Un amour fortuit dans les rues d’un Paris des années 1960, le temps d’un été, entre Charles Aznavour et Susan Hampshire, très joliment filmé en Cinémascope par Pierre Granier-Deferre pour l’un de ses meilleurs films, emprunt d’un esprit Nouvelle Vague… Comment résister ?
Un film de Pierre Granier-Deferre
Avec Charles Aznavour et Susan Hampshire
1966 – France
Toujours Paris
C’est un genre à part entière : le film d’amourettes estivales. Décliné à toutes les sauces, d’ailleurs : adolescente (Un Été 42), balnéaire (Pauline à la plage), rurale (Sur la route de Madison) ou évidemment citadine, comme c’est le cas du bien nommé Paris au mois d’août. Quatrième long-métrage de Pierre Granier-Deferre, qui depuis quelques années voit sa filmographie être redécouverte au gré des restaurations. Cinéastes touche-à-tout et peut-être boudé en ce sens, pour le meilleur dans le dramatique (Le Chat) comme avec le pire dans la science-fiction (Le Toubib), Granier-Deferre avait ceci «contre » lui d’exercer en pleine explosion de la Nouvelle Vague en tant qu’ancien assistant-réalisateur du cinéma de « qualité française ». Ceci dit, son très beau Paris au mois d’août, hybride et imprégné des fulgurances de la vague en question, en témoigne parfaitement bien. Évidemment, la rencontre fortuite entre le nonchalant (mais génial) Charles Aznavour – qui cinq ans plus tôt tournait pour Truffaut Tirez sur le pianiste – et la coquette britannique Susan Hampshire ne manque pas de se faire en écho à celle du toujours nonchalant (mais génial) Belmondo avec la coquette américaine Jean Seberg dans A bout de souffle, sorti sept ans plus tôt.
Cette énergie de couple improvisé bouffe littéralement la pellicule de Granier-Deferre, dans son petit tour parisien, tourné à même les rues, cartographiant particulièrement bien la capitale. On repense aussi un peu au pérégrination voyageuses et touristiques de la comédie franco-italienne Paris est toujours paris (voir Revus & Corrigés n°4). Dans un superbe Cinémascope photographié par Claude Renoir, Granier-Deferre capture une ville qui s’apprête à changer, entre quartiers connus (La Samaritaine, enfin, pour ce qu’il en reste aujourd’hui) et arrondissements en pleine reconstruction (une scène de shooting photo sur un bâtiment en béton très années 60, à la vue imprenable sur Paris). On pourrait d’ailleur mettre Paris au mois d’août en parallèle du plus tardif Le Chat de Granier-Deferre, réalisé cinq ans plus tard, où la métamorphose citadine atteint sa phase terminale avec son béton envahissant. Évidemment, le coup de foudre de la caméra de Granier-Deferre avec Susan Hampshire n’est pas anodin, lui qui en tomba amoureux et l’épousa en 1967. L’alchimie avec Aznavour, qui la même année tournait La Métamorphose des cloportes, toujours pour Granier-Deferre, est totale. Entre la ballade citadine et l’amour absolu mais éphémère, difficile de ne pas pas penser aux Before de Richard Linklater – on peut imaginer que ce dernier, grand amateur de cinéma français, ait peut être eu un jour ou l’autre sous les yeux le film de Granier-Deferre.
Paradoxalement, à mesure que la romance des deux amants estivaux prend forme, l’impossibilité de son futur semble davantage comme une évidence. Car si les deux personnages, plein de spleen urbain, se retrouvent dans leur malheur respectif, il paraît évident qu’au fond, aucun ne peut réellement attraper et embrasser le destin de l’autre, construit sur de fausses apparences. Lui, vendeur au rayon pêche à la Samaritaine dont la famille est parti en vacances d’été sans lui, se fait passer pour un artiste peintre à succès ; elle, cover girl malmenée par son copain photographe, dit d’abord être mannequin. C’est peut-être aussi pour cela que les illusions amoureuses grandissent dans ce Paris un brin fantasmé. Elles sont aussi rythmées par les dialogues d’Henri Jeanson, grand dialoguiste et scénariste pour Henri Decoin, Marcel Carné, Christian-Jaque et bien d’autres, qui signe ici l’un de ses derniers films, lui qui avait déjà sublimé les amourettes parisiennes de La Fête à Henriette de Julien Duvivier. Enfin, la chanson finale d’Aznavour – sublimement orchestrée en symphonique par Georges Garvarentz (compositeur pour Aznavour et à la filmographie très dense dans les années 60) donne l’ultime tonalité : « Balayé par septembre, notre amour d’un été tristement se démembre et se meurt au passé. J’avais beau m’y attendre, mon coeur vide de tout ressemble à s’y méprendre à Paris au mois d’août. » Rien d’étonnant non plus pour Pierre Granier-Deferre, qui aimait la mélancolie et la tragédie de l’amour impossible, présente dans beaucoup de ses films (avec peut-être comme point d’orgue Le Train). Pas si éloignées des certaines grandes œuvres de la Nouvelle Vague auxquelles on l’avait superficiellement opposé, les peines et joies quotidiennes de Paris au mois d’août en font l’un des meilleurs films du cinéaste.
Pathé
Combo DVD/Blu-ray
24 avril 2019
En complément de l’édition Pathé de Paris au mois d’août, plusieurs bandes d’actualités Pathé, “Les aoûtiens” (2’), “Paris se transforme” (1’), “Les coulisses d’Aznavour” (5′), “La vie du cinéma” (3’) ainsi qu’un entretien (28′) avec Erik Berchot (pianiste ami de Charles Aznavour), Jacques Layani (écrivain spécialiste de Granier-Deferre) et Daniel Pantchenko (écrivain biographe d’Aznavour) hélas peu intéressant car principalement centré sur Aznavour et les souvenirs de chacun à son sujet, avec seulement quelques passages sur le film et Granier-Deferre.
À noter que nous organisons une projection de Paris au mois d’août mardi 18 juin à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé dans le cadre du ciné-club “Cinémathèque Pathé”.
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