ne sont pas incluses dans le film). De plus, elles apportent une aide précieuse pour approfondir, sans céder au psychologisme, le caractère des personnages. On s’enthousiasme toujours à l’écoute de « The Flesh Failures (Let the Sunshine In)».

Mais ce qui frappe le plus aujourd’hui à la vision de Hair, c’est la façon dont Forman mélange les genres. Son film est autant une œuvre politique très engagée (antimilitariste, qui fustige la présence américaine au Vietnam, le conservatisme et le puritanisme) qu’un drame et une comédie. Lorsque Claude part à l’armée et que ses camarades hippies vont l’y retrouver, le cinéaste fait preuve d’un sens du rythme et d’un humour ravageurs. Les acteurs y sont pour beaucoup : John Savage tout juste sorti de Voyage au bout de l’enfer (1978) de Michael Cimino, apporte beaucoup de candeur à son personnage de jeune recrue. Treat Williams, lui aussi tout jeunot, est un hippie plein de fougue. Il n’a pas encore tourné Le Prince de New-York (1982) de Sidney Lumet. Beverley d’Angelo, est bouleversante dans le rôle de Sheila. Elle ne tournera pas de plus grand film que Hair dans sa carrière. Et puis, il y a New-York. Forman filme la ville avec amour. Plus particulièrement Central Park. Quel sens de l’espace et du cadre ! C’est à ce genre de « petits » détails que l’on sait que l’on a affaire à un grand cinéaste. Forman fait de « Big Apple » un personnage à part entière de son film.

Étrangement, Hair n’est pas considéré à sa juste valeur. Il n’est pas le film qui vient à l’esprit quand on évoque le travail de Milos Forman. Sans doute parce qu’il s’agit d’une œuvre de commande. Pourtant, Forman a su en faire une œuvre personnelle, qui a son importance dans une filmographie riche et variée.  Revoir Hair aujourd’hui en salle permet de rehausser l’œuvre à sa juste valeur. Milos Forman fut un artiste exemplaire, d’une grande probité intellectuelle, jusqu’à sa mort le 13 avril 2018, à l’âge de 86 ans. Une œuvre entière à revoir.

Un film de Milos Forman
Avec John Savage, Treat Williams, Beverly D’Angelo
États-Unis – 1979
Au cinéma le 11 juillet 2018, par Mission Distribution.

Grégory Marouzé

Cinéphile acharné ouvert à tous les cinémas, genres, nationalités et époques. Journaliste et critique de cinéma (émission TV Ci Né Ma - L'Agence Ciné, Toute La Culture, Lille La Nuit.Com, ...), programmation et animation de ciné-clubs à Lille et Arras (Mes Films de Chevet, La Class' Ciné) avec l'association Plan Séquence, Animateur de débats et masterclass (Arras Film Festival, Poitiers Film Festival, divers cinémas), formateur. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, juré du Prix du Premier Long-Métrage français et étranger des Prix de la Critique 2019, réalisateur du documentaire "Alain Corneau, du noir au bleu" (production Les Films du Cyclope, Studio Canal, Ciné +)

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Une histoire de cinéma – Milos Forman, l’exilé · 25 mai 2021 à 18 h 01 min

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