Durant les années 50, Hollywood, en pleine décadence, a eu un élan de curiosité aventurière, et est allé planter ses caméras cinémascope en dehors des studios hollywoodiens. Evidemment, c’était une curiosité à l’américaine, où l’histoire du monde devaient confronter aux fantaisies mythologiques du cinéma. Les Vikings l’illustre remarquablement bien, fresque guerrière impulsée par l’acteur-producteur Kirk Douglas, sous la caméra aguerrie de Richard Fleischer avec lequel il venait de collaborer sur le pas moins aventurier Vingt mille lieues sous les mers. Mais la mythologie viking n’intéressait plus Hollywood depuis un certain temps – la fascination nazie pour les nordiques ayant peut-être joué – et il fallait remonter à 1928 pour en retrouver la piste, dans le cinéma muet, avec un film déjà en technicolor, The Viking. Il fallait donc que le film de Fleischer soit une véritable borne dans ce genre naissant du « film de vikings ».
Toutes les difficultés du monde semblaient condensées dans l’adaptation du livre d’Edison Marshall : faire l’un des premiers films sur les vikings, donc, avec une production indépendante sans studio, et ce face aux caprices démiurges de Kirk Douglas. En tant que producteur, qui avait évidemment son mot à dire sur tout, il voulait être, autant que possible, dans tous les plans. Et au centre, tant qu’à faire. Mais contrairement à une certaine tendance hollywoodienne des films historiques, dont le péplum, Les Vikings est une fresque épique d’action, sans temps mort et sans solennel trop plombant, épris de sa vitalité barbare et loin des éventuelles bondieuseries moralisatrices.

Tout le monde s’en donne à coeur-joie, en particulier Douglas, possédé par le rôle d’Einar, viking sanguin, bouillonnant, odieux, borgne charismatique qui fait tomber les dames, plus ou moins consentantes – l’écriture de son personnage avait donné du fil à retordre à la commission de censure du code Hays. Plus généralement, à propos des précédents jets de scénario, la commission remarquait : « cette version [de l’histoire] est inacceptable pour son traitement inapproprié du sexe illicite, et pour l’excessive et inacceptable place accordée à la violence et à la brutalité » [1]. C’est aussi le toujours formidable Ernest Borgnine, ici en Ragnar (personnage repris notamment dans la série Vikings), chef brutal mais attachant. Évidemment, il naît un curieux contraste face au couple plus poupin Tony Curtis – Janet Leigh, rattaché pour des raisons commerciales. Deux tendances hollywoodiennes qui se confrontent brutalement, ce jusqu’à un célèbre duel final, à la tension assez westernienne. D’ailleurs, Douglas parlait du film comme tel : « un western transposé au temps des vikings ».


Fleischer, épaulé de son chef décorateur Harper Goff, déjà à l’œuvre sur les grandioses décors de Vingt mille lieues sous les mers, tenait à en faire un film authentique – avec les limites d’un divertissement hollywoodien, forcément. Néanmoins, c’est certainement là l’une des plus grandes qualités du film, jusqu’à la reconstitution des drakkars à taille réelle, construits d’après les plans des originaux du IXème siècle.
Tourné notamment en Norvège à Hardangerfjord et au fort la Latte en Bretagne (décor totalement anachronique mais judicieusement intégré), Les Vikings procure ce sentiment exaltant de voyage. Mais surtout, il irrigue tout l’imaginaire collectif autour du mythe nordique qui suivra, du plus fantaisiste au plus historiquement rigoureux. Les cadres en scope du grand directeur de la photographie Jack Cardiff (qui réalisera en 1964 une suite moins convaincante, Les Drakkars) sont une ultime fois consacrés, dans une scène de funérailles vikings, magnifiée par la composition épique, tout en chœurs et en cor, de Mario Nascimbene (étonnant compositeur dont la filmographie va de Joseph Mankiewicz à Valerio Zurlini).
Un film immanquable, et peut-être l’une des raisons pour lesquels Robert Zemeckis fit son chef-d’œuvre La Légende de Beowulf en images de synthèse. Car Les Vikings, malgré ses imprécisions et imperfections, demeurerait le film-anthologie sur le sujet.

En complément du coffret édité par Rimini, un excellent livre de 158 pages de Christophe Chavdia, “L’Enigme Richard Fleischer”, sur le réalisateur à la carrière prolifique et protéiforme.
En bonus, deux entretiens de Richard Fleischer – instructifs mais redondants –, une interview d’époque délicieuse de Kirk Douglas ainsi qu’une interview des enfants de Fleischer, dont l’intérêt réside principalement dans la compilation d’images inédites du tournage.
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