Qu’ont en commun La Grande muraille de Frank Capra, Everybody Sings d’Edwin L. Marin et Diamants sur canapé de Blake Edwards ? Ce sont trois films dans lesquels un personnage de couleur est interprété par un acteur blanc. Le documentaire L’Ennemi japonais à Hollywood revient sur ce sujet épineux, au centre de l’Âge d’or hollywoodien.

On a récemment souvent parlé des polémiques autour du concept de « black face », prolongeant un phénomène ancien et qui a existé à Hollywood, notamment dans sa version asiatique appelée « yellow face ». Dans L’Ennemi japonais à Hollywood, les sœurs Clara et Julia Kuperberg, réalisatrices de nombreux documentaires sur l’histoire d’Hollywood (interview à lire dans le n°2 de Revus & Corrigés), se penchent sur cette pratique du cinéma américain, depuis rebaptisée « whitewashing ». Se concentrant sur la représentation des Asiatiques et particulièrement des Japonais au cinéma, les Kuperberg dressent le portrait d’une industrie du cinéma impérialiste et xénophobe, allant jusqu’à servir la propagande du gouvernement.

Le documentaire est construit sur de nombreuses images d’archives et les propos de plusieurs intervenants, dont celui de Nancy Wang Yuen, auteure de Reel inequality. Hollywood actors and racism (2016), de loin le plus intéressant, et de Joseph McBride, historien du cinéma. Ils expliquent que durant plusieurs décennies, les studios américains ont employé des acteurs blancs pour incarner des personnages asiatiques, la raison principale étant l’absence d’acteurs japonais (très) connus, combinée à la volonté d’avoir une tête d’affiche (comprenons : blanche). Cela donne des Marlon Brando, Katharine Hepburn, ou encore Christopher Lee grimés en asiatiques (yeux tirés, accent prononcé, maquillage jaune), images méconnues et pas toujours heureuses. Quand l’accent de Hepburn est ridicule dans Le Fils du dragon, Brando est méconnaissable dans La Petite maison de thé. Mais il apparaît également que les personnages japonais étaient souvent réduits aux clichés rattachés à leur couleur de peau ; stéréotypés, sans expression ou grotesques, ces personnages incarnent l’ « asiatique de service ». C’est le cas du personnage de Diamants sur canapé (1961), interprété par Mickey Rooney, dont la caricature du Japonais dénote forcément aujourd’hui. Rappelons enfin l’existence du code Hays, code de censure interdisant les relations amoureuses interraciales à l’écran. Il est intéressant de voir qu’un seul réalisateur dérogera à la règle : Samuel Fuller, qui aimait prendre des risques, saura imposer de nouvelles représentations de Japonais [1]. Au-delà de cette pratique caricaturale, les sœurs Kuperberg dépeignent un cinéma utilisé comme outil de propagande par le gouvernement américain en guerre contre le Japon. Une époque où les Japonais et les Nippo-américains étaient décrits comme des sauvages, des barbares, des espions ou encore des traîtres – et internés ou incarcérés en conséquence durant le conflit.

Le documentaire de Clara et Julia Kuperberg arrive à point pour remonter aux sources de la difficile question de la représentation des minorités, encore très problématique aujourd’hui, dans une industrie qui peine à prendre des risques et à bousculer les mentalités.


 

L’Ennemi japonais à Hollywood sera diffusé le dimanche 13 octobre à 23h sur OCS, et dans le cadre du festival Lumière 2019 le vendredi 18 octobre à 14h45 à la Villa Lumière.

 

[1] À noter également le beau film de Robert Parrish La Flemme pourpre, où Gregory Peck s’éprend d’une Birmane, Win Min Than, durant la Seconde Guerre mondiale. Le film s’achève par ailleurs sur un plan théoriquement interdit par le code Hays, montrant le couple non seulement ensemble, mais en plus couché dans le même lit.

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Pub Suzuki – Caricature gênante – Ibrahim Rais · 16 septembre 2021 à 23 h 58 min

[…] par Mickey Rooney) de l’actrice principale est caricaturé. Bien que le film soit réussi, ce choix raciste a beaucoup déplu aux […]

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