Le film inachevé du duo Carné-Prévert, La Fleur de l’âge, trouve une seconde vie avec L’Île des enfants perdus (titre initial du film) de Nicolas Chaudun. L’auteur retrace l’épopée de ce film maudit, et en profite pour un retour vers le passé, de l’histoire des bagnes d’enfants – sujet du film – au dézingage du « cinéma de papa » par la Nouvelle Vague.
Il est des films qui n’ont jamais vu le jour mais qui ont marqué l’histoire du cinéma par leur invisibilité, leur infaisabilité ou leur mystère. Outre L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, Dune de Jodorowski, Napoléon de Kubrick, le film de Marcel Carné La Fleur de l’âge rentre dans cette catégorie. Ce dernier rassemblait tous les ingrédients d’un chef-d’œuvre : distribution magnifique (Arletty, Serge Reggiani, Anouk Aimée, Paul Meurisse, Django Reinhardt à la musique), duo mythique (huitième collaboration entre Prévert et Carné), lieu magique (Belle-Île-en-mer), scénario captivant, adapté d’un fait réel qui avait marqué Jacques Prévert.
En août 1934, 56 enfants et adolescents s’échappent de la colonie pénitentiaire de Haute Boulogne, située au Palais, chef-lieu de Belle-Île-en-mer. Une prime de 20 francs est offerte à toute personne retrouvant un enfant. La traque commence, les habitants de l’île ainsi que les vacanciers y prenant part avec joie et détermination. Un enfant parmi les 56 ne fut jamais retrouvé, donnant au poète le prétexte idéal pour imaginer une histoire mettant en scène le disparu, et surtout dénoncer les conditions de vie insupportables de ces jeunes prisonniers de colonies – qui ressemblaient davantage à des prisons qu’à des écoles. Écrit entre fin 1935 et début 1936, le scénario sera tantôt mis de côté, pendant que le duo Prévert-Carné – qui se connait depuis Jenny (1936) – s’attèle à d’autres films (Quai des brumes, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis…), tantôt exhumé, à la recherche de production et d’autorisations de tournage de la part d’une administration amatrice de censure.

Le tournage commence finalement en avril 1947, avec la « bande à Carné » recomposée pour l’occasion : Prévert donc, Alexandre Trauner, Vladimir Kosma et même Arletty, inquiétée après la guerre pour sa relation avec un officier supérieur de la Luftwaffe. Tout était réuni pour que le film soit à la hauteur de ses promesses. C’était sans compter la multiplication des accrocs et complications : météo épouvantable, problèmes avec les habitants de l’île, grève des techniciens, mort d’un figurant… La mauvaise ambiance règne sur le plateau, le groupe ne retrouvant pas l’énergie de ses précédents films. Le tournage s’arrêta en juillet, en raison principalement d’explosion du budget et de manque d’argent. Les 200 plans tournés pendant ces quelques mois – représentant environ un quart du film – constituent l’objet de l’enquête de Nicolas Chaudun, qui part à la recherche des derniers survivants de cette aventure et des bobines disparues. A l’instar des émissions d’investigation, l’auteur se met en scène, racontant les détails de son enquête, ses avancées, ses revers, ses coups de gueule (parfois injustes, notamment sur la cinéphilie des jeunes), son amour pour Anouk Aimée. Le livre évoque aussi l’histoire du cinéma des années 1940, la relation d’un des plus beaux duos cinéaste-scénariste qui soit, la Continental et le sort des acteurs français de cette génération. Un beau récit sur un film maudit et disparu, qui donne envie de découvrir les photos prises pendant le tournage par Émile Savitry, faisant revivre l’espace d’un instant l’âge d’or du cinéma français.
Les très beaux clichés (dont celui ci-dessus) du tournage de La Fleur de l’âge sont à découvrir sur le site du photographe Emile Savitry.
