Ultime film de John Wayne, Le Dernier des géants a longtemps été dans l’ombre de L’Homme qui tua Liberty Valance. Réédité en version restaurée par Sidonis-Calysta, il n’en reste pas moins toujours une formidable œuvre de Don Siegel et un moment déchirant de l’histoire du western, dans sa plus belle agonie.
Pourquoi le western, depuis ses débuts, semble-t-il empli d’une telle mélancolie ? Peut-être car, contrairement à un autre genre, toute l’histoire de l’Ouest et de la Frontière ne mène, inéluctablement, que vers sa terminaison. C’est un espace (physique, temporel comme abstrait) condamné à être conquis, connu et reconnu, annihilé en quelques sortes. En 1976, lorsque sort Le Dernier des géants (au titre français tout à fait inspiré, pour une fois), le western est en phase terminale. Certes, il y en a une quinzaine sortant cette année-là, dont Missouri Breaks d’Arthur Penn, d’un côté du spectre, et Keoma d’Enzo G. Castellari de l’autre, pas moins chant du cygne. Cependant l’heure n’est même plus au crépuscule glorieux (Sam Peckinpah ou Sergio Leone), mais plutôt aux funérailles. Et, forcément, faire mourir le western, c’est un peu faire mourir John Wayne. Et inversement.
Wayne ne pouvait évidemment que s’emparer du scénario tiré du livre The Shootist, de Glendon Swarthout, l’histoire d’un vieux cow-boy, rongé par le cancer, allant finir ses jours dans un Carson City en pleine mutation. Wayne, alors en rémission de son précédent cancer (pas encore rattrapé par celui qui lui coûtera la vie trois ans plus tard) trouve ici l’opportunité d’un testament sans pareil. Dans les années 70, Peter Bogdanovich avait caressé le fantasme d’un film d’adieu au western, avec les stars de John Ford : John Wayne, James Stewart (que l’on retrouve ici) et Henry Fonda – mais Ford lui refusa ce privilège. L’inclassable Don Siegel, le cinéaste de plusieurs époques, semblait être davantage l’homme de la situation. Comme d’autres grands films de Wayne, ce serait aussi une histoire de transmission, de lien avec une nouvelle génération. Dans Rio Bravo, c’était avec la teen idol Ricky Nelson – qui en profitait forcément pour pousser la chansonnette ; dans El Dorado, avec la future icône du Nouvel Hollywood James Caan ; ici, avec Ron Howard, tout juste débarqué d’American Graffiti, nouvelle jeunesse américaine.

Morituri
Inéluctablement, Le Dernier des géants se déroule en 1901 et s’ouvre même précisément le jour du décès de la reine Victoria : le passage vers une nouvelle ère. Dans ce Carson City du début du XXème siècle, incroyablement reconstitué par le chef-décorateur Robert F. Boyle, c’est déjà une autre Amérique qui est en marche, de ses automobiles à sa publicité (dont une pour Coca Cola). Les vieilles légendes, qui ont fait leur temps, s’observent donc mutuellement avec mélancolie, comme Lauren « The Look » Bacall face à Wayne ; comme ce dernier, face à Jimmy Stewart – eux deux qui enterraient déjà le western dans L’Homme qui tua Liberty Valance, une quinzaine d’années plus tôt. Et Siegel les filme superbement bien, capte avec une pudeur déchirante le bleu des yeux de John Wayne légèrement rougeoyants et humidifiés. Siegel délègue non sans intelligence toute forme d’intrigue au second plan, comme si l’Ouest n’avait plus d’histoires à offrir, sauf celles dont rêve le bambin campé par Ron Howard, si ce n’est un ultime règlement de compte avec une modeste poignée de crapules, avant d’en finir une bonne fois pour toute.

Anecdote connue mais toujours fascinante : dans une précédente version de scénario, le personnage de Wayne devait tirer dans le dos d’un de ses ennemis ; il rétorqua à Don Siegel qu’il n’avait jamais tiré dans le dos, et que ça n’est pas alors qu’il commencerait. Honneur désuet d’un autre temps, capturé avec grâce dans ce dernier film du Duke. Tout Hollywood était venu s’émouvoir des adieux au roi : jeunes – dont John Landis – et vieux étaient sur le plateau pour l’ultime baroud d’honneur, observateurs de la fin d’un certain cinéma. Une légende qui, à force d’être imprimée et ré-imprimée, s’effacerait enfin. Trois ans plus tard, en avril 1979, John Wayne remettait l’oscar du Meilleur film à Michael Cimino et aux producteurs de Voyage au bout de l’enfer – quelle ironie face à ses engagements politiques sur le Vietnam – et apparaissait devant une standing ovation, malade, profondément amaigri, la rumeur voulant qu’il portait une combinaison de plongée sous son smoking pour l’épaissir autant que possible. Wayne disait, avec son air habituel, débonnaire, teinté d’une touche d’émotion « je suis bien content d’être là, j’espère l’être encore pour quelques temps ». Il mourut deux mois plus tard. Un pan d’Hollywood s’en allait. Ce serait par la suite au tour de Michael Cimino de faire mourir une fois de plus le western avec La Porte du paradis. La fin du temps des géants.
Marc Moquin

THE SHOOTIST
Un film de Don Siegel
avec John Wayne, Lauren Bacall, James Stewart
1976 – États-Unis
Sydonis-Calysta
En DVD et Combo DVD/Blu-ray
26 novembre 2018
Le Dernier des géants est édité par Sidonis-Calysta en DVD et Combo DVD/Blu-ray. En complément, une présentation de Patrick Brion, peut-être pas très inspiré pour une fois, un court documentaire making-of sur le tournage, ainsi que le module “Trailers from hell” avec John Landis commentant ses souvenirs du film.
Le film est a retrouver lors d’un cycle organisé à la Cinémathèque française consacré au cinéaste Don Siegel, du 3 septembre au 12 octobre 2020.
Plus d’informations sur le site de la Cinémathèque française
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